Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

L’éducation à la sexualité aujourd’hui : que devient la loi de 2001 ?

Je fais partie de cette génération qui a grandi avec la prévention du VIH en tête et la peur et le risque comme méthode de prévention. Je n’ai pas eu la chance de profiter de la loi de 2001[[Loi N°2001- 468 du 4 juillet 2001, ministère de l’éducation nationale.]] qui m’aurait permis d’être informée dès le plus jeune âge sur la santé sexuelle. Qu’en est-il aujourd’hui ? La loi est-elle correctement appliquée ? L’école joue-t-elle son rôle ? Quels sont les enjeux de l’éducation à la sexualité en 2019 ?

Les attentes des jeunes

« Où peut-on avoir des préservatifs gratuits ? », « Quelle position doit-on avoir la première fois ? », « c’est quoi les règles et le cycle ? », « le jeu en ce moment dans la cour c’est de parier sur la couleur des culottes des filles »… Nous voilà rentrés tout droit dans le vif du sujet, en séances d’éducation à la sexualité, avec des classes de 6ème et de 4ème. Toutes ces questions des jeunes sont le reflet d’interrogations qu’ils et elles n’osent pas forcément aborder avec leurs parents ou l’infirmière scolaire, souvent référente des questions de santé sexuelle à l’école. Trouver le ou la bonne interlocutrice à ses questions n’est pas chose facile. Pour autant, ces groupes d’éducation à la sexualité, assortis d’un cadre bienveillant et non jugeant, vont permettre de faire émerger la parole des jeunes.

Didier Dumas[[Didier Dumas, La sexualité des ados racontée par eux-mêmes, Hachette, 2009.]], dans son ouvrage La sexualité des ados racontée par eux-mêmes, expose plusieurs récits où les parents sont silencieux sur ce sujet, changent de chaine lorsque des baisers ou des corps nus apparaissent à la télévision. Ils peuvent avoir, malgré eux, des propos jugeants alors qu’ils veulent être ouverts : « tu es trop jeune pour ce genre de chose ». Ces sous-entendus ne laissent pas entrevoir la sexualité comme quelque chose de normal, toujours un peu à part, comme s’il existait une norme vers laquelle se référer.

Alors qu’en matière de sexualité, il n’y a pas forcément de règles, si ce n’est le consentement. Les études[[Yaëlle Amsellem-Mainguy (coord), Constance Cheynel, Anthony Fouet, Entrée dans la sexualité des adolescent.es : la question du consentement, Enquête auprès des jeunes et des intervenants.es en éducation à la sexualité, rapport d’étude, INJEP, octobre 2015.]] montrent que l’entrée dans la sexualité est relativement homogène entre femmes et hommes, l’âge du premier rapport n’a pas changé : 17,3 pour les garçons et 17,6 mois pour les filles. Ceci s’explique par l’allongement des études des jeunes et l’accès aux droits sexuels et reproductifs notamment : l’avortement et la contraception dans les années 70.

Pour répondre au mieux aux questions des filles et garçons, être à l’aise en tant qu’adulte est un bon pré-requis ! Pour autant, l’ouvrage de Didier Dumas montre que le dialogue avec les parents reste compliqué au moment de l’adolescence : jusqu’où aller pour ne pas trop parler de soi ? Pour laisser une part d’autonomie et de liberté à son ado ? Comment ne pas être trop intrusif ? Une démarche uniquement préventive n’est pas suffisante, comme le souligne Chantal Picod : « les évaluations de ces actions montrent que les demandes des adolescents portent sur la sexualité et que la réponse du tout biologique et/ou du tout préservatif n’est pas suffisante pour développer des comportements sexuels responsables »[[Chantal Picod, L’éducation sexuelle : une mission nouvelle pour l’école, La santé de l’homme, N° 356, 2001]]. Les séances doivent aborder les normes, les valeurs, les règles et lois ainsi que les dimensions politiques et culturelles de la sexualité, favorisant des comportements responsables et autonomes en matière de sexualité.

La communauté éducative doit être à la hauteur de ces attentes : parcours éducatif en santé, projets avec les parents… Les opportunités ne manquent pas si l’école veut jouer son rôle de défense de l’égalité d’accès au savoir !

