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Le français, matière à risque
Normalement, il y a des choses qui devraient plaire, en français. Les thématiques choisies par l’enseignant en fonction de sa classe, par exemple : une souplesse que permettent largement les programmes en lecture, entre les innombrables classiques et la littérature de jeunesse. De même, les activités d’ écriture laissent une large place à la créativité, de l’enseignant comme des élèves : la variété des écrits et des supports possibles proposés est infinie.
Mais le «français» génère aussi des difficultés particulières ; dans certaines classes, elles vont s’ajouter à ce je ne sais quoi qui fait que ça passe mal, que la classe et l’enseignant se crispent, chacun renvoyant l’autre à ses insuffisances.
Autour de la lecture, souvent. «Trop longs, trop difficiles, les textes que vous donnez à lire. Je n’y comprends rien. Non, je n’ai pas trouvé la réponse à la question. Non, je n’ai pas lu les quinze pages demandées, je me suis arrêté à la deuxième, je ne savais plus qui était qui. Trop de personnages. Et d’ailleurs, j’ai oublié mon livre.»
Autour de l’écriture. «Je n’ai pas d’idées, c’est pas de ma faute. On n’est pas des écrivains. Se mettre à la place d’un personnage, mais je ne sais pas, moi. Vous nous donnez des choses trop dures. Ma mère n’a pas compris le sujet non plus.»
Autour du travail sur la langue. «Pourquoi vous nous faites pas copier des leçons ? L’an passé, c’était pas comme ça, on avait des interros de conjugaison, c’était bien». Et ce qui n’est qu’expression ponctuelle de quelques élèves comme alibi à une absence de travail intellectuel peut verser dans le mécontentement généralisé et perturber largement les séquences didactiques si rigoureuses préparées, les progressions prévues et les dispositifs ingénieux.
En fait, il est probable que le français cristallise bien des difficultés, si l’on veut bien lui donner tout son rôle et ne pas se contenter de la facilité des exercices mécaniques en renonçant aux exigences.
Par exemple, la lecture, c’est comme se lancer à vélo : on a beau encourager, tenir la selle, blaguer, montrer l’exemple du copain tout content de savoir faire, il y a un moment où c’est à chacun de se lancer, seul avec sa tête et son corps, avec ses ressources et celles du matériau qui lui est donné. Un texte, c’est une rivière à traverser.
Et certains élèves, au moment de se lancer, reculent, veulent contourner, cherchent des stratégies pour échapper à cette «peur d’apprendre» trop mal connue des enseignants. S’ils sont quelques-uns dans une classe et sont bien écoutés par d’autres, la situation devient difficile.
En écriture, on débloque bien des crispations en pratiquant les réécritures successives, mais l’argument peut se retourner : «quoi, j’ai écrit deux pages et il faut que je retravaille encore ça ?»
La solution serait-elle dans le projet qui donne du sens et fédère les apprentissages ? Sur le fond, plutôt oui, mais ce n’est pas si simple. Dans telle quatrième, avec seulement un tout petit nombre d’élèves motivés et dynamiques et quelques perturbateurs entrainant facilement les autres, on renonce au projet de petite brochure de poèmes écrits par eux-mêmes, qui à priori les intéressait, mais ce n’est pas un abandon complet, car on affiche quand même un florilège de textes écrits péniblement à partir de structures communes, en veillant bien à valoriser les productions (souvent collectives) d’élèves parfois très agités, mais fiers de voir «leur» texte sur le panneau au fond de la classe.
Dans une autre classe, c’est un embryon de travail d’équipe, y compris pour évaluer ensemble au fil des semaines le «comportement» qui permet de mener à bien un ambitieux travail de théâtre et d’écriture, mais où on combine les sanctions (jusqu’à retirer certains élèves des aspects publics du projet) et la nécessaire motivation qui conduit à de belles réussites.
Bref, si on veut tenir l’objectif de l’exigence intellectuelle, du projet au long cours, de l’apprentissage de l’autonomie, tout en se battant pour que chaque élève, d’où qu’il parte, se (re)mette à apprendre, il faut être conscient qu’on va parfois vers des conflits. Et ne pas renoncer, inventer des stratégies, sans garantie de résultats visibles, surtout dans le court terme.
Jean-Michel Zakhartchouk, Florence Castincaud
Professeurs en collège