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Nouveaux programmes de technologie : quels changements ?

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Les nouveaux contenus d’enseignement destinés à la classe de sixième, parus en 2005, sont précédés d’une introduction générale présentant les orientations pour la technologie au collège. Ce texte prévoit d’organiser l’enseignement autour de thèmes, préconise des démarches d’investigation, de résolution de problèmes, indique que les supports d’enseignement sont à choisir parmi les domaines du transport ou de l’habitat, et intègre les technologies de l’information. En ce sens, il constitue une rupture par rapport aux programmes précédents.

Des changements fondamentaux

L’étude présentée dans cet article concerne les programmes de sixième, cinquième, quatrième, troisième publiés en 1995, 1997, 1998 et les textes parus en 2005, comprenant l’introduction générale et les nouveaux contenus de sixième.

L’analyse des textes officiels conduit à mettre en évidence deux conceptions différentes pour la technologie au collège et sa place dans la scolarité de l’élève. Si les deux préambules inscrivent la discipline dans la continuité de l’école primaire, le programme de 1995 indique que l’arrivée dans un établissement doté de locaux adaptés, d’équipement diversifié et la présence d’un enseignant spécialiste permet de compléter l’expérience pratique et de consolider quelques compétences. L’accent est alors mis sur les réalisations de produits, tandis que les programmes de 2005 prolongent l’enseignement de l’école primaire en basant les contenus sur l’analyse d’objets techniques existants.
Dès lors, les démarches préconisées diffèrent. Dans les programmes de 1995, les activités de fabrication de sixième, puis les scénarios du cycle central, constituaient des étapes de préparation à la réalisation d’un projet répondant à un besoin. Les travaux effectués en classe devaient pouvoir être comparés à ceux d’entreprises industrielles ou tertiaires. Ce n’est plus le cas dans le nouveau programme où les activités de fabrication sont conduites selon une démarche de résolution de problèmes. Les séances d’analyse d’objet ou de système font appel à une autre démarche, dite d’investigation, nouvelle pour l’enseignement de la technologie collège.
En cohérence avec ces changements, l’étude des bulletins officiels conduit également à constater une disparition du terme « notion », remplacé par « connaissance »[[Par exemple, « fonction d’usage », « tolérance » ou encore « principe technique » apparaissent en tant que « notion » dans les programmes non modifiés du cycle central ou de troisième tandis qu’ils sont considérés comme des « connaissances » dans les nouveaux contenus de sixième.]]. Au-delà d’une différence de dénomination, c’est d’un changement de point de vue sur la discipline qu’il s’agit, avec le passage d’un pilotage par les compétences à un apprentissage de connaissances. Mentionner des connaissances dès la présentation générale puis systématiquement dans les contenus d’enseignement semble indiquer qu’une primauté leur est accordée par les rédacteurs des nouveaux programmes. Ce n’était pas le cas dans les précédents textes officiels où les notions n’étaient indiquées qu’à partir du cycle central. Cette modification apparaît aussi dans l’évaluation. Trois composantes étaient définies dans les programmes de 1995 (implication de l’élève, estimation des progrès, contrôle de la maîtrise de quelques compétences, peu nombreuses, instrumentales ou notionnelles). Dorénavant, en sixième, l’évaluation porte sur les connaissances et compétences formalisées et identifiées comme élément de cours.
Enfin, l’organisation des contenus témoigne aussi d’un changement important, la place des Technologies de l’Information et de la Communication, qui ne font plus l’objet de modules spécifiques dans les nouveaux programmes. Les unités clairement identifiées dédiées à l’apprentissage du traitement de texte, du tableur et d’autres logiciels n’existent plus et les compétences liées aux TIC sont abordées, développées dans le cadre d’activités de communication, de représentation, de réalisation et de pilotage des systèmes techniques.

Toutes ces modifications impliquent des transformations des pratiques enseignantes et posent la question de la spécialité du professeur de technologie.

