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Comment interroger sa pratique d’enseignement de l’écriture ?

Si l’idée même que l’écriture soit enseignée en tant que telle ne va pas de soi, on peut se demander, pour les enseignants et les enseignantes qui désirent s’emparer de cette question, quels éléments de la recherche mobiliser pour améliorer ses pratiques. Une première étape peut consister à porter un regard critique sur ses propres pratiques d’enseignant. Pour cela ? L’appui sur des observations issues de travaux de recherches peut se révéler fructueux.

L’enseignement de l’écriture est une activité complexe dont certaines recherches ont mis en valeur la profondeur historique. Penser en termes de modèle didactique nous permet d’interroger la conception même de l’écriture sur laquelle nous nous appuyons, en tant qu’enseignants, et que nous participons à véhiculer. Considère-t-on qu’écrire va de soi après qu’un travail préalable de recherche des idées a été réalisé ? Nous semble-t-il pertinent d’encourager l’expression de soi, quitte à laisser de côté la réflexion sur l’évaluation des productions écrites demandées aux élèves ? Mettons-nous l’accent davantage sur le respect des consignes et des normes, et, dans ce cas, de quelles normes s’agit-il ? Quelle fonction principale accorde-t-on au travail d’évaluation : situer l’élève par rapport au respect des normes qui seront exigées lors des examens auxquels il se présentera ? Organiser un travail de réécriture ? Développer son investissement dans l’écriture en tant qu’auteur du texte ? Et d’où viennent ces conceptions : en quoi hérite-t-on de différents modèles qui cohabitent ?

Pour prendre un seul exemple, dans le cadre d’une thèse récente, un chercheur a étudié la façon dont des enseignants et enseignantes de collège effectuent le travail ordinaire que constitue la correction de textes de fiction, en travaillant de manière précise sur les annotations[[Jean-Luc Pilorgé, « Un lieu de tensions entre posture de lecteur et posture de correcteur : les traces des enseignants de français sur les copies des élèves », Pratiques n° 145-146, 2010.]]. Cette enquête met en lumière différentes postures de correction, du « gardien de la norme », qui contrôle avant tout la conformité du texte au code attendu à la posture de l’éditeur, où le texte est considéré comme « en devenir » et annoté en vue d’une réécriture par l’élève, jusqu’à la « posture du critique », dans laquelle le texte est lu et traité au même titre qu’un texte littéraire qu’il s’agit d’analyser. Si toutes ces postures peuvent coexister, il est intéressant de s’interroger sur le fait que cette dernière (celle de critique) est, dans le corpus étudié, réservée aux copies de bons élèves, tandis que la première domine dans les textes des élèves faibles, quand bien même on peut mettre en doute son efficacité pour amener ces derniers à améliorer leurs productions.

Une autre question que les travaux de chercheurs et de chercheuses peuvent aider à se poser est celle de la place accordée à l’école aux écrits des élèves en dehors de l’école. Sujet pris en charge relativement récemment par la recherche[[Marie-Claude Penloup, « Didactique de l’écriture : le déjà-là des pratiques d’écriture numérique », Le français aujourd’hui n° 196, p. 57-70, 2017.]], les pratiques d’écriture extrascolaires des élèves se révèlent riches et diversifiées, et particulièrement les pratiques d’écriture numérique, contrairement à la doxa qui affirme que l’on n’écrit plus. Pourtant, une nette distinction se construit très tôt, entre l’écriture pour soi, lieu de liberté, et l’écriture pour l’école, considérée par les élèves eux-mêmes sous contrôle (de la langue comme de l’institution[[Marie-Cécile Guernier et al., Ces lycéens en difficulté avec l’écriture et avec l’école, UGA Éditions, 2017.]]). Que faire de cette dichotomie, en classe ? S’il apparait qu’il existe une rupture de fait entre écriture scolaire et écriture en dehors de l’école, l’absence de prise en compte de ces écrits dans les classes n’est pas inéluctable, et l’on peut faire le choix de les faire entrer en classe, non comme nouvelles normes à reproduire dans les écrits scolaires, mais comme objet d’observation et de travail sur l’écriture.

L’écriture, l’affaire du seul cours de français ?

Enfin, considère-t-on que l’écriture est le domaine réservé du cours ou du professeur de français, ou que son enseignement est l’affaire de tous, et de toutes les disciplines ? Si l’on part du principe que l’écriture n’est pas qu’une question de maitrise de la langue, mais une activité dans laquelle s’élabore la pensée elle-même, on s’aperçoit que le travail sur l’écriture trouve sa place dans chaque discipline, qui possède non seulement son vocabulaire, mais également ses modes d’écriture et ses postures énonciatives propres. Les attentes en termes d’écriture sont en effet loin d’être les mêmes selon qu’il s’agit, pour les élèves, d’écrire un texte scientifique, un texte documentaire historique ou un texte davantage littéraire, par exemple. Dans cette perspective, l’attention portée à ces subtiles différences, souvent inaccessibles aux élèves, dans chaque matière enseignée, peut sans doute contribuer à améliorer leurs apprentissages.

Claire Joubaire
Chargée d’études et de recherche, service Veille et analyse de l’Institut français de l’éducation (ENS de Lyon)


Bibliographie

Claire Joubaire, « (Ré)écrire à l’école, pour penser et apprendre », Dossier de veille de l’IFE n° 123, mars 2018. https://lc.cx/W8iV

Le rapport scientifique du Cnesco issu de la conférence de consensus « Écrire et rédiger », https://m-url.eu/r-1myh