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L’inclusion généralisée : le grand saut ?

Dans l’académie de Nice, pour les élèves non francophones, un volume de 12 heures minimum de français langue étrangère demeure la base des enseignements, heures toujours assurées par le professeur de FLE. Ces heures élèves sont complétées par deux matières qui sont suivies intégralement avec la classe ordinaire de rattachement. Au total, le temps scolaire du nouvel arrivant doit être égal à celui d’un élève de sixième ou de cinquième. Quel est le pari didactique de ces inclusions ? Apprendre le français grâce au « bain linguistique », rendu possible très tôt, au contact de camarades, locuteurs natifs ; mais c’est également la possibilité de se familiariser avec les attentes d’une nouvelle culture scolaire, avec ses consignes et ses lexiques disciplinaires. Mais peut-on plonger dans le grand bain lorsque l’on est non nageur ? Et comment le professeur d’UPE2A peut-il  encore mener sa barque quand il voit à chaque heure, des élèves quitter le navire vers d’autres ports, tout en devant en embarquer d’autres, à différentes escales ? La  classe à géométrie variable a été, cette année, pour les collègues d’UPE2A des Alpes-maritimes, un véritable défi pédagogique à surmonter.

Au collège Victor Duruy de Nice, classé REP, les équipes enseignantes sont déjà fortement sollicitées par la gestion de l’inclusion car nous accueillons au sein de l’établissement deux dispositifs relevant du champ du handicap : une Ulis et un IEM (Institut d’ éducation motrice). La circulaire nous a donc donné des sueurs froides. Comment inclure tous ces élèves à profil dans des classes déjà hétérogènes ? Comment se faire comprendre ? Comment évaluer ? Comment différencier ? Comment venir en aide à un élève sans perdre le reste du groupe ? Comment assurer le suivi et l’orientation quand le professeur principal n’a pas eu en cours l’élève allophone ? A toutes ces questions, il a fallu tenter de répondre. Mais avant d’envisager quelques pistes de travail, voyons un peu le bilan.

Après dix mois de traversée, nous ne dénombrons aucun « noyé » ! A ma grande surprise, « l’entrée » dans la langue française s’est accélérée. J’ai pu le mesurer vers le mois de novembre. La plupart des élèves comprenaient les consignes orales et se mettaient au travail sans que je passe par le détour de leur langue maternelle, comme c’était le cas à leur arrivée. Les premiers échanges en français entre élèves dans les temps périscolaires, mais aussi les retours des collègues sur les premières évaluations réussies m’ont rassuré sur cette mini révolution où je m’étais engagée à contre cœur, je l’avoue. « L’équipage » des professeurs et  l’équipe de direction ont joué un rôle majeur en facilitant ces inclusions. La réactivité dans la confection des emplois du temps, car les élèves arrivent au fur et à mesure, la grande bienveillance à l’égard des élèves allophones et un climat de confiance entre le professeur d’UPE2A et les équipes nous ont permis de franchir notre « cap de Bonne espérance ».

Bienvenus en Terra incognita !

Fraichement « débarqué », l’élève étranger qui arrive en France est souvent hagard les deux premières semaines, voire plus. En quittant son pays, son école, ses amis, sa famille, il n’est pas aisé de trouver ses repères. Certains élèves devront faire le deuil, temporaire, d’une scolarité passée brillante. Ce n’est pas forcément pour les élèves anciennement en difficulté que l’expatriation est la plus rude. Au contraire, ceux-là saisissent ce changement d’école comme une occasion de faire peau neuve, en se disant qu’ils peuvent repartir de zéro, incognito. Quoi qu’il en soit, il faudra du temps à tous pour se sentir à l’aise dans leurs nouveaux habits. Habiter une nouvelle langue et une nouvelle culture scolaire demande du courage et de l’humilité. L’inclusion généralisée à tous les nouveaux arrivants a permis, de manière salutaire, de nous rappeler que ces élèves ont des acquis antérieurs et qu’ils ne se réduisent pas à des élèves « handicapés » par la barrière de la langue. Avant la circulaire, mes élèves grands débutants n’auraient pas pu bénéficier des « stages d’intégration partielle » que nous réservions aux élèves avancés. Les inclusions ont permis de donner la chance à tous de montrer ce qu’ils sont capables de faire, en s’affranchissant, un temps, de la langue.

