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Le Café pédagogique n’intéresse pas le ministère

Est-ce que, à votre avis, le souci de faire des économies suffit à expliquer la suppression de la subvention au « Café pédagogique » ?
Notre subvention était suffisamment modeste pour relativiser l’argument. Dans les échanges avec nos interlocuteurs, nous avons senti peu d’intérêt pour la démarche associative et coopérative du Café. Il nous a semblé qu’à leurs yeux cette approche était dépassée et sans avenir. Nous aurions sans doute trouvé davantage de soutien si nous avions présenté un projet commercial avec des contenus payants. C’est sur ce chemin-là qu’on nous pousse. Or, au Café, si nous prenons nos éditions au sérieux, nous ne nous prenons pas pour des éditeurs. Nous sommes d’abord des enseignants et nous pensons que la réussite du Café tient justement dans cette distinction. Enfin certains de nos lecteurs se demandent si ce ne sont pas les orientations pédagogiques du Café, sa vision de l’École qui sont visées par cette mesure.

Qu’est-ce que le Café a changé dans le paysage pédagogique ?
Internet permet d’échanger facilement, pour un coût faible à un rythme rapide et dans un format qui facilite l’appropriation et la réutilisation. C’est l’outil rêvé pour avancer des idées, pour faire connaître ses travaux, pour les mutualiser. L’audience du Café (85 000 abonnés, 300 000 visiteurs mensuels sur le site) montre d’abord l’intérêt des enseignants pour les questions pédagogiques. Notre flash quotidien d’information pédagogique, l’actualité pédagogique bimensuelle, les articles rédigés par des chercheurs, ceux sur les pratiques en classe sont les rubriques les plus lues du Café. Il y a incontestablement chez les enseignants une grande demande d’informations et d’outils de réflexion. Le Café met en contact la recherche pédagogique et les enseignants et au-delà participe à l’animation du débat sur l’École. Il reflète le désir des enseignants d’être pleinement des acteurs éclairés du système éducatif. Ce que permet le Café c’est d’abord de faire connaître et mettre en discussion les instructions et les orientations officielles. On pourra juger cela sévèrement. Mais nous pensons que l’époque où les instructions descendaient et étaient passivement exécutées est bien morte. Si l’institution souhaite être entendue et comprise cela doit passer par la confrontation et le débat. À cela se lie une demande de formation pédagogique, elle aussi débattue et non assenée. C’est le modèle de la formation par les pairs.
Un autre apport du Café c’est la veille pédagogique qu’il effectue. Le Café rend compte des réalisations des enseignants de terrain telles qu’on peut les appréhender sur Internet. Chaque quinzaine, ce sont plusieurs centaines de sites qui sont analysés dans les principales disciplines du primaire et du secondaire. D’un coté cela expose l’extraordinaire richesse créative des enseignants. De l’autre cela montre le besoin de mutualisation dans la profession. Le Café est vraiment un miroir des pratiques de terrain et un pont entre collègues.
Enfin, très tôt, des parents ont montré leur intérêt pour les ressources du Café. Au point que nous avons développé une page spéciale à leur destination. Nous nous rendons compte maintenant que nous avons de plus en plus de lecteurs lycéens ou collégiens. Cela se voit quotidiennement dans le courrier où des jeunes nous demandent de les aider pour leur orientation (chose bien difficile d’ailleurs !) ou pour trouver des documents pédagogiques. Mais nous avons pris la pleine mesure du phénomène avec le dossier « Bac Brevet 2004 » qui s’est diffusé à plus de 500 000 exemplaires ! Le Café a peut-être réussi à être un point de rencontre entre enseignants, parents et jeunes, tous également intéressés, voire angoissés, par les questions scolaires. C’est inattendu mais cette rencontre est prometteuse.

Est-ce que le Café vous semble plutôt répondre aux besoins de la jeune génération des profs ou est-il fréquenté par un public multi-âges ?
Nous n’avons pas de chiffres précis, mais la lecture du courrier nous apprend que nous avons de nombreux lecteurs chez les enseignants débutants et chez les professeurs stagiaires. Ils trouvent dans le Café les informations nécessaires au concours et parfois y prennent goût. L’idée que les questions pédagogiques n’intéresseraient pas les jeunes ne nous paraît pas fondée. Il y a par contre peut-être des formes de militance pédagogique qui passent plus difficilement le cap des années. Si vous voulez regarder les frimousses de l’équipe du Café vous verrez d’ailleurs que l’équipe compte autant de femmes que d’hommes et que les âges sont à peu près également répartis. C’est à l’image de notre lectorat.

Comment voyez-vous le « destin » de la presse pédagogique actuellement ? (besoin d’échanger des préparations, des cours, des idées ? Quelle place pour des réflexions de fond ?)
Le besoin de rompre l’isolement pédagogique du professeur et de réfléchir sur les pratiques et sur l’École va aller croissant. Il faut inventer et mettre en place de nouveaux outils qui facilitent les échanges entre enseignants, diffusent plus rapidement et plus efficacement leurs créations et apportent rapidement et précisément l’information dont ils ont besoin. Si les collègues sont demandeurs de fichiers pédagogiques par exemple, ce n’est pas tant pour les utiliser directement que pour ce qu’ils apportent de réflexion. Il faut maintenir et développer les liens avec la recherche et traiter les lecteurs pour des acteurs majeurs du système éducatif. Ce qui passe également par le local, un autre chantier… C’est dans ces directions que vont les dernières évolutions du Café.

Quelles valeurs le Café veut-il affirmer pour l’enseignement ?
Nous sommes convaincus que l’innovation pédagogique locale est l’un des moyens qui permettra de surmonter la grave crise que l’École traverse. Nous sommes également convaincus que les technologies de l’information et de la communication sont l’instrument le plus efficace dont nous disposons aujourd’hui à la fois pour la mise en œuvre de l’innovation pédagogique sur le terrain et pour sa diffusion sous forme mutualisée dans l’ensemble des établissements scolaires.
La crise de l’École c’est d’abord celle de sa démocratisation. L’École est au service de la société dans son ensemble et elle ne saurait se satisfaire de la situation actuelle qui règle les difficultés scolaires par l’autorité, la mise à l’écart et la sélection précoce. Parce qu’elle respecte l’homme, l’École doit être solidaire de ces élèves-là.

Propos recueillis par Florence Castincaud et Pierre Madiot.