Évolutions historiques

Les réformes de l’école n’ont pas manqué ces dernières années : défense des valeurs « traditionnelles », en revalorisant la fonction première de l’école, l’instruction, ou promotion de valeurs émancipatrices, remettant l’élève au centre. Ce sont deux visions du monde, qui montrent que l’école est un réel enjeu pour les politiques, car elle construit les citoyens et citoyennes de demain. C’est pour cela qu’on lui demande souvent de traiter de sujets de société comme les violences, la prévention de l’alcool, et plus récemment les questions de radicalisation… Elle est donc un lieu incontournable pour aborder les questions de sexualité. A ce jour ce sont presque vingt-cinq textes officiels relatifs à cette question qui encadrent le code de l’éducation et le code de santé publique[[Textes de référence sur l’éducation à la sexualité sur Eduscol]], qui s’articulent et évoluent en fonction des faits d’actualité et politique.

Jusqu’aux années 50, cette question n’était pas traitée à l’école, ni à la maison d’ailleurs : ne pas en parler afin ne pas donner d’idées[[Claude Lelièvre et Francis Lec, Les profs, l’école et la sexualité, Odile Jacob, 2005.]] contraires aux bonnes mœurs et protéger l’ignorance des enfants. Avec Mai 68, c’est tout le contraire : l’école doit s’approprier cette question. Les mouvements lycéens et les facultés revendiquent des réponses à leurs questions sur le sexe. La sexualité est politique ! Des associations, dont le Planning familial, l’École des parents et des syndicats d’enseignants créent le GNIES en 1969 (Groupe national d’information et d’éducation à la sexualité). Le Dr Carpentier, médecin de ville, ou encore Nicole Mercier, professeure de philosophie, sont vivement critiqués et punis par la loi pour apporter des informations aux jeunes au début des années 70. C’est en 1973 qu’apparait la première loi relative à l’éducation à la sexualité à l’école : celle-ci ne peut plus faire la sourde oreille. Les années 80-90 ont été traversées par l’arrivée du VIH, la prévention par le risque et la peur font disparaitre la libération sexuelle. La fin des années 90, c’est également l’explosion médiatique et réelle de faits de violences sexuelles et de pédophilie à l’école : l’affaire Dutroux, et les multiples affaires de pédophilie en 1997 (Claude Lelièvre et Francis Lec recensent près d’une cinquantaine d’articles dans le journal Le Monde).

Parallèlement, c’est au début des années 2000 que les questions d’homosexualité, jusque-là gardées secrètes, sont soulevées à l’école, davantage que la sexualité hétérosexuelle. Les professeurs et les syndicats se mobilisent (tracts et participation à la première Gaypride en 2002 d’un collectif d’enseignants) : ces revendications répondent aux agressions homophobes de la part de certaines directions d’établissements, collègues et parents d’élèves. L’homophobie est sociétale, elle traverse donc aussi l’école.

C’est dans ce contexte riche et complexe que la loi de 2001 est apparue, ainsi que celle du 17 janvier 2002 sur le harcèlement sexuel. Prémices de la libération de la parole des lycéennes et des femmes dans l’espace public, cette loi ne permet cependant pas une réelle prise en compte de la parole des victimes comme aujourd’hui en 2019. Mais la loi de 2001 permet au moins l’accès gratuit et anonyme à la contraception et à l’avortement ainsi que trois séances par an d’éducation à la sexualité et par groupe d’âge homogène. Les objectifs sont déclinés dans la circulaire du 17 février 2003, qui ajoute une dimension sociale, psychologique et culturelle aux connaissances biologiques. On ne parle pas seulement d’anatomie, ou de méthodes contraceptives, de santé et de prévention mais de vivre ensemble, de lutte contre les discriminations, de l’homophobie et de la lutte contre les violences.

Dans le cadre de la Stratégie nationale en santé, portée par le ministère de la Santé pour la période 2017/2030, l’Éducation nationale valorise cette éducation à la sexualité et le travail avec les parents, par une approche en santé sexuelle globale et par les droits. La sexualité est une composante qui structure l’individu à tous les âges, et pas seulement une question d’anatomie : elle « renvoie à la globalité de l’être humain dans ses dimensions aussi bien biologique, psychoaffective que sociale[[Eduscol, L’éducation à la sexualité, guide d’intervention pour les collèges et les lycées, ministère de l’Éducation nationale, 2008.]] ».

