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Le coenseignement en pratique

Rachel Harent, éditions Retz, 2023

« Un professeur, une classe » reste la forme scolaire la plus répandue. Cette organisation a le mérite de la simplicité. Mais elle ne correspond ni à la réalité de toutes les classes, ni à l’aspiration de nombreux enseignants en quête d’approches plus collaboratives et plus proches des besoins des élèves. Pourquoi ne pas tenter à votre tour le coenseignement ?

Une pratique sur laquelle nous avons désormais suffisamment de recul pour en mesurer les bienfaits. Cet ouvrage fait la synthèse des recherches menées sur le sujet, tout en proposant des clés pratiques pour la mise en œuvre : quelle forme choisir, comment être complémentaire, comment communiquer ? Les difficultés ne sont pas passées sous silence. Elles servent au contraire de point de départ pour la proposition d’outils pratiques : préparation, organisation entre pairs, coplanification, coévaluation…

Le coenseignement laisse aussi beaucoup de liberté dans la mise en œuvre.

 

Entretien avec Rachel Harent, qui est aussi membre du comité de rédaction des Cahiers pédagogiques

Parlons d’abord de ton expérience personnelle, qui donne toute leur légitimité à tes propos…

En 2013, en même temps qu’était mis en place le dispositif « plus de maitres que de classes », je suis devenue coordonnatrice d’un REP (réseau d’éducation prioritaire). À ce titre, j’accompagnais notamment les enseignants et les écoles dans la mise en place de ce dispositif. En parallèle, l’année suivante, j’ai commencé un master 2 MEEF (métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation). J’y ai initié une étude sur le dispositif naissant « Plus de maitres que de classes ». Et depuis, au sein du Centre de ­recherche sur l’éducation, les apprentissages et la didactique (Cread) de l’université de Bretagne occidentale, je poursuis ces recherches sur la construction de l’expérience des coenseignants (professeurs titulaires et enseignants spécialisés, ou professeurs disciplinaires au collège). J’ai également une expérience du coenseignement en tant qu’enseignante surnuméraire et en tant qu’enseignante titulaire d’une classe avec une collègue spécialisée d’un Rased (réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté).

Et donc, à partir de là, un projet de publication…

Ayant accumulé durant ces neuf années de l’expérience personnelle, des résultats de recherche en sciences de l’éducation et de la formation, de nombreuses lectures sur le sujet et la coordination du dossier du no 566 des Cahiers pédagogiques « La co-intervention : à deux dans la classe », j’ai eu envie de partager cet état des lieux. Le CRAP-Cahiers pédagogiques m’a donné l’occasion d’entrer en contact avec les éditions Retz. De là est né un partenariat et la publication de cet ouvrage.

En quoi l’ouvrage peut-il être utile aux enseignants ?

Ce livre a été conçu avec un double objectif : permettre aux enseignants de découvrir ce qu’est le coenseignement, et répondre aux multiples questions que se posent les coenseignants (débutants ou plus expérimentés). Il est également le fruit d’un double apport, celui de la recherche francophone et internationale et celui de témoignages issus du terrain. Ces témoignages de pratiques ne sont pas des modèles à suivre, mais des exemples qui peuvent inspirer les enseignants et les aider à mettre en œuvre leur propre coenseignement en fonction de leur contexte de travail (niveau de classe, savoir à enseigner, composition du groupe, complémentarité entre coenseignants).

On parle parfois de co-intervention ou de coenseignement de façon indifférenciée. Est-ce la même chose ?

Dans les textes officiels, que ce soit pour les Rased, les Segpa (sections d’enseignement général et professionnel adapté) ou la voie professionnelle, c’est le terme co-intervention qui est mis en avant. Cependant, il a deux acceptions distinctes, ce qui peut engendrer des incompréhensions. La co-intervention peut être le fait d’avoir en classe un professeur et un autre professionnel – l’AESH (accompagnant d’élève en situation de handicap) ou un intervenant extérieur, éducateur sportif ou culturel par exemple – ou bien le fait d’être deux professeurs en classe.

Nous lui préférons le terme de coenseignement, qui correspond pleinement au fait d’enseigner à deux en classe, et donc d’avoir deux professeurs auprès des élèves.

Le coenseignement est souvent présenté comme innovant…

D’un côté, cela peut paraitre paradoxal, puisque cette pratique pédagogique existe depuis de nombreuses années, à minima depuis les années 70. D’un autre, le coenseignement est innovant dans le sens où la forme traditionnelle de l’enseignement reste majoritairement « un professeur, une classe » ; il est donc innovant pour tous les enseignants qui le découvrent et développent des séances d’enseignement-apprentissage à deux au sein de la classe.

Tu présentes des exemples en France, mais également ailleurs. Quel est l’intérêt de présenter ce qui se fait dans d’autres pays ?

Aller voir ce qui se fait à l’international permet d’ouvrir les possibles. Aux États-Unis, par exemple, dans le cadre de l’école inclusive, le coenseignement (co-teaching) est mis en pratique depuis les années 90. L’expérience acquise est un atout sur lequel nous pouvons nous appuyer.

De même, les résultats de recherches en France comme à l’étranger permettent de documenter ce qui se fait, et de répondre à certaines questions : À quel public s’adresse­-­­t-il ? Pour quels objectifs ? Pour quelle durée ? Quels en sont les avantages et bénéfices pour les élèves et pour les enseignants ? Quels sont les points de vigilance à avoir ? Comment penser son coenseignement d’un point de vue didactique ? Est-il aussi chronophage qu’on le pense ? Comment partager l’autorité en classe ? Quels ajustements réciproques provoque-t-il ? Comment préparer son coenseignement ? Comment concrètement mettre en œuvre les sept modalités de coenseignement décrites dans la littérature ? Comment l’évaluer ? Ce sont autant de questions auxquels nous avons cherché à répondre.

Finalement, comme tu l’écris, il ne suffit pas d’être deux en classe pour « faire coenseignement » ?

En effet, nous l’avons notamment vu au démarrage des dispositifs « Plus de maitres que de classes », dans les injonctions faites aux enseignants spécialisés des Rased ou lors de la réforme de la voie professionnelle. Du jour au lendemain, des professeurs ont dû travailler ensemble au sein de la classe. Cela ne s’est pas toujours fait dans la joie et la bonne humeur. De nombreux freins ont émergé. Coenseigner, c’est changer ses pratiques : on ne coenseigne pas comme on enseigne seul en classe. Cela nécessite notamment de faire une place au collègue, de partager la responsabilité du groupe, de partager l’autorité en classe et la gestion des élèves, de partager l’espace et les rôles. « Faire coenseignement » engage un double processus, un processus temporel, qui nécessite une rencontre, des discussions, des observations, des négociations, des concessions, des ajustements, et un processus collaboratif, qui comprend la copréparation, la co-instruction et la coévaluation des apprentissages.
Dans cet ouvrage, nous cherchons à montrer, au travers de nombreux témoignages et en mettant à disposition des lecteurs des grilles de préparation et d’évaluation, comment il est possible de faire évoluer ses pratiques et d’entrer en coenseignement.

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk

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