Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !
La classe : hier, aujourd’hui et demain ?
La classe : hier, aujourd’hui et demain ? est un livre passionnant qui déplace le débat sur la transformation de l’école du côté des « formats pédagogiques » (les formes d’organisation du travail en classe) hérités de l’histoire et devenus si « transparents » qu’on les interroge plus.
« Cet ouvrage veut questionner ces croyances en revenant sur l’évolution des formes d’organisation du travail dans la classe à travers l’histoire, jusqu’à aujourd’hui et en abordant les multiples transformations en devenir » (p. 29). Ce qui intéresse l’auteur et ses futurs lecteurs c’est bien de « changer l’école » (devise du CRAP) en changeant la classe et cela requiert une approche historique. Ainsi, la naissance de la classe moderne due à La Salle et aux écoles des frères chrétiens est-elle traitée avec tout le respect qui lui est dû. On regrettera toutefois le choix qui fait négliger la spécificité des collèges sous l’Ancien Régime. Qu’ils soient jésuites ou jansénistes, leur lien avec une vision sélective de l’école est pratiquement absent du livre.
Les formats pédagogiques sont-ils pour autant différents ou similaires de la maternelle à l’université en passant par l’élémentaire, le collège et le lycée ? De plus, évoquer la classe sans s’attarder sur l’évaluation qui continue, malgré les injonctions officielles, à en déterminer la composition risque fort d’être un obstacle à la transformation : en France, un élève n’entre pas dans une classe pour y rester de la maternelle au lycée. Les enseignants eux-mêmes sont formatés par les pratiques évaluatives. Cela ne nous empêche pas de trouver opportun et particulièrement bienvenu le projet de l’auteur car la classe est d’abord et avant tout ce qui permet de « classer » les élèves au sens le plus mathématique du terme. Il y a bien eu jusqu’à la deuxième moitié du 20ème siècle une école à deux vitesses ou plutôt deux écoles, la paroissiale puis communale qui admettait tout le monde avec des ambitions minimalistes (« lire, écrire, compter ») et le collège tenu par des religieux puis le lycée caractérisé par ses « humanités », haut lieu de la « distinction » (pour reprendre Bourdieu) et de la sélection sociale.
C’est à la découverte du projet politique de la classe, apparemment rationnelle, en réalité conservatrice, que Philippe Veyrunes nous incite à nous rendre. Pourquoi l’enseignement simultané l’a-t-il emporté si aisément sur l’enseignement mutuel ? La référence au panopticum, évoqué à deux reprises, donne sans doute la clé du mystère de l’organisation de la classe « ordinaire » : le maître-magister qui, au sens propre, en sait plus sans être plus, est incité à devenir le maître-dominus, le maître dominateur qui doit superviser le travail des élèves mais aussi les contraindre par corps dans l’espace confiné de la (salle de) classe.
Philippe Veyrunes privilégie l’analyse du cours dialogué que l’on retrouve à l’université mais moins bien considéré et rémunéré que le cours magistral. Si l’on a l’intention d’éliminer les étudiants les moins performants, alors le cours magistral reste prioritaire car il ne suppose qu’un contrôle en fin d’année ou de semestre et des modalités qui n’auront pas été préparées. Dans le primaire et le secondaire, le cours dialogué est une manière de piloter un enseignement à partir des réponses des élèves et de les amener à trouver sinon la bonne réponse, du moins celle qui est attendue avec la double modalité de la récompense mais aussi de la punition. Parce qu’il n’envisage pratiquement pas d’avenir de l’école sans présence de la classe, l’auteur entend faire évoluer le cours dialogué en corrigeant ses défauts. Plusieurs transformations (plus de maîtres que de classes, la promotion des techniques de l’information et de la communication, la mise en avant de l’innovation, les pédagogies coopératives, les classes inversées, la transformation des espaces scolaires, voire la fin de l’école) sont envisagées mais la principale porte sur la formation des enseignants et l’auteur de conclure (p. 201) : « le cours dialogué n’est pas enseigné en formation des enseignants ; or nous considérons qu’il est essentiel d’en faire un objet de formation. Cette formation devrait porter sur les points suivants et être étayée par l’analyse de l’activité ».
Trois autres formats pédagogiques retiennent son attention : l’activité écrite individuelle des élèves avec passage du maître dans les rangs, la lecture orale et collective au tableau, qui nous semblent toutes deux plus proches de ce que l’on observe dans le premier degré, et enfin le travail par groupes présent à tous les niveaux même s’il est davantage l’affaire de militants que de l’ensemble des enseignants. Nous ne les détaillerons pas car la place manque ici pour rendre compte de la richesse de cet ouvrage qui vise un but tout autant politique que pédagogique.
Finalement, on pourrait être amené à se poser la question binaire la plus traditionnelle : réformer ou bouleverser l’école ? L’approche choisie permet d’éviter les biais d’une telle alternative : les réformes échouent en général parce qu’elles ne s’intéressent pas suffisamment aux enseignants qui vont les appliquer. Philippe Veyrunes prend le parti inverse et insiste sur la prise de conscience de cette part du métier qui leur est devenue « transparente ». Il propose donc de « former les enseignants pour transformer la classe » (p. 195) et nous ne pouvons qu’adhérer à l’axe principal de sa thèse qui consiste à partir de l’analyse de ce qui se fait en classe. Le recours à la vidéo et à des plateformes comme Neopass@ction fournit des supports visuels pour cet exercice.
On recommandera donc la lecture de cet ouvrage aux enseignants pour lesquels ce qu’ils font en classe est devenu si « transparent » qu’un retour analytique sur leur activité leur permettra d’en prendre conscience et de modifier ce qu’il leur est possible de changer pour accompagner les élèves dans leurs apprentissages.
Richard Etienne