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La mastérisation de la formation des maîtres : Vers une nouvelle « Annus horribilis ? »
Il semble que les politiques hostiles aux IUFM aient souvent hésité entre une attaque frontale exigeant leur élimination pure et simple et une stratégie plus oblique suggérant leur dissolution dans l’Université. On se souvient qu’en 1993 le ministre Fillon, alors en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche, déclarait que le procès des IUFM n’était plus à faire et que par conséquent, leur « logique » devait être supprimée. Si l’année 1993 fut effectivement « celle de tous les dangers », François Fillon décida finalement de réformer et non de supprimer les IUFM. L’attaque frontale ayant échoué, sans doute par manque de solution de remplacement, restait l’autre voie proposée dès 1992 par le rapport Gouteyron et l’académie des sciences : la suppression par dissolution dans l’Université. Le nouveau ministère Fillon de 2005 allait s’y employer en mettant au point la stratégie à double détente imaginée par le conseiller Marc Sherringham (ex directeur de l’IUFM d’Alsace : 1) intégration à l’Université (2005) ; 2) mastérisation des formations (2009). Paraissant redorer le blason de la formation des maîtres tout en fournissant la caution universitaire aux lobbies hostiles à l’IUFM, cette stratégie rusée entendait désarmer les critiques de tous bords
Mais comment expliquer alors l’insistance avec laquelle la circulaire du 17 Octobre 2008, encadrant les futurs masters « métiers de l’éducation » reprend les recommandations du Haut Conseil de l’Education en vue d’une véritable formation professionnelle des enseignants ? Le texte met d’ailleurs en annexe l’arrêté du 19 décembre 2006 définissant le référentiel des compétences professionnelles des maitres.
L’IUFM liquidé, son fantôme ne hanterait-il pas les couloirs de l’Université ? A moins que ces contradictions ne soient finalement balayées par la vague libérale dont les attendus se situent tout à fait ailleurs. Pour y voir clair, il importe de confronter deux types de discours éducatifs entre lesquels semblent hésiter les politiques : le discours bruyant et médiatisé de la critique radicale et le discours réformiste, beaucoup plus discret des rapports d’expertise.
Le discours de la critique radicale
Le discours radical anti-IUFM rassemble deux sortes de critiques venues d’horizons différents : le discours idéologique des intellectuels et l’expérience vécue des stagiaires.
Le débat public sur l’école oppose majoritairement des « néo-républicains » et des « pédagogues ». Mais si certains discours lient explicitement la question de l’école à celle de la République, d’autres s’instaurent plutôt en défenseurs de la Culture contre la « barbarie ». La controverse repose sur un certain nombre de dualismes « théologiques » (comme dirait François Dubet) dont la plupart étaient déjà dénoncés chez Dewey : clôture ou ouverture de l’école sur la vie, instruction ou éducation, savoir ou pédagogie, mise entre parenthèses ou prise en compte des différences, intérêt et effort, centration sur l’enfant ou sur les programmes. On comprend que la loi Jospin de 1989 soit particulièrement visée. Pour la critique radicale, mettre l’élève au centre du système scolaire marginalise l’importance du savoir disciplinaire et du maître. Le rapport Bancel en fait d’ailleurs un « gestionnaire des apprentissages », ce qui signifie pour beaucoup « la fin des professeurs ». Au fond, ce que la critique radicale ne peut imaginer, c’est la nécessité, pour les futurs enseignants, d’une reconversion professionnelle qui doit faire de l’étudiant historien ou philosophe, passionné par sa discipline, un professeur d’histoire ou de philosophie. Cette reconversion s’apparente à une nouvelle « trahison des clercs ». Et comme elle s’avère difficile, la critique radicale est toujours à l’affut des dérives qu’elle ne manque pas de susciter.