Si l’inclusion des élèves allophones au Collège Victor-Duruy se fait de manière plus que satisfaisante, je ne peux m’empêcher de rapporter cette anecdote. Une jeune albanaise de seize ans, au parcours scolaire brillant, débarque au mois de novembre. Elle parle couramment l’anglais. Ce qui m’enlève une épine du pied car elle ignore tout de la langue française et moi de l’albanais. Il arrive que certains élèves aient déjà étudié le français comme langue vivante dans leur pays d’origine ; ce sont les faux débutants. Ce n’est pas le cas de Fjona. C’est une jeune fille blonde, au regard perçant ; elle passe bientôt pour la petite anglaise du collège car son accent est perfect ! Mes élèves lusophones arrivées en septembre m’apprennent même qu’elle parle couramment l’espagnol. J’interroge Fjona qui me confirme qu’elle a appris cette langue en regardant la télé. C’est sûr : j’ai dans ma classe une surdouée des langues et je me dis que les choses vont donc aller très vite en français. La professeure de mathématiques ne tarit pas d’éloges sur le niveau de notre nouvelle recrue. Dans le courant de l’année, elle passera de  la 4e à la Troisième. Au brevet blanc de Français, elle obtiendra 19/40.

Erreurs et approximations

Mais les choses ne furent pas d’emblée si simples. Si mon élève comprend et réalise les consignes scolaires sans difficultés, elle s’accroche à l’anglais pour communiquer. Je patiente, j’invite, j’insiste en vain pour la faire parler, l’entendre lire et la faire entrer dans cette langue qu’elle ne sait par quel bout prendre. Je rencontre alors sa mère, accompagnée d’une amie traductrice, pour lui faire part de ce problème. Tout le monde en remet une couche sur la nécessité de « communiquer » pour apprendre une langue étrangère. Jusqu’au jour où Fjona vient me faire part d’une phrase de sa professeure d’EPS : « You are in France, you speak in french ! ». Elle est visiblement émue par cette remarque et j’avoue que je cède aussi à l’incompréhension. Après tout, mes élèves grands débutants ne peuvent parler français au bout de quelques mois ! Nous avons rapidement échangé avec la collègue de sport qui m’a alors expliqué qu’elle passait par le geste et demandait à Fjona d’imiter les camarades si cela ne suffisait pas. Mais ma collègue n’avait-elle pas raison, au fond ? Ne valait-il pas mieux tenter de  s’exprimer, même en faisant des erreurs, plutôt que d’attendre de maitriser de manière grammaticale et scolaire une langue nouvelle ? A contrario, pour Fjona, élève perfectionniste, et cela est tout à son honneur, la représentation d’une maitrise linguistique ne pouvait se satisfaire d’approximations.

L’inclusion a permis l’immersion en classe ordinaire et un type d’apprentissage de la langue plus empirique ou plus pragmatique, axé sur les habitus scolaires et les lexiques disciplinaires. Ce système a en revanche réduit considérablement les heures de FLE ou FLS ; nous sommes passés d’une année d’enseignement intensif de la langue à un enseignement plus morcelé car réparti entre des heures de français alternant avec d’autres cours. La question qui émerge est alors la suivante : était-ce mieux avant ? Clairement, si la réforme est plus contraignante en termes d’organisation pédagogique pour le professeur, elle a été bénéfique aux élèves qui progressent globalement plus vite, une fois le cap des deux premiers mois franchi. Bien évidemment, les progressions ne sont pas uniformes. Cela dépend en particulier de la langue d’origine, du niveau de scolarisation antérieur et des aptitudes auditives en particulier. Quant à Fjona, grâce à l’arrivée d’Ahlem, une jeune tunisienne, les premières phrases en français sont apparues ! Avec une correction grammaticale remarquable et un accent presque parfait. Les deux jeunes filles sont devenues inséparables. Leur langue commune fut le français. L’une poursuit ses études en classe de 2de, c’est Fjona. Quant à Ahlem, elle prépare un C.A.P Cuisine.

Une langue en partage ?

Je souhaiterais finir par une piste de travail qui me semble intéressante. Cela concerne l’investissement dans le numérique. Voilà maintenant deux ans que je recours à l’usage des TICE, que ce soit par l’utilisation de postes informatiques dans ma salle qui permettent aux élèves d’être à certains moments autonomes grâce à la très riche sitographie du FLE ; mais aussi, et je mesure cette chance, grâce à l’acquisition par le collège, de tablettes numériques. Nous y avons installés des dossiers de travail différenciés par niveau, des dictionnaires de langue et de traduction. La tablette permet de faciliter la rédaction en français, grâce à une meilleure lisibilité par l’élève de sa production ; et pour le professeur, c’est le moyen de corriger, avec clarté, les textes. Quelque soit l’origine des élèves, ils sont tous très à l’aise avec cette langue commune.

Horri Feten
Professeure de français langue seconde au collège Victor-Duruy de Nice