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Axel Kahn : «  J’ai choisi la médecine par élimination ! »

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Photographie : Axel Kahn, Crédit @QualimeraProd

Axel Kahn est un médecin qui s’intéresse aux questions philosophiques posées par la médecine. S’entretenir avec lui vous amène donc à parler bien sûr de sciences, mais aussi d’éthique, de démocratie, d’éducation et de prévention, et de responsabilité.

Quel a été votre parcours, et votre relation à l’école, enfant ?

J’ai été un très bon élève, dans l’école de mon père d’abord, un philosophe dont j’ai écrit la biographie sous le titre Jean, un homme hors du temps. J’ai ensuite étudié au lycée Buffon où je suis resté jusqu’au moment où toute la famille a contracté la tuberculose, ce qui m’a écarté environ une année des études. Je suis entré en 2de dans une école privée religieuse où je n’ai tenu que six mois tant cela ne me convenait pas. J’y ai cependant eu la chance d’être pris en main par un préfet des études, un jésuite, un homme austère dont les idées n’étaient pas d’une modernité remarquable, mais dont l’exigence pédagogique m’a fait beaucoup de bien. Il a demandé que j’intègre la section que l’on appelait A’, ce qui m’a permis d’étudier les mathématiques, le latin, le grec.

Après mon baccalauréat, j’ai choisi la médecine par élimination ! L’admiration que j’avais pour mes ainés m’a empêché de choisir les voies qu’ils avaient ouvertes. Il ne me restait que les sciences semi-molles, alors j’ai choisi la médecine.

Très tôt, j’ai su que je voulais privilégier une approche scientifique de la discipline. En 1992, j’ai cessé mes consultations et mes gardes de réanimation, pour me consacrer à la direction d’un laboratoire de recherche. En 2007, j’ai été élu président de l’université Paris-Descartes. J’ai adoré l’université, son image que j’assimile à celle d’un chêne profondément enraciné et résistant aux grands vents, ce qui lui permet de croitre jusqu’au ciel ; on pourrait dire : les traditions, l’avenir et la recherche. L’un des groupes thématiques auxquels je consacrais des financements s’appelait « apprendre, savoir, comprendre » et réunissait des professeurs, des spécialistes des sciences de l’éducation, des médecins, des psychologues, des sociologues.

Comment réagissez-vous aux controverses médicales de la période ?

On parle beaucoup d’intuition en ce moment, et celui qui n’a pas d’intuition est un chercheur stérile. Mais l’intuition n’empêche pas de progresser avec méthode et d’avoir des résultats considérés et acceptés par ses pairs. On ne peut pas reprocher l’intuition à Didier Raoult, puisque c’est de lui dont il s’agit, mais il faut lui faire des reproches éthiques fondamentaux. Tant que des études correctement menées n’ont pas montré avec un degré de signification raisonnable que cela fonctionne, l’intuition n’est qu’une hypothèse. Son devoir était de soumettre son traitement aux tests d’essais contrôlés, il ne l’a pas fait et cela est lié à son extraordinaire confiance en lui-même ; il s’est ensuite enferré, jusqu’à ce qu’un mouvement d’opinion amplifié par le phénomène des réseaux sociaux se crée.

Ce phénomène n’est pas nouveau. Souvenons-nous que Le Monde a publié quatre articles sur les travaux portant sur la mémoire de l’eau de Jacques ­Benveniste, qui se terminaient ainsi : « Que maintenant chacun juge. » Non : que chacun vérifie, apporte une série de propositions argumentées et rationnelles. Presque tous les domaines peuvent être justiciables d’une approche démocratique, sauf la vérité, ou, plus exactement, la plus grande probabilité scientifique. La démocratie n’a rien à voir là-dedans.

La Ligue contre le cancer s’investit beaucoup à l’école. Quels axes de prévention voulez-vous privilégier ?

La Ligue contre le cancer est effectivement de toutes ses forces engagée dans la prévention. Mais il faut reconnaitre que cette approche rationnelle est d’une incroyable inefficacité sur les adolescents et les jeunes adultes. Ils comprennent et identifient le risque et ses mécanismes, mais ne se fixent pas la priorité de s’en prémunir. Ça nous pose un problème majeur, aussi avons-nous décidé de nous retourner vers les travaux d’Olivier Houdé qui mettent à l’honneur l’importance des mécanismes d’inhibition. Notre but est d’essayer d’identifier des apprentissages et conditionnements de réflexes inhibiteurs. La Ligue a déjà eu cette approche avec la défense des espaces sans tabac, l’entour des écoles, des stades, des centres de santé, les parcs publics, etc. Cela ne fait pas diminuer la consommation de cigarettes chez les fumeurs, mais peut déclencher un réflexe qui associe des valeurs très positives comme l’enfance, le sport, la santé, la nature, avec l’éviction de la cigarette.

C’est typiquement une approche de psychologie comportementale qui nous permettra peut-être d’augmenter notre efficacité. Un groupe de travail se met en place autour d’Olivier Houdé en vue de produire des livres, des fascicules de conseils, des MOOC (Massive open online course) à destination de nos comités départementaux et, plus largement encore, de tous ceux qui sont impliqués dans l’éducation à la santé. Nous voulons ajouter aux méthodes classiques, honorables mais inefficaces, quelques recettes qui pourraient avoir une plus grande efficacité.

Le sujet du comportementalisme est bien évidemment polémique, mais j’assume, je considère que c’est de ma responsabilité.

Propos recueillis par Jean-Charles Léon


Article paru dans notre n°564, La coéducation permanente, coordonné par Andreea Capitanescu Benetti et Monique Royer, novembre 2020.

Que pouvons-nous faire ensemble pour aider tous les enfants à grandir et mieux apprendre à l’école ? Pour ne pas se contenter d’une cohabitation plus ou moins forcée mais réfléchir à la place de chacun, croiser les regards et conjuguer les actions au bénéfice des enfants ?

https://www.cahiers-pedagogiques.com/sommaire-du-no-564-la-coeducation-permanente-12872/