Le deuxième type de critique radicale émane de stagiaires IUFM ou de jeunes enseignants sollicités ou récupérés par la critique intellectuelle. A travers la prolifération d’anecdotes plus croustillantes les unes que les autres, surgissent quelques thèmes récurrents[[Pour un concentré des critiques, voir l’article « En finir avec les IUFM » de Fabrice Barthélémy et Antoine Calagué,, Agrégés d’histoire, enseignants en lycée et en collège, Cahiers pédagogiques N°411 – Février 2003. Voir également débat dans du Monde du 02.09.02 .]] : formation infantilisante, trop théorique, de valeur scientifique contestable ; regroupement des différents métiers de l’enseignement dans d’improbables formations communes. Bref, l’IUFM serait « inefficace, inutile et parasitaire ». Naturellement, ces témoignages et ces enquêtes devraient être maniés avec précaution. On ne peut certes négliger la lettre de ce qui est dit, mais on doit pouvoir la mettre en perspective par rapport aux préoccupations des stagiaires, en passe d’exercer un métier difficile, éprouvant souvent l’angoisse de la première classe et dont l’identité s’avère problématique puisqu’ils ne sont plus tout à fait étudiants, mais pas encore collègues. La critique radicale s’empare néanmoins de ces témoignages et de ses résultats d’enquête, sans aucune précaution méthodologique, car ils viennent donner chair à l’argumentation proprement idéologique.
Le discours « réformiste »
Si la critique radicale s’avère très médiatisée, le discours réformiste des rapports d’évaluation des IUFM est beaucoup moins connu. Quelle image de l’IUFM ressort de ces rapports ?
Dans l’ensemble des textes consultés, l’existence de l’IUFM n’est que très rarement remise en question. Même le rapport Kaspi de 1993, très critique, commence par affirmer qu’il n’est pas question de supprimer les IUFM mais de les réformer (déjà !) Tous les observateurs notent d’ailleurs que le ton des évaluations change lorsque l’institution se stabilise après 1993 « l’année de tous les dangers ». Si bien que le grand rapport du Comité National d’Évaluation (CNE) de 2001 qui évalue en détail 22 IUFM sur 27 conclut sur une image globalement positive. Il en est de même pour le rapport Bornancin de 2001 ou le rapport Septours de 2003.
Les critiques dénoncent souvent les mauvaises conditions qui rendent difficiles le travail de l’IUFM. Le Rapport du CNE de 2001, comme le rapport Septours de 2003, insistent sur ce qui fait le plus défaut de la part de l’État : « un message fort sur le métier d’enseignant ». Les critiques portent également sur la nature et la place des concours qui ne favorisent pas la professionnalité enseignante ; sur la politique de recrutement qui n’anticipe pas assez les besoins, ce qui favorise l’embauche de trop d’auxiliaires difficiles à former correctement. Beaucoup de ces critiques relayent ainsi celles des personnels de l’IUFM et des syndicats d’enseignants.
Les critiques concernant directement la formation IUFM ne remettent pas en question l’esprit de l’institution mais mesurent plutôt l’écart entre les missions données à l’IUFM et les résultats. On ne s’étonnera pas que les principales cibles des rapports soient la formation commune et la formation générale inexistante ou peu consistante. Mais là encore, il ne s’agit aucunement de les remettre en question..
Les experts s’efforcent d’ailleurs de se démarquer de la critique radicale. Le CNE (2001) affirme vouloir boucler son rapport prématurément, même si quelques IUFM n’ont pu encore être évalués, et ceci pour intervenir dans le débat public : « Le CNE ne peut donc pas valider le bien-fondé d’un certain nombre de procès faits aux IUFM – « pensée pédagogique unique », « emprise des sciences de l’éducation », « mépris pour les savoirs disciplinaires » – ou de certaines généralisations hâtives à partir de tel ou tel incident, de tel ou tel témoignage, de telle ou telle statistique, ou de tel ou tel article de presse ». Le CNE s’intéresse également aux doléances des stagiaires mais prend grand soin de les relativiser en les situant dans le contexte de l’angoisse de la première classe qui atteint les formés.
L’ambiguïté fondamentale de l’IUFM
Les ministres de l’éducation ou de l’enseignement supérieurs ont deux oreilles : l’une pour la critique radicale et l’autre pour le discours des experts. L’année 1993 fut une « année de tous les dangers » parce que la critique radicale prévalait ? En sera-t-il de même en 209-210 ? Les situations sont-elles comparables ?
