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Lire chez soi à l’ère du numérique

Grâce à leur smartphone, les élèves ont en permanence dans la main un outil exceptionnel de connexion avec le monde, de lien entre eux et un espace de prise de notes instantanées. Utilisons cette ressource pour les amener à lire les œuvres au programme, à trouver du plaisir dans la lecture, à comprendre plus facilement des textes difficiles et à acquérir des réflexes de lecteurs autonomes !

Dans le cadre du cours de français, il est possible de développer l’habitude de lire chez soi avec un portable connecté à côté de soi. L’objet n’est plus un risque d’éparpillement, mais devient un outil de travail. Les BYOD1 sont une chance de plus de s’investir dans une lecture personnelle à la maison. Ils sont une possibilité de trace mémorielle instantanée, d’ouverture en cours de lecture vers d’autres arts en associant ses idées, ses ressentis à une recherche sur internet ou encore la possibilité de partages et de débats interprétatifs.

J’ai vécu, comme beaucoup d’enseignants, le désintérêt marqué d’une classe de 2de face à une tragédie du XVIIe siècle. La langue leur est étrangère et les thèmes abordés ne sont pas toujours en adéquation avec les problématiques de leur âge. Je pense notamment à certains dilemmes entre l’honneur et la passion, qui sont des sentiments que la maturité amène avec le temps. Pour autant, le classicisme est au programme de 2de en français et doit être traité. Pour que les jeunes saisissent le plaisir de ces textes, ils doivent être accompagnés dans leur lecture. Il s’agit là pour l’enseignant de baliser les contours d’un apprentissage qui, sinon, provoque plus de dégout de la lecture ou d’incompréhension que de plaisir et d’apprentissage. J’ai alors pris le parti d’utiliser les outils numériques pour accompagner la mise en place des lectures résistantes. Ces outils offrent une possible sécurité émotionnelle face à une lecture difficile : utilisés d’abord en classe pour aborder les problèmes de compréhension, ils suivent ensuite le jeune chez lui et accompagnent sa lecture page après page.

les séances apéritives

Pour ne pas laisser l’élève seul face à trop d’obstacles devant un livre à priori difficile d’accès, j’ai testé les séances apéritives, c’est-à-dire décrochées de la séquence et effectuées quelques semaines avant la première séance sur l’œuvre en question. Ces séances permettent à la classe de découvrir une œuvre et ses principaux enjeux avant de commencer sa lecture. Il faut, pour comprendre son intérêt, se demander quels sont les objectifs de la lecture autonome d’un texte. Peut-être n’est-elle pas tant de comprendre une histoire compliquée (on peut aider l’élève pour cela) que d’en saisir la beauté et d’éprouver un vrai plaisir de lecture. Le professeur pourra, par la suite, transformer ce ressenti authentique de l’élève en lecture experte.

En séance apéritive autour d’un auteur comme Racine par exemple, je prends le temps d’expliquer le schéma des personnages et de proposer un résumé de l’intrigue sous forme de courte vidéo YouTube (je laisse tout de même sous silence la fin de l’œuvre pour ne pas briser le suspens !). Ensuite je propose aux élèves de se concentrer, non plus sur la compréhension du texte qui est normalement résolue, mais sur l’aspect poétique des vers raciniens. La beauté du texte peut ici faire émerger des sentiments et des sensations personnelles, que l’élève voudra partager ou non avec la classe. Le travail à fournir pour la première séance est de créer une anthologie des plus beaux vers de l’œuvre, avec une courte justification pour chacun de ses choix. Pour les élèves dyslexiques, j’adapte et propose une version sonore du texte.

L’outil numérique, avec ses résumés d’œuvres, ses vidéos explicatives, n’est plus alors considéré comme un moyen de tricher, mais comme une aide, pendant la lecture en autonomie, qui permet de se concentrer sur un ressenti personnel face au texte. L’élève peut, chez lui et à tout moment, consulter la vidéo de résumé de l’œuvre regardée en classe. Ce processus pédagogique est aussi un accompagnement des jeunes dans la construction de leur identité. En effet, leurs choix pour sélectionner une information dévoilent en partie leur milieu socioculturel, et la sélection de citations qu’ils font dessine les contours de leur vécu personnel. Ainsi, parce qu’assurer une sécurité émotionnelle propre à l’autonomie me semble essentiel, nous faisons ensemble : je partage moi aussi les citations de l’œuvre qui m’ont le plus touchée.

Le carnet numérique de lecture

Un de mes objectifs est que le jeune se sente en confiance pour apprendre. Quoi de mieux que la lecture pour développer son rapport à soi et quoi de plus pertinent que son téléphone pour établir un pont entre sa vie personnelle et l’école ? C’est à partir de ce double lien que j’ai eu envie que les jeunes aient, sur leur téléphone, des traces écrites de leurs lectures. Le carnet de lecture, qu’ils ont peut-être déjà pratiqué au collège ou au primaire, devient alors un espace particulier où se côtoient des textes, des annotations personnelles, mais aussi des ressources culturelles en lien avec les textes lus.

