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Des heures à réfléchir comme des fous

« Par quoi commencer ? Je me souviens, comme si c’était hier. Ces heures de physique après deux heures de sport, à réfléchir comme des fous. Néanmoins, on n’en oublie pas les bons côtés ! Toutes ces heures vaincues, toutes ces choses qu’on ne pensait jamais pouvoir accomplir et qui sont accomplies grâce à votre aide et à votre motivation, ainsi que ces qualités et compétences exploitées. Vous avez fait ouvrir les yeux à beaucoup d’élèves sur leurs capacités. Étouffés par les mauvaises notes et les problèmes familiaux, vous leur avez fait comprendre de quoi ils étaient capables grâce à votre méthode et vos conseils. »

Ce témoignage d’une ancienne élève, Yelysaveta, m’a beaucoup touchée et me soutient quand je fléchis et m’interroge. En fait, je ne crois pas qu’en pédagogie, on puisse véritablement décider ou imposer d’être bienveillant ou exigeant. En revanche, je crois qu’on peut l’être sans en avoir conscience. Pour ma part, depuis peu, j’ai le sentiment que la pratique que je mets en œuvre, depuis vingt-six ans, avec toutes mes classes, me permet ce luxe pédagogique : être bienveillante par mon exigence.

Pour présenter succinctement ma pratique, je dirais que mes élèves acquièrent de nouvelles connaissances par une découverte personnelle, écrite et progressive de type essais-erreurs. Tout au long de leur recherche, je guide chacun grâce à l’analyse des erreurs qu’il commet et des aides que je lui fournis pour y remédier. Mes élèves  apprennent donc à leur rythme, en écrivant, en réfléchissant, en errant c’est-à-dire en faisant des erreurs sur lesquelles ils s’appuient pour poursuivre et aboutir. La résolution des exercices d’apprentissage que je conçois et propose à mes élèves requiert et développe essentiellement la persévérance en rapport étroit avec l’autonomie, la motivation intrinsèque et surtout la confiance en soi. Le tout reposant sur ce plaisir unique qu’on ressent quand on réussit à accomplir une chose que l’on sait difficile.

Redonner confiance

Pour les élèves en difficulté, commettre une erreur est une faute, mais surtout une honte, puisqu’elle leur signifie « tu es bête ». Ils préfèrent donc endosser le costume du fainéant, du perturbateur, plutôt que de passer pour des « idiots ». Ma confiance en eux, en leur potentiel, est déterminante pour qu’ils retrouvent la leur. Pour ce faire, je ne dois pas, avec eux, faire autrement qu’avec les autres. Certes, je dois les guider plus que les autres, certes, ils sont parfois soutenus par un de leurs camarades, mais la réponse recherchée ne leur est jamais donnée. De ce fait, leur réussite déclenche comme un cercle vertueux de motivation portée par la fierté de réussir par soi-même et surtout comme les autres. Ils retrouvent ainsi une précieuse estime de soi.

Plus la bonne réponse tarde à être trouvée, plus je dois faire savoir à l’élève que je suis consciente de ses efforts, car il doit être autonome, mais il ne doit pas se sentir seul. C’est pourquoi, parfois, je m’assois auprès de certains, pour mieux les soutenir. Souvent, dans ce contexte de grande attention, le seul recours à l’oral leur suffit pour surmonter leur peur de s’engager.

Au cours de toutes ces années, j’ai ainsi découvert de remarquables capacités chez de nombreux élèves en rupture scolaire. Malheureusement, ma démarche n’est pas miraculeuse et la peur de se tromper inhibe un nombre croissant d’élèves, donc le temps me manque souvent. De surcroit, la gestion de mes classes, sans cesse en autonomie, est devenue parfois très difficile à assurer. Les causes principales, les problèmes de concentration et les effectifs croissants, sont subies par tous, mais leur impact est accentué par ma posture. En dépit de ces écueils, je suis profondément attachée à ma méthode qui est certes souvent épuisante mais ponctuellement très gratifiante. Je poursuis donc sur cette voie avec détermination, portée par des sourires béats d’élèves prenant conscience qu’ils ont eux aussi, réussi, par des déclarations d’adhésion et, parfois, de véritables témoignages de reconnaissance.

Sylvie Zatourian
Professeure de physique-chimie en collège