Comme le dit Philippe Meirieu, nous n’en finissons pas d’expier le « compromis initial » qui a donné naissance à l’IUFM. D’un côté, les syndicats du premier degré appelaient à la création d’un corps unique d’enseignants et à la revalorisation de la formation. Selon le principe finement analysé par Antoine Prost, de « l’attraction par la filière la plus prestigieuse », la formation des enseignants allait donc subir l’influence du mode de formation universitaire des enseignants du second degré au détriment de celui développé dans les EN ou les ENNA. Mais d’un autre côté, les nouvelles situations d’enseignement et les caractéristiques du public scolaire issu de la démocratisation appelaient la transposition à la formation des enseignants du second degré des modèles pédagogiques venus du primaire et véhiculés par feu les Ecoles Normales. D’où une logique de compromis : il fallait rassurer les tenants de la culture et des savoirs en garantissant la teneur disciplinaire des concours. Mais d’autre part, il fallait bien faire quelques concessions à la culture primaire : d’où la création des formations générales et communes, l’instauration de l’analyse des pratiques, du mémoire professionnel, de l’épreuve professionnelle des concours.
La mastérisation ne va-t-elle pas redessiner l’espace de la formation des enseignants en restaurant l’ancienne division du primaire et du secondaire que l’IUFM ambitionnait de réduire ? Les professeurs du secondaire retrouvant le chemin de l’Université qu’ils n’auraient jamais dû quitter et les professeurs d’Ecole restant à l’IUFM (ou ce qui en tiendra lieu) ? A moins que d’autres partages plus subtils ne se dessinent entre filières universitaires « nobles » (donc disciplinaires) auxquelles pourraient prétendre les stagiaires du second degré et filières beaucoup moins prestigieuses (celles des sciences humaines) auxquelles devraient se cantonner les futurs enseignants du primaire, les CPE…
2009-2010 nouvelle « Annus horribilis ? »
Quatre éléments obligent cependant à compliquer cette analyse fondée sur l’ambiguïté constitutive de l’IUFM.
D’abord, l’Université étant soumise à une injonction de professionnalisation, la critique radicale aura sans doute de plus en plus de mal à y soustraire la formation des enseignants. Reste à savoir si ceux des universitaires qui acceptent l’idée de professionnalisation en général sont prêts à accepter la professionnalisation du métier d’enseignant, comme l’y incitent les récents rapports d’experts. Comme le dit François Dubet, la professionnalisation des enseignants pose des problèmes spécifiques car elle paraît- en France – dévaloriser une fonction sacrée (le professeur comme substitut séculier du prêtre) qui semble résister aux catégories de la sociologie des professions.
L’autre élément positif provient des enquêtes sur les jeunes enseignants, qui les décrivent comme pragmatiques, soucieux davantage d’efficacité dans le travail que d’options idéologiques (Rayou et Van Zanten, 2004). Il se pourrait bien, là encore, que la critique radicale ait du mal à se faire entendre et que les jeunes enseignants s’avèrent davantage perméables à l’idée de formation professionnelle. Tout dépend – il est vrai – de la façon dont cette exigence de professionnalisation sera interprétée : immersion plus ou moins accompagnée dans la pratique ou promotion d’une dimension réflexive de et sur la pratique à l’instar de cette « théorie-pratique » dont rêvait Durkheim.
La prise en compte de l’orientation libérale des politiques de réforme vient cependant altérer ce relatif optimisme. Cette politique libérale, le discours réformiste la passe sous silence, la critique radicale la dénonce, mais il se pourrait bien finalement qu’elle ait raison des uns et des autres et qu’elle ne rende dérisoires leurs différences, voire leurs oppositions. En effet, la mastérisation des métiers de l’enseignement met sur le marché une masse de main d’œuvre qualifiée et directement employable. Il suffirait donc de modifier les règles de recrutement en confiant la responsabilité de l’embauche aux chefs d’établissement pour se défausser sur eux du choix des meilleurs enseignants. Le pouvoir peut bien momentanément brandir l’étendard des concours contre le laxisme présumé de l’IUFM et s’allier ainsi la critique radicale des néo-républicains et des gardiens de la Culture, la logique libérale conduit inexorablement à réduire le rôle de ce mode de sélection « bureaucratique » à défaut de pouvoir les supprimer brutalement. On est en France tout de même ! Le pouvoir peut d’ailleurs s’éviter bien des ennuis en ne conservant qu’un concours de prestige, l’agrégation. Il peut même se contenter de diminuer progressivement le nombre de postes à tous les concours quels qu’ils soient, les vidant ainsi de leur sens, sans encourir d’opposition massive. L’alliance conjoncturelle du pouvoir et de la critique radicale, sur le dos de l’IUFM, risque ainsi d’en décevoir plus d’un. On doute que les néo-républicains, comme les gardiens de la Culture, ne s’y retrouvent ! Feront-ils assez confiance au sérieux disciplinaire de l’Université pour faire leur deuil des concours ?
