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Projet de programme de mathématiques en cycle 3 : des progrès et des regrets

Le Conseil supérieur des programmes a rendu publics ce mois de janvier les projets de nouveaux programmes de cycle 3 pour le français et les mathématiques. Le cycle 3, qui va du CM1 à la 6e, est situé à la charnière entre l’école et le collège. L’existence de ce cycle doit favoriser les transitions et faciliter le passage de l’école élémentaire au collège, et les programmes doivent y contribuer. Puisque les programmes sont en consultation, les Cahiers pédagogiques souhaitent alimenter le débat en publiant des contributions venues du terrain. Voici pour commencer un point de vue nuancé sur le projet pour les mathématiques.

Le projet de programme de mathématiques au cycle 3 est sorti en janvier 2025. Pour ma part, j’attendais qu’il soit publié avec hâte. Je l’ai lu, puis relu. Sans doute des éléments m’échappent encore, car on lit au filtre de nos marottes et de nos propres difficultés professionnelles, mais ce projet de programme, globalement, me plait. Je sais que ce n’est pas forcément une opinion partagée de façon générale chez mes collègues. Je vous explique donc ce qui me plait dans ces pages, et aussi ce que je regrette.

Commençons par le début : je suis soulagée qu’un programme de cycle 3, à cheval sur l’école et le collège, existe encore. J’ai craint qu’on ne revienne en arrière sur ce point et je l’aurais déploré : accentuer, souligner, voire forcer à progresser dans la liaison école-collège me parait très important.

Sentiment favorable

L’introduction, intitulée « Principes », m’a tout de suite donné un sentiment favorable : pour la première fois à ma connaissance dans un programme de mathématiques, on n’évoque pas seulement le « renforcement des apprentissages mathématiques », l’« acquisition de savoirs et de savoir-faire indispensables à la réussite au cycle 4 en mathématiques et dans les autres disciplines scolaires », le « renforcement de compétences d’analyse, de raisonnement, de logique, d’argumentation » qui permettront « l’exercice éclairé de la citoyenneté ». On aborde aussi de façon explicite « le développement de compétences psychosociales », le « bienêtre psychique », la capacité à « construire des interactions positives avec autrui ». La « lutte contre les déterminismes sociaux et les inégalités entre les filles et les garçons » est également évoquée. Je trouve ces lignes absolument fondamentales.

La suite des principes remet en lumière l’importance de la résolution de problèmes, de la mémorisation et du développement d’automatismes, la place de l’écrit, de l’oral, de la pensée algébrique et de la pensée informatique. C’est plus classique, mais incontournable.

Volteface

En revanche, un paragraphe a fait grand bruit dans la communauté enseignante : celui qui parle de l’organisation du travail des élèves. On lit dans ces lignes que, si c’est en classe qu’on apprend en priorité, il devient « indispensable » de proposer des travaux « en dehors de la classe, notamment l’apprentissage des leçons et la résolution d’exercices d’application et d’entrainement ».

Ah ! Voilà une grande nouveauté au gout de volteface : alors que les devoirs écrits étaient proscrits à l’école élémentaire, les revoici en force. Le texte précise que l’enseignant ou l’enseignante doit donner aux élèves la possibilité de réaliser ces travaux de façon autonome, et donc avoir « explicité clairement l’objectif, les enjeux et les attentes du travail ».

Après les principes, on tombe directement sur le début du programme, à savoir les nombres en CM1. Je me suis arrêtée un moment pour revenir en arrière : j’ai cru avoir raté une page. Mais non : la page qui figurait dans le futur ancien programme, intitulée « compétences travaillées », a disparu.

Un regret

Voilà pour moi un regret : si ces compétences (chercher, modéliser, représenter, raisonner, calculer, communiquer) ne sont pas totalement passées à la trappe (on les lit dans les principes, dans le paragraphe résolution de problèmes), elles ont visiblement perdu en visibilité. Je trouve cela dommage : l’entrée dans l’exercice des mathématiques par les compétences me parait pertinente, dans le sens où elle privilégie le décloisonnement des notions, évite les chapitrages trop rigides, permet les liens internes et externes aux mathématiques et donne du sens au fait même de faire des maths.