Des conséquences pour les enseignants et pour la classe

Pour les enseignants, la mise en place d’activités d’analyse d’objet constitue une évolution dans leurs pratiques. Toutefois, l’analyse de système est présente dans de nombreuses formations technologiques dont sont issues une grande partie des professeurs de la discipline. Aussi cette introduction semble moins difficile que la mise en œuvre de deux démarches, investigation et résolution de problèmes, jusqu’alors réservées à l’enseignement scientifique et mal connues des enseignants de technologie.
Parallèlement aux éventuelles difficultés rencontrées dans leurs pratiques s’ajoute un questionnement sur la spécialité professionnelle, perceptible au travers des listes de diffusion (Pagestec ou Assetec par exemple). D’une part, la compétence de chef de projet, qui semblait reconnue au sein de l’établissement, risque de ne plus apparaître comme caractéristique. D’autre part, la décision de ne pas confier la responsabilité des apprentissages informatiques paraît vécue dans les messages comme le déni d’un savoir-faire et la non-reconnaissance de l’engagement des enseignants dans le Brevet Informatique et Internet et souvent dans la maintenance des réseaux du collège.
Quant à la classe, la mise en place d’activités d’analyse entraîne une diminution des tâches de production (1/3 de la répartition horaire actuelle alors qu’auparavant 2/3 du temps y était consacré) et, ce qui n’était pas le cas avant, l’utilisation de maquettes ou de modèles réduits. Toutefois, afin d’éviter un glissement vers une technologie « virtuelle », les documents d’accompagnement précisent que des aller-retour avec l’objet réel sont indispensables.
Pour les élèves encore, la définition par les textes officiels de trois niveaux de maîtrise des connaissances peut laisser supposer une orientation forte vers l’apprentissage de définitions. Cependant, l’analyse de manuels scolaires ne montre pas de différences très importantes, des résumés à connaître figurent dans les ouvrages des deux périodes. Des enquêtes dans les classes seraient nécessaires pour constater une modification réelle des exigences des enseignants.

Ainsi, la parution des programmes en 2005 correspond à une nouvelle orientation pour la discipline, avec des implications dans la classe de technologie. Pourtant, si des ruptures sont identifiées, plusieurs éléments restent permanents ou ne sont que partiellement modifiés.

Variations et permanences

En plus des changements présentés ci-dessus, l’analyse des textes officiels conduit à constater principalement des modifications pour les finalités ainsi que pour les notions/connaissances en jeu.
Concernant les finalités, les introductions de 1996 et 2005 ne sont pas rédigées dans les mêmes termes. Pourtant apparaissent trois missions qui semblent devoir être prises en charge par la technologie. La première est une contribution à la culture générale ou, dans les nouveaux programmes, à un socle commun d’instruction. Seuls ces textes évoquent la possibilité d’approfondissement de la culture technologique dans des études ultérieures. La seconde assigne à la technologie, avec des solutions variées, d’aider l’élève à appréhender le monde technique qui l’entoure. Enfin la troisième concerne la place de la discipline dans l’orientation, avec une vocation à éclairer les choix d’orientation ou de participer à l’émergence du projet personnel.
En revanche, les textes divergent dans le rapport au concret. Seuls, ceux de 1996 mentionnent que la technologie vise la valorisation des aptitudes à prendre appui sur le concret pour enrichir ses connaissances. Les nouveaux textes, eux, affichent une volonté de mettre en relation science et technique en montrant qu’ils ont une histoire commune.

À propos des notions, les nouveaux contenus d’enseignement de sixième peuvent être mis en perspective avec les résultats d’une recherche récente (Paindorge, 2005).
Les notions, qui ne sont pas explicitement indiquées dans les nouveaux programmes, peuvent être repérées dans les questions proposées à l’élève tout au long du collège pour appréhender un objet technique mais aussi dans les connaissances à acquérir. Par exemple, à partir des questionnements généraux cités dans l’introduction générale « À quel besoin et à quelle utilisation correspond l’objet, le produit ? A quelles contraintes techniques, humaines, économiques et sociales répond-il ? » sont retenues les notions de « besoin », « fonction d’usage », « produit », « contraintes ».