Toutefois, à ce jeu, la critique réformiste ne serait pas mieux lotie. Confier aux chefs d’établissement la fonction de recrutement permettrait de minorer les enjeux de la formation professionnelle assurée par l’Université, au profit d’un complément de formation post-universitaire par compagnonnage, la première année de fonction. Le pouvoir pourrait ainsi se montrer plus laxiste envers l’Université et en rabattre sur les exigences de professionnalisation imposées aux masters par la circulaire de 2008, tout en se ralliant l’idéologie populiste fort répandue selon laquelle les formations et les sélections les plus exigeantes s’opèrent par l’épreuve des faits, sur le terrain.
Quels rôles joueront alors les instances locales dans les débats et conflits qui ne manqueront pas de se produire ? Car – et c’est le quatrième élément – la mastérisation de la formation des maîtres intervient dans un contexte d’autonomisation des Universités. Bien des choses dépendront désormais des rapports de force entre les ex IUFM, désormais Ecoles internes à l’Université, et les autres composantes de ces établissements. Ces Ecoles internes se dilueront-elles complètement dans les départements universitaires ? Se réduiront-elles à de simples « services communs » ? Seront-elles au contraire assez fortes pour imposer l’idée de véritables Facultés d’éducation ? Mais le diable est dans les détails et particulièrement ceux de l’organisation. Que deviendra, dans les faits, cette l’ambition quelque peu exorbitante, de vouloir concilier, dans les futures masters « métiers de « l’éducation», formation disciplinaire, initiation à la recherche et formation professionnelle ? Comment éviter que cette dernière ne fasse les frais du déploiement des deux autres ? Et à quels nouveaux compromis sommes nous voués ?
Conclusion
Situation paradoxale en effet que celle d’une volonté politique de suppression des IUFM obligée de composer avec son fantôme. Si la dissolution de l’IUFM dans l’Université semble donner aux politiques toutes les garanties d’une excellence scientifique – une fois n’est pas coutume ! – elle charge en revanche l’Université d’une mission qu’elle ne peut accomplir sans recueillir, d’une manière ou d’une autre, l’héritage de l’IUFM : son savoir faire propre qui est un savoir « incorporé » dans ses personnels permanents ou occasionnels. Il se pourrait donc que, selon les mécanismes bien connus de survie institutionnelle, le fantôme de l’IUFM ne hante longtemps les couloirs de l’Université, comme celui des Ecoles Normales hantait – jadis et naguère ! – ceux de l’IUFM. Reste à savoir sous quelle forme institutionnelle et organisationnelle. Esprit es-tu là ?
Michel Fabre, Université de Nantes, CREN.
Références :
– Bourdoncle R. (1990). “ De l’instituteur à l’expert. Les IUFM et l’évolution des institutions de formation ”, Recherche et formation, n°8.
Télécharger le document (PDF) sur le site de l’INRP
– Danvers C, Réformes des IUFM : vers une nouvelle professionnalité enseignante ?, L’Harmattan, 2009
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– Etienne, R., Altet, M., Lessard, Cl., Paquay, L., Perrenoud, Ph. L’université peut-elle vraiment former les enseignants ? Bruxelles : de Boeck Université, 2009 (à paraître)
– Van Zanten A., Rayou P. (2004), Changeront-ils l’école ? Enquête sur les nouveaux enseignants, Paris, Bayard.
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