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Propos sur l’enseignement : Notions, auteurs, études

L’auteur, inscrit dans le champ de la philosophie de l’éducation, invite le lecteur à mieux saisir et conceptualiser l’enseignement. L’enseignement est scruté par trois entrées qui organisent successivement l’ouvrage : les notions fondatrices de l’éducation, les grands auteurs, philosophes qui ont arpenté le champ et des études pour mieux comprendre la complexité de l’enseignement aujourd’hui. Le lecteur peut commencer sa lecture par n’importe quel bout, par n’importe quelle partie en fonction de ses intérêts. Ces trois parties n’imposent pas un phasage ou une progression de lecture comme pré-requis nécessaire à la compréhension.

La première partie est dédiée à l’étude des notions : le lieu où l’on éduque, où l’on enseigne, l’environnement scolaire, comme retrait du monde et de ses agitations, entre le monastère et la caserne ; un lieu normatif, de transmission et de formation, d’exercice et de simulation. L’école a une histoire qui l’habite profondément entre ses murs, par ses manières de faire, de dire, d’éduquer, ses architectures, mais qui se trouve face à des questionnements et défis contemporains de taille, loin d’être neufs mais dans tous les cas qui perdurent : le défi de justice, le défi d’efficacité et le défi d’hospitalité.

Dans l’ouvrage, le lecteur assidu des ouvrages d’Eirick Prairat y retrouve ses notions favorites, comme par exemple : les enjeux de la socialisation et la sanction, l’éthique au cœur de l’acte de l’enseignement, le tact, les normes professionnelles et la déontologie enseignante .

Dans la première partie, l’auteur, s’appuyant sur les apports du philosophe américain Israel Scheffler, décrit l’enseignement comme une activité finalisée, par un ensemble de routines, qui se définit par des règles, mais ces dernières ne sont pas « une assurance tous risques ». C’est « un art pratique », inséré dans une expérience humaine, dans une relation vivante, dans une convocation d’au moins deux sujets, l’élève et l’enseignant, chacun dans son propre rapport au savoir.

Un métier dans lequel le tact est à la fois une faculté rapide de jugement et de décision, qui régule la pratique directement, mais aussi une disposition éthique, une vertu relationnelle, une compétence pour agir dans l’enseignement, pour le soin de la relation, du lien, d’autrui. Un métier de techniques mais qui compose avec l’éthique en son sein.

Un métier qui doit composer avec la sanction et ses visées politiques, éthiques, sociales et ses principes structurants. Un métier sous le coup des normes, normé et normatif. Un métier qui s’est doté d’une déontologie professionnelle.

Dans la deuxième partie, l’auteur nous fait rencontrer, comme dans un manuel, les penseurs philosophes de l’acte de l’enseignement, leur pensée éducative et les finalités qu’ils esquissent avec force. Pour Condorcet, la finalité est d’instruire et éclairer des citoyens, pour Hegel, c’est l’accès à l’indépendance, pour Arendt, l’école se donne comme un espace pré-politique. L’auteur nous fait aussi rencontrer Foucault avec sa vision de l’école à la fois comme espace disciplinaire et comme lieu de savoirs. Une autre rencontre aussi avec le concept de responsabilité, ainsi développé par Levinas et Jonas. Dewey est aussi présent, avec sa réflexion sur les valeurs, celles-ci n’étant pas déjà là mais plutôt  à faire émerger. Il s’agit de donner de la valeur, veiller sur, aimer, s’occuper de, prendre de soin, faire preuve de bienveillance en situation de vie, de travail. Et n’oublions pas Elias et son intérêt pour les configurations de socialisation, les interdépendances et les équilibres, ici dans la forme scolaire traditionnelle, un espace ordonné avec un silence exigé, des corps disciplinés et la subjectivation d’un sujet.

Dans la troisième partie de l’ouvrage, Prairat nous propose une discussion sur les enjeux de l’école actuelle, cette dernière étant vécue dans un processus de lente désacralisation de l’ordre scolaire , par une augmentation des actes d’indiscipline dans les lieux scolaires et le changement d’attitude des parents à l’égard de l’institution qui n’a plus comme seule mission de transmettre des savoirs intellectuels mais également d’éduquer. Et cela dans un contexte plus global de la montée de la place du droit dans les sociétés démocratiques. L’auteur affirme que l’école doit « préserver l’hypothèse du non-droit qui suppose qu’une part non négligeable de la vie et de la conflictualité scolaires échappe par nature au droit » (p.258) et en tant qu’institution avec ses spécificités doit « reconnaître qu’une limitation (du droit) est la condition même d’un usage pertinent à l’école » (p.258). L’auteur annonce aussi « l’éclipse de la civilité » et met en avant l’importance du lien social par les rituels nécessaires de civilité. Il remet ainsi au sein de la discussion les enjeux de l’autorité, des valeurs, de l’éthique et de la déontologie.

Andreea Capitanescu Benetti