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Livre du mois du n° 574 : La laïcité à l’école, pour un apaisement nécessaire

Paul Devin (dir.). Les éditions de l’atelier, 2021

J’ai ouvert ce livre quand Jean-Michel Blanquer a lancé l’opération de formation à la laïcité avec des propos soupçonneux sur l’engagement républicain des enseignants. J’y ai d’abord lu une interpellation de Paul Devin : « Ne devons-nous pas constater, au contraire, que c’est l’attachement de l’ensemble de la communauté scolaire aux valeurs de tolérance et de laïcité qui prédomine largement ? »

La coïncidence n’est pas fortuite. Le contexte est à la radicalisation du discours ministériel sur la laïcité : mise sous l’éteignoir de l’Observatoire de la laïcité, rapport devant la commission du Sénat de Jean-Pierre Obin, publication par le ministère du Nouveau guide républicain qui a mis au cœur des éléments de langage du ministre l’expression « atteintes à la laïcité ». Sous cette étiquette sont rassemblés des faits divers dont l’unité est, comme le signale Nicolas Cadène dans sa belle préface, le fruit d’un débat qui « se concentre quasi exclusivement sur la visibilité de l’islam et sur les tensions qui naitraient majoritairement de l’expression de l’appartenance à cette religion ».

Le sous-titre « Pour un apaisement nécessaire » dit tout. Il s’agit d’un antidote au discours médiatique et politique dominant, d’une dénonciation sans ambigüité des utilisations démagogiques et faussement sécuritaires de la laïcité à l’école. Les innombrables citations des fondateurs (Condorcet, Ferry, Buisson, Briand, Jaurès, etc.) rappellent la longue marche de la laïcisation de l’école, le temps qu’il a fallu pour imposer la séparation de l’Église catholique et de l’école publique dans un combat inachevé. Les premiers chapitres rappellent aussi que le combat pour la laïcité a été celui de la gauche républicaine, lié aux luttes pour la justice sociale, qu’il est vain aujourd’hui comme hier de les dissocier. Jean-Paul Delahaye s’exclame : « Il parait que laïcité à la française, c’est le « vivre ensemble ». Et si l’on cessait de se payer de mots creux en commençant tout simplement par scolariser ensemble ? » Pour autant, « la question sociale n’explique pas tout », n’excuse pas tout et ne justifie aucun renoncement.

La partie centrale du livre donne la parole aux enseignants qui, au quotidien, ne renoncent pas. Les auteurs ne présentent aucun projet exceptionnel, aucun acte « héroïque » et encore moins sacrificiel. Juste leur travail patient, bienveillant et exigeant : ainsi le témoignage d’Anne-Laure Hartman, professeure en lycée professionnel à Reims. Je me retrouve aussi dans le propos de Claire Guéville, professeure en lycée à Dieppe : « Selon certains, étudier en classe des caricatures ferait office de profession de foi laïque dans un système éducatif trop prompt à en rabattre sur les principes, mettant en péril rien moins que la nation. » Et elle défend, comme les autres auteurs, une pédagogie du doute, de l’apprentissage de la raison, de la preuve, de la dissociation entre savoir et croyance, qui prend du temps, parce que « croire, c’est ce qu’il y a de plus facile, et penser, ce qu’il y a de plus difficile au monde » (Ferdinand Buisson cité par Guy Dreux).

La troisième partie de l’ouvrage examine une série de questions ouvertes, d’inachèvements (en Alsace-Moselle) et d’objets de débats (dans les écoles normales d’hier, dans l’université d’aujourd’hui). J’ai été particulièrement interpellé par le texte d’Alain Policar qui discute avec finesse la thèse de Catherine Kintzler, dont les écrits sont cités et parfois récités comme un crédo dans les formations à la laïcité.

Sort-on vraiment apaisé de la lecture de ce livre combattif et mobilisateur ? Paradoxalement, oui. Parce que ici, la réflexion pédagogique et la réflexion syndicale dont les temporalités différentes ont parfois tendance à séparer, se rejoignent, et pas seulement dans une opposition commune !

Yannick Mével

Questions à Paul Devin

Pourquoi ce livre et comment avez-vous choisi les auteurs ?

Ce livre veut réagir à la mise en cause croissante de l’école publique qu’on accuse de renoncer à la laïcité. Il veut témoigner que, contrairement à ces accusations, la volonté éducative est toujours présente sur le terrain, malgré les difficultés qu’elle peut rencontrer. Ont écrit dans l’ouvrage des autrices et auteurs qui, quoique pouvant avoir des analyses, des positions, des pratiques pédagogiques sensiblement différentes, ont voulu contribuer à contrer cette rhétorique de l’effondrement et de la lâcheté pour affirmer, au contraire, l’engagement de l’école, de ses enseignantes et de ses enseignants. Pour cela, le livre mélange des témoignages de pratiques professionnelles et des écrits plus théoriques sur la laïcité, sa sociologie et son histoire.

