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L’école dans et avec la nature : la révolution pédagogique du XXIe siècle

Corine Martel et Sylvain Wagnon, ESF sciences humaines, 2022

Face à l’intérêt récent pour les questions de nature et de pédagogie au dehors en milieu scolaire, l’ouvrage de Corinne Martel et Sylvain Wagnon se positionne dans un espace jusqu’à présent marqué par un relatif manque éditorial. L’ambition annoncée dès les premières pages est de proposer une synthèse scientifique sur la question, agrémentée de propositions pratiques. La thèse défendue est que l’école connaitrait actuellement une révolution pédagogique, qualifiée « de velours », par la pénétration plus grande de la nature dans le curriculum réel des élèves.

Pour autant, et c’est un point fort de l’ouvrage, les auteurs montrent qu’en Europe, via les courants de l’éducation nouvelle et les expériences de Forest schools, l’intégration de l’environnement naturel comme agent à part entière de l’éducation des enfants n’est pas récente puisqu’elle existe depuis la fin du XIXe siècle. La synthèse bibliographique sur les apports et les caractéristiques de l’enseignement dans la nature est également bienvenue. Essentiellement basée sur des références anglo-saxonnes, elle permet d’alimenter avec bonheur l’argumentation sur les bénéfices recherchés et éprouvés de ces pratiques en réponse à des interrogations technocratiques centrées sur l’évaluation et la recherche d’efficacité de tout acte pédagogique. Elle sera ainsi d’une grande aide aux enseignants souhaitant légitimer leur choix d’exercer extramuros.

Des pistes concrètes, mais des manques

De même, le chapitre reposant sur les aspects plus pratiques de l’intégration dans les espaces et les contenus de davantage de biodiversité en milieu urbain repose sur une expertise du « terrain » scolaire qui se nourrit d’exemples précis, en particulier à Montpellier, ville bien connue des auteurs. Les conseils sur les « premiers pas » se fondent également sur ce regard pragmatique en donnant des pistes concrètes aux lecteurs enseignants.

En revanche, les terrains de recherche et les travaux francophones sur l’éducation par et dans la nature font défaut à cet ouvrage. On ne peut que s’étonner de l’absence de références aux chercheurs de l’éducation relative à l’environnement qui travaillent depuis plus de trente ans sur la question et encore davantage aux autrices ayant rédigé des ouvrages récents sur le sujet de l’éducation au dehors, telles que Christine Partoune (« Reprendre pied » dans le n° 570 des Cahiers pédagogiques).

Ces lacunes conduisent à deux écueils. Le premier, historique, est l’invisibilisation de la contribution effective dans le contexte français des associations d’éducation à l’environnement au développement de l’éducation par la nature, y compris en milieu scolaire. Le second, théorique, est le manque de clarification axiologique. Le dualisme entre humains et nature est très justement pointé mais les auteurs ne s’en départent pas dans leur propos (on notera la fréquente utilisation du mot « hommes » pour désigner les humains). De fait, aucune distinction n’est réalisée entre éducation dans et par l’environnement et éducation au développement durable (incorrectement datée de 1977) alors même que les valeurs et les finalités éducatives qui les sous-tendent sont très différentes.

Tout se passe comme si, au nom de l’urgence de développer une écocitoyenneté et de nouveaux rapports entre les êtres humains et leur environnement, l’examen approfondi de ces notions n’était pas nécessaire, alors même que le premier chapitre est annoncé comme y contribuant.

Enfin, même s’il est indéniable que l’introduction de l’enseignement extramuros dans le contexte scolaire bouscule les habitus enseignants et les formes scolaires instituées, le lien entre immersion scolaire dans la nature et développement d’une conscience socioécologique est-il si évident ? En quoi, l’introduction dans les apprentissages expérientiels, émotionnels et cognitifs, de plus de nature dans l’école, même si elle est grandement souhaitable, occulterait-elle des contrats implicites au cœur de l’enseignement pouvant justement y faire par ailleurs obstacle ?

Pour conclure, si cet ouvrage, qui tient plus au fond de l’essai que de la synthèse scientifique, est un jalon indispensable sur le chemin de l’ouverture de l’école vers la nature, il ne saurait être qu’une des premières pierres d’un chantier théorique et praxéologique à investir sur le terrain scolaire.

Aurélie Zwang