À l’issue de l’analyse, il apparaît que la liste de notions établie à partir des programmes précédents est légèrement modifiée par l’ajout de quelques notions comme « propriété industrielle », « déchet » ou « document ». Globalement, le nombre évolue peu et il s’agit souvent des mêmes notions.
Mais leur statut diffère. La recherche précédemment citée, menée sur l’ensemble des programmes en vigueur jusqu’en 2004, montrait qu’une majorité des notions contenues dans les programmes du cycle central et de troisième se rassemblait en huit groupes notionnels, chacun s’établissant autour d’une notion qualifiée de « notion-pivot ». Par exemple, des relations de nature sémantique permettent de relier plusieurs notions à celle de « coût », lui conférant alors un statut de « pivot ». Le groupe notionnel ainsi constitué est représenté par la figure 1.

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Les notions de « coût », « entreprise », « produit », « processus », « chaîne », « qualité », « organisation » et « information » présentaient également ce caractère de pivot.
Dans les programmes parus en 2005, seule « fonction » apparaît comme notion-pivot, même si restent présentes les notions de « produit/objet technique », « processus », « coût » ainsi que « information », liée à l’utilisation de l’ordinateur.
Il convient également de remarquer que «information » rejoint d’autres notions comme « principe de fonctionnement », « structure », « matériau », « énergie », « évolution » pour constituer un nouveau groupe notionnel dont la notion-pivot pourrait être « système ». Mais cette notion n’apparaît pas en sixième ; elle semblait prévue pour les classes suivantes.

De plus, la répartition chronologique varie. Plusieurs notions, qui étaient précédemment présentes au cycle central ou en troisième (elles le sont toujours car ces textes sont encore valides), apparaissent dès la première année de collège. C’est le cas par exemple de « arborescence », « répertoire », « principe de fonctionnement », « fonction technique » ou « poste de travail ».

Même si la non-parution de nouveaux contenus pour le cycle central et pour la classe de troisième limite l’étude de la modification à un seul niveau scolaire, la comparaison des résultats obtenus conduit à mettre en valeur quelques permanences. Dans les programmes parus dès 1995, valides jusqu’en 2004, comme dans ceux de 2005, les notions de « produit », « coût», « fonction », information », « organisation » sont citées régulièrement et présentent parfois un statut fédérateur de notion-pivot qui leur confère une certaine importance. Ces résultats sont en cohérence d’une part avec des études antérieures (Doulin, 1996, Lebeaume, 1996) et d’autre part avec des textes de propositions pour l’éducation technologique tels que ceux de la C.O.P.R.E.T (COmmission Permanente de Réflexion sur l’Enseignement de la Technologie).
Toutefois, une notion telle que « système », considérée comme essentielle par M. De Vries (2000), souvent utilisée au lycée, n’apparaît pas de façon significative. La remarque vaut également pour « qualité », qui pourtant présente une importance dans la vie économique.

C’est alors la question « que faut-il apprendre en technologie ? » qui est posée. La réflexion concerne toutes les disciplines scolaires et n’est pas nouvelle. Cependant, dans un contexte de socle commun qui évoque « la culture scientifique et technologique », dans un contexte d’expérimentation d’un enseignement intégré de sciences et de technologie au collège, il apparaît urgent d’apporter des éléments de réponse et de rechercher quelles sont les finalités, les démarches, les notions spécifiques de la technologie et celles qui seraient communes à d’autres contenus d’enseignement.

Martine Paindorge, Professeur de technologie, Collège les Tilleuls 55200 Commercy.


Références bibliographiques
De Vries, M., Enseignement et apprentissage des concepts de base en technologie, Skholê n° 11, pp.75-86, 2000.
Doulin, J., Analyse comparative des difficultés rencontrées par les élèves dans l’appropriation de différents types de graphismes techniques en classe de seconde option TSA, Thèse de doctorat en sciences de l’éducation, Cachan : Lirest-E.N.S., 1996.
Lebeaume, J., Trente ans de technologie en France 1960-1990 : Une discipline à la recherche d’elle-même, Aster n°23, pp.9-42, 1996.
Paindorge, M., Contribution à la progressivité des enseignements technologiques. Les notions dans l’éducation technologique, Thèse de doctorat, Cachan : ENS., 2005.
Textes de référence (Rapports de la COPRET 1 et 2), Sèvres : Centre International d’Etudes Pédagogiques, 1992.