Plusieurs auteurs de l’ouvrage rappellent que la laïcité a été un long combat et qu’elle le demeure. Et aujourd’hui, si combat il y a, contre qui ou quoi ?

La laïcité est un combat contre ceux qui veulent restreindre la liberté de conscience et le libre exercice des cultes que l’article 1er de la loi de 1905 veut garantir. Ces finalités nécessitent la séparation des Églises et de l’État. Mais la laïcité ne doit pas être instrumentalisée.
Pour ce qui est de l’école, ce terme, « combat », peut prêter à ambigüité si on l’utilise pour justifier de stratégies d’exclusion, de stigmatisation ou de domination, notamment par des prescriptions comportementales ou des autoritarismes institutionnels. S’il y a « combat », il relève de la démocratie du débat, de la rigueur de l’argumentation et de l’exigence du travail intellectuel qui permettent la construction d’une culture commune. Et cette culture commune est à la fois capable de l’affirmation de valeurs et de la reconnaissance de diversités, ce qui n’est évidemment pas synonyme de communautarisme !

Pourtant vous parlez d’apaisement. Comment faire pour tenir bon et apaiser à la fois ?

À la fois tenir bon et apaiser, c’était l’idée même des fondateurs de la laïcité. Dans la lettre qu’il adresse aux instituteurs en 1882, Jules Ferry leur demande à la fois de « ne pas froisser » et de « parler hardiment ». Et on pourrait multiplier les citations de Ferdinand Buisson qui vont dans ce sens.
Bien sûr, certains dénonceront l’usage du terme « apaisement » et sous-entendront sa parenté avec le « pas de vague », voire la lâcheté. Mais l’appel à un apaisement n’est en rien un renoncement. Il affirme notre refus que la laïcité puisse être instrumentalisée au service d’une idéologie qui, prétendant lutter contre les risques de séparatisme, organise la stigmatisation et les fractures. Il affirme aussi que le travail intellectuel et culturel qui permet de construire une capacité de jugement raisonné demande un contexte apaisé. On ne réfléchit pas, on ne pense pas au milieu des injonctions, des suspicions, des stigmatisations. C’est cela qui nous conduit à prôner l’apaisement, sans le confondre avec un renoncement.

Le nouveau Guide républicain produit par le ministère propose des « fiches pratiques » pour agir en situation d’atteinte à la laïcité. Critiquez-vous leur conception ?

Il est bien sûr utile et légitime d’aider les enseignantes ou enseignants à répondre aux difficultés parfois complexes et éprouvantes auxquelles ils sont confrontés. Et certaines situations doivent donner lieu à réaction. Mais l’essentiel de l’éducation à la laïcité n’est pas de réagir à des atteintes, mais de transmettre et construire les savoirs communs qui vont permettre aux élèves de résister aux stéréotypes, aux mensonges, aux endoctrinements, aux dogmes liberticides. Le pari d’une école démocratique est le pari patient de l’éducation, de la pédagogie. C’est le choix de la construction d’un jugement libre et raisonné, choix qui renonce aux contraintes comportementales et aux pressions de quelque nature qu’elles soient. Cela ne produit pas des adhésions immédiates, mais c’est la condition d’une liberté de conscience éclairée.

Jean-Michel Blanquer a lancé le 19 octobre dernier un plan de formation des personnels à la laïcité et aux valeurs de la République. Qu’en pensez-vous ?

D’évidence, le développement de la formation est nécessaire. Mais en confier l’organisation à Jean-Pierre Obin qui a accusé, devant la représentation nationale, les enseignants d’être naïfs, lâches et complaisants avec l’idéologie islamiste, n’est pas un gage de sérénité et de confiance ! Cela se poursuit par une accusation, portée par le ministre lui-même, le jour du lancement de ce plan de formation, que nombre d’enseignants « ont des problèmes avec les valeurs de la République ». On peut se demander quelle place il restera à une formation à la pédagogie de la laïcité dans cette opération manifestement essentiellement préoccupée par une communication asservie à l’idéologie, voire aux perspectives électorales. À l’inverse, il faudrait réunir les conditions qui permettent des débats et des échanges éclairés par des apports juridiques, historiques, sociologiques, et capables d’élaborer des réponses éducatives et pédagogiques.

Propos recueillis par Yannick Mével et Jean-Michel Zakhartchouk

Article paru dans le n° 574 des Cahiers pédagogiques, en vente sur notre librairie :

 

 

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