J’ai demandé aux 2de d’aborder la lecture du recueil « Pauca Meae » des Contemplations de Victor Hugo, avec leur téléphone à la main. La consigne était de lire et de laisser une trace des poèmes dans leur carnet de lecture. Les possibilités offertes étaient nombreuses : associer un poème à une image, une musique ou un son, un fait divers, un autre livre, un film, une photo, un extrait d’œuvre littéraire, un souvenir personnel, un personnage réel ou de fiction. J’ai encouragé les élèves à varier au maximum les approches pour les différents poèmes. L’intérêt du portable est ici d’avoir accès au web en un seul clic. Pour éviter toute discrimination, j’ai aussi rendu possible l’accès à un ordinateur.

Ce travail personnel était demandé avant le début de la séquence, précédée, trois semaines avant, d’une séance apéritive de présentation (contexte historique et littéraire, biographie de l’auteur, ainsi qu’une écoute de deux poèmes grâce aux ressources audios). J’ai évalué avec bienveillance les écrits qui m’ont été rendus. En bonus, beaucoup d’élèves avaient, en plus des notes écrites sur les poèmes, complété leurs travaux par la copie de passages qui ont plu ou déplu, et posé les questions que soulève la lecture.

Cette trace mémorielle est la transcription d’une émotion ou d’une réflexion qui s’explore, une projection et une construction de soi. Si la trace écrite n’est pas l’objectif principal, l’enracinement d’une pensée dans la langue qui s’essaie dans l’écriture est d’autant plus impulsé que l’élève a un accès permanent à son carnet de lecture sur son téléphone et qu’il peut le modifier à tout moment.

Afin d’exploiter ce travail en classe, et toujours dans un souci de créer de la continuité entre la vie personnelle des pensées de l’élève et son environnement de travail, je leur propose de partager sur Moodle, dans un espace qui est réservé à la classe, leurs impressions pour chaque poème. Les écrits les plus personnels ne sont partagés que si l’élève le souhaite. À la fin d’une séance en salle informatique, l’espace classe du Moodle est donc constitué des dix-sept poèmes du recueil hugolien, tous assortis de commentaires personnels, de peintures, de films, etc.

Il ne s’agit pas pour autant de considérer le texte littéraire comme un simple support à l’épanchement subjectif ou un agglomérat de pensées. Le défi est de construire ce rapport sans perdre de vue l’objectif de formation d’un lecteur expert, aussi capable d’une analyse distanciée en vue du baccalauréat.

Cercle de lecture

C’est par la prise de conscience de sa propre position de lecteur subjectif que j’introduis le cercle de lecture qui poursuit la séquence. Les élèves, munis de leurs téléphones ou des tablettes du lycée connectés au Moodle de la classe, sont invités, en demi-groupe, à un échange sur un des poèmes qui les a particulièrement marqués et à lire les différentes notes des camarades : lire les extraits qui s’y rapportent, montrer les œuvres picturales, les bandes-annonces de films. Je dévoile parfois moi-même quelques-unes de mes impressions de lecture, pour libérer la parole d’élèves réticents et silencieux.

Une heure d’échange en demi-groupe amène les élèves à changer de statut, du lecteur subjectif au lecteur expert. En justifiant leurs choix ou en commentant celui des autres, les élèves émettent des hypothèses de travail et confrontent leurs interprétations du texte. Le cercle de lecture devient alors une communauté interprétative. Une liste des notions littéraires à revoir en classe peut être constituée par les élèves pendant le cercle de lecture. En outre, ils sont invités à enrichir leur carnet personnel après chaque lecture analytique effectuée en classe sur ces mêmes poèmes et à utiliser les richesses de la mise en page, non pour supprimer leurs premières impressions, mais pour les faire évoluer avec leurs nouvelles connaissances savantes.

Manipuler un texte associé à l’outil familier qu’est le téléphone portable est une possibilité pour l’élève de se « comprendre devant le texte »2, entre plaisir identificatoire et lecture savante.

Axelle Potvin
Professeure agrégée de lettres « modernes »

Un article de notre n°545 :

 

Accompagner en pratiques
Qu’est-ce qu’accompagner au sein et hors de la classe ? Qu’en est-il de l’accompagnement personnalisé ? Comment l’accompagnement vise-t-il à construire l’autonomie de l’élève ? Ce dossier interroge le sens donné aujourd’hui à l’accompagnement de tous les élèves par les enseignants et aussi par les coéducateurs.
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Notes
  1. Bring your own device, autrement « Apportez vos appareils personnels ».
  2. Paul Ricœur, Du texte à l’action. Essais d’herméneutique II, Seuil, 1986.