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Comment la recherche peut-elle aider les pratiques enseignantes ?

Au sein du service Veille & Analyses de l’Institut français de l’éducation (IFE), nous travaillons sur les relations entre pratiques, recherche et politique. Dans le domaine de l’éducation, l’idée de la pratique fondée sur les recherches (EIP ou evidence-informed practice) suppose que la pratique de l’enseignement et les résultats des élèves peuvent être améliorés si les enseignants s’approprient et utilisent les résultats issus de la recherche. Au fur et à mesure que les systèmes éducatifs s’éloignent du modèle prescriptif descendant, on présume que les écoles peuvent s’autoaméliorer si on les aide à développer l’EIP, c’est-à-dire à faire circuler les bonnes pratiques entre les enseignants, au sein des écoles et entre les écoles : c’est ce qu’on appelle les teaching schools. En Angleterre, depuis la publication du Livre blanc de l’enseignement en 2010[[The importance of teaching : The schools white paper, Ministry of Education, 2010.]], le concept de teaching schools, dérivé des méthodes expérimentales dans le domaine de la santé pour faire émerger les bonnes pratiques, a fait son chemin.

En France, au printemps 2017, le rapport à la ministre de l’Éducation nationale Vers une société apprenante[[François Taddei et al., Vers une société apprenante, Rapport sur la recherche et développement de l’éducation tout au long de la vie, ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 2017.]] promeut l’idée d’une familiarisation des équipes pédagogiques à la recherche pour assurer le développement professionnel et l’innovation pédagogique. Depuis, plusieurs concepts se rapprochant de l’EIP, comme « les établissements formateurs »[[Lire sur le site d’Éduveille : Laure Endrizzi, Établissement formateur ou formation en établissement ?, 2015, https://eduveille.hypotheses.org/7006]] ou « les lieux d’éducation associés (LéA) »,[[Voir http://ife.ens-lyon.fr/lea]] sont mis à l’épreuve dans certains établissements. De façon plus générale, les communautés d’apprentissage professionnelles (CAP) sont des groupes d’enseignants qui se réunissent pour confronter leurs expériences, leurs savoir-faire, leurs réflexions, afin d’améliorer et d’harmoniser collectivement leurs pratiques à l’aide de données scientifiques ou statistiques, dans le cadre d’un leadeurship partagé.

Les interactions sociales et professionnelles à l’intérieur des écoles et entre les écoles jouent un rôle essentiel dans la circulation des expertises professionnelles. Ces interactions agissent comme des canaux pour faire circuler des connaissances pouvant être exploitées par les enseignants pour enrichir leurs pratiques. Des chercheurs britanniques soutiennent que pour réduire l’écart entre les données probantes issues de la recherche et la pratique, il est nécessaire d’agir sur les représentations des enseignants et de modifier leurs comportements. Dans le cadre scolaire, les communautés d’apprentissage professionnelles réfèrent à des « processus d’apprentissage social lorsque des personnes ayant des sujets d’intérêt communs collaborent » et s’engagent collectivement « en vue d’améliorer continuellement les résultats scolaires des élèves »[[Isabelle Claire et al., « CAP : un leadeurship partagé entre le conseil scolaire, la direction et les enseignants », Éducation et francophonie vol. 41, n° 2, 2013.]]. Cela nécessite que la ou le chef d’établissement encourage le travail collectif, souvent informel, des équipes et facilite la mise en application sur le terrain afin d’assurer la prise des innovations pédagogiques qui feraient consensus au sein du groupe d’enseignants.

L’analyse de cette organisation collaborative nécessite une approche qui permette d’identifier et de cartographier les structures informelles et de comprendre le rôle des acteurs sociaux au sein de ces structures. Jusqu’à présent, peu d’études ont examiné la manière dont les structures en réseau au sein des écoles et établissements scolaires peuvent être exploitées pour faciliter l’EIP.

Enquête exploratoire

En réponse au manque de connaissances dans ce domaine, et afin de développer une recherche interdisciplinaire et innovante, l’IFE a lancé une enquête exploratoire (RÉCAP : réseaux et communautés d’apprentissage professionnels) auprès d’établissements d’enseignement, du primaire et du secondaire, ayant pour objectif de mieux connaitre les habitudes de travail collaboratif des équipes éducatives (enseignants, personnels d’encadrement et d’accompagnement) ; de mieux comprendre la constitution de réseaux sociaux professionnels ou CAP ; de mieux cerner les attentes des personnels éducatifs vis-à-vis des résultats issus de la recherche et d’interroger la possibilité de les intégrer dans leurs pratiques éducatives.

La même enquête a déjà été menée en Angleterre par des chercheurs britanniques, et la partie française est conçue dans des termes équivalents pour permettre une perspective comparative internationale. Les analyses finales seront disponibles courant 2019. Pour l’instant, des deux côtés de la Manche, deux conditions ont été identifiées par ailleurs pour articuler recherches et pratiques : construire un partenariat structuré entre praticiens et chercheurs à partir des préoccupations des praticiens pour identifier les enjeux de la recherche, et établir des liens explicites entre les connaissances issues de la recherche et les connaissances des professionnels de terrain.

Marie Gaussel
Chargée d’études et de recherche, service Veille et analyses de l’IFE (ENS de Lyon)