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La rentrée de la recherche, côté cour… de récréation

Retourner en classe début septembre, c’est aussi retrouver « sa » cour de récréation ou devoir trouver sa place dans celle de son nouvel établissement scolaire. De nombreux acteurs sociaux pratiquent cet espace en différentes circonstances, les élèves plusieurs fois par jour pendant une quinzaine d’années, mais aussi leurs enseignants, leurs parents, des animateurs et animatrices du périscolaire, etc. Depuis les travaux pionniers de l’anthropologue Julie Delalande1, la cour de récréation est devenue un terrain d’enquête pour de nombreuses recherches en éducation. Zoom sur quelques-unes d’entre elles, qui questionnent les pratiques enseignantes de cet espace éducatif « hors classe ».

Le sociologue Gaël Pasquier s’est entretenu avec des professeurs et professeures des écoles souhaitant promouvoir l’égalité filles-garçons. Il reprend des travaux antérieurs, mais toujours d’actualité à tous les niveaux, et approfondis depuis notamment par des géographes2, qui soulignent que pendant les récréations « l’absence d’investissement éducatif de cet espace […] contribue à en faire un lieu d’expression et d’apprentissage de la domination masculine3 ».

Mais modifier les formes de l’intervention enseignante questionne sa place et son rôle, sa responsabilité et sa mission éducative « dans un endroit où une partie du contrôle de l’espace change de main et passe des adultes aux enfants ». Pour une professeure des écoles, jouer au foot à la récré avec les garçons, c’est servir de modèle pour les filles, mais « c’est vraiment un travail » inconciliable avec les tâches ordinaires de surveillance destinées à garantir la sécurité physique de tous les élèves.

Un lieu d’apprentissage

Lieu de détente, la cour de récré est également investie, surtout depuis deux ans, lors de temps formels d’enseignement. En fonction de sa superficie, de ses équipements, des éventuelles nuisances sonores, cet espace est plus ou moins propice aux apprentissages disciplinaires. Ainsi, dans les programmes de 2015, « explorer le monde » constitue l’un des cinq domaines d’apprentissage à l’école maternelle. Une cour d’école pensée comme un milieu vivant, combinant minéral, végétal et animal, et des modalités pédagogiques permettant à tous et toutes d’apprendre facilitent l’atteinte de ces objectifs.

Comme la didacticienne des sciences Maryline Coquidé l’écrivait il y a quinze ans, « inciter les enfants à l’observation, à l’exploration, à l’action et à la manipulation » nécessite aussi d’organiser et d’exploiter ces expériences pour viser à leur questionnement, leur compréhension et leur mise en relation de la cour à la classe et inversement. Cela passe par des tâches langagières et de représentation qui « permettent aux élèves de communiquer leurs expériences, de décrire des objets ou des phénomènes, de commenter des usages, de discuter leurs idées4 ».

Un espace partagé

Toujours à l’école maternelle, Nathalie Jelen a mené une enquête sociologique sur le « non-usage de tracés de cour de récréation établis pour lutter contre la sédentarité des élèves5». Elle a montré que cette innovation n’a pas modifié les routines enseignantes en raison de contraintes climatiques (froid et intempéries fréquentes), d’une expertise limitée en didactique des activités physiques et sportives, et des représentations partagées dans l’équipe : « Le temps de la récréation reste un temps nécessaire de socialisation entre pairs où l’enseignant régule si besoin les conflits entre élèves, ça reste un temps où les enfants ont besoin de souffler et nous aussi. »

En fait, cet aménagement a répondu à d’autres préoccupations : pour la directrice de l’école, solliciter ce financement extracommunal, « c’était pour rendre la cour plus attrayante, ludique, colorée, jolie, que ce soit plus sympa pour les enfants ». Et ce moyen de fédérer ses collègues autour d’un projet soutenu par la circonscription a renvoyé une image positive de l’école, entre autres dans les médias locaux, et a contribué à en stabiliser les effectifs.

Promotion de l’égalité femmes-hommes, apprentissage des sciences, parcours éducatif de santé : les nombreuses demandes des sociétés contemporaines questionnent le rapport des enseignants aux cours et aux temps de récréation, bien partis pour rester l’un des terrains de jeu privilégiés des élèves… et des chercheuses et chercheurs en éducation.

Claire Ravez
Chargée d’études, équipe Veille et analyses de l’IFE (ENS de Lyon).

 

Notes
  1. Julie Delalande, La Cour de récréation. Pour une anthropologie de l’enfance, Presses universitaires de Rennes, 2001.
  2.  Emmanuelle Gilles, « La cour de récréation à l’épreuve du genre au collège », sur le site de Géoconfluences, janvier 2021 : https://bit.ly/3RonnC2.
  3. Gaël Pasquier, « La cour de récréation au prisme du genre, lieu de transformation des responsabilités des enseignant-e-s à l’école primaire », Revue des sciences de l’éducation n° 41(1), 2015, p. 91-114.
  4. Maryline Coquidé, « Quels contenus de formation pour enseigner à l’école maternelle ? L’exemple de la formation à l’activité “faire découvrir la nature et les objets” », Recherche et formation n° 55, 2007, p. 75-92.
  5. Nathalie Jelen, « La non-utilisation des tracés de cour de récréation. Monographie d’une école maternelle et de ses enseignantes », Carrefours de l’éducation n° 45(1), 2018, p. 149-161.