Dans la suite, ce projet de programme contient son lot de nouveautés et d’abandons. Il me semble qu’il y a nettement plus de nouveautés que d’abandons, mais ce n’est pas forcément un problème en soi : si on décide d’aller moins loin dans chaque thème étudié, on pourra en effet élargir l’éventail de ce qui est étudié.

Un levier de progrès

Les apprentissages liés au nombre sont clairement anticipés, et je pense que c’est une bonne chose : se familiariser avec les fractions et les décimaux plus tôt est sans doute un levier de progrès pour les élèves. Les patterns et la pensée algébrique, la notion de bissectrice, les probabilités (grande nouveauté en cycle 3 et à l’école !) font leur retour ou leur entrée. La proportionnalité fait figure de thème à part entière et n’est plus intégrée à tous les autres thèmes, ce qui me semble une bonne idée, vu la difficulté de ce concept : l’isoler le met en évidence et en souligne l’importance.

On trouve aussi des références directes à l’histoire des mathématiques, avec des exemples, au sein même du programme, et non seulement dans les documents d’accompagnement. Des éléments franchement didactiques apparaissent, comme la distinction entre propriété et définition, beaucoup plus précise dans le projet de programme : « L’élève comprend la différence entre une définition et une propriété. Il sait qu’une définition lui permet d’affirmer qu’une figure donnée est de la nature envisagée. Il sait aussi qu’une propriété précise un certain nombre d’éléments vérifiés par une figure, mais que ces éléments peuvent être insuffisants pour caractériser la figure en question. »

Parmi les disparus, on peut relever par exemple les nombres premiers, l’étude de certaines grandeurs selon les niveaux de classe, l’aire du disque par exemple.

Une forme hybride

Dans les critiques que j’ai entendues de la part de collègues revient beaucoup la forme franchement hybride de ce projet de programme. Je le comprends : le texte est très exemplifié, ce qui peut sembler injonctif. J’ai apprécié le côté « parole de prof », que j’ai trouvé bien calibrée. Mais c’est vrai qu’on peut se demander si les propositions didactiques ou pédagogiques relèvent du formatage ou des pistes en forme de propositions : tout dépend comment le reçoit le lecteur ou la lectrice. Les fameux diagrammes en barres emblématiques de la méthode de Singapour, par exemple, figurent bien sûr dans les pages, mais pas seulement.

Enfin, un point m’intrigue : les exemples de réussite ne figuraient pas dans les programmes eux-mêmes, auparavant, mais dans les attendus. Aurons-nous quand même des documents d’attendus ?

Alors, que conclure quant à mes premières lectures de ce projet de programmes de mathématiques au cycle 3 ? J’y lis un véritable virage : les contenus me semblent ambitieux, répondre à certaines réelles difficultés des élèves. J’y vois aussi un ton nouveau. Il reste à voir ce que les enseignants, mais aussi les cadres de l’Éducation nationale feront de ce texte et quelles intentions ils y liront. Car, quelle que soit la façon dont on reçoit un message, son application est ensuite déterminante.

Claire Lommé
Enseignante de mathématiques, coordinatrice ULIS en collège

La consultation sur les projets de programmes pour le cycle 3 est en ligne sur le site Éduscol du 13 janvier au 7 février 2025.

Le débat dans nos pages sur ces projets de programme est ouvert à tous ceux qui le souhaitent, professeurs des écoles, de français, de mathématiques. Pour proposer une contribution, envoyez un mail à redaction[at]cahiers-pedagogiques.com (remplacer [at] par @).

Claire Lommé a publié sur son blog d’autres articles ou vidéos à propos de ce projet de programmes.


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