Changements de société et résistances

Quels sont les freins de cette éducation à la sexualité, malgré ces évolutions législatives ? Si l’accès à l’information est nécessaire et répond en grande partie aux demandes des élèves, il est inégalement disponible dans les établissements scolaires de métropole et d’Outre-Mer, et ne répond pas toujours besoins des jeunes. Cela est dû pour une part aux manques de financements dédiés de la part de l’État. Les départements, qui ont la charge de la planification familiale et de la PMI, pourraient être de véritables relais dans cette action mais on se heurte à leurs choix politiques, d’où des inégalités de territoires. Les Agences régionales de santé auraient un rôle à jouer dans l’application des politiques de santé publique mais là encore les financements sont inégalement répartis.

Les diverses avancées historiques citées plus haut se sont heurtées aussi aux valeurs conservatrices d’une partie de la population (dont enseignants, syndicats et des parents font partie). Par exemple, une raison souvent mise en avant pour ne pas aborder la question de l’homosexualité est le principe de neutralité que doit garantir l’enseignant : on ne parle pas de son homosexualité comme on ne dit pas sa religion ni ses convictions politiques. Rappelons-nous que la généralisation de la mixité à l’école a provoqué de vrais mécontentements de la part de parents et que Mai 68 a été accusé de pervertir la jeunesse ; ce type d’attaque toujours d’actualité tente de maintenir la sexualité dans la sphère privée, selon une conception « naturelle » et biologique, qui va à l’encontre d’une approche sociale et émancipatrice.

La non application de la loi de 2001 résulte également de l’histoire des enseignants et de leur formation. En effet, même si l’école républicaine et laïque de la 3ème République veut se différencier de l’école de l’Église, les deux restent liées par la formation initiale des maitres[[Claude Lelièvre et Francis Lec,Ibid.]]. Les maîtres doivent être garants des bonnes mœurs, faire vœu de célibat, majoritairement jusque dans les années 50, se consacrer entièrement et pleinement à leur métier d’enseignement, comme « entrer dans les ordres ». Pour les femmes, ce sera aussi le renoncement à la vie sociale et à une maternité, afin de garantir les valeurs morales de la République. Cette histoire, pleine de sens, permet de comprendre les freins à l’évolution de la profession et à la volonté de prendre en charge des questions comme l’éducation à la sexualité « en surplus » de sa matière d’enseignement. Ce sont les faits d’actualité et les révoltes qui ont permis de faire bouger les cadres. Mais l’application de la loi dépend encore beaucoup des aléas des bonnes volontés, si elle n’est pas intégrée dans le projet d’établissement.

Éduquer, c’est construire de la loi, disait Michel Develay dans Donner du sens à l’école[[Michel Develay, Donner du sens à l’école, PEP, 2004.]]. Dans cet ouvrage, il questionne la crise de l’école qui traverse les époques car « les valeurs qu’elle véhicule s’opposent en partie à celles de la société ». Il souligne le défi des programmes scolaires, qui devraient être transversaux et répondre aux enjeux de société : enseigner des savoirs tout en donnant les clés pour décoder des logiques « non disciplinaires » (questions de santé, d’écologie, et donc de sexualité). Il conseille donc «l’interdisciplinarité (sur) des questions d’actualité complexes» comme un « défi du système scolaire, s’il ne veut pas enseigner des savoirs désuets ».

Responsables

Le rappel de ces faits historiques permet de comprendre le premier enjeu de ces séances d’éducation à la sexualité : outiller les jeunes face aux faits sociétaux en abordant les questions de consentement, de respect, de rapport entre les garçons et les filles, de droits sexuels… pour devenir autonomes et responsables.

Le deuxième enjeu se joue dans la formation des enseignants : l’éducation à la sexualité aura toute sa place si elle n’est pas traitée à part, mais de manière transversale dans toutes les matières comme le français, l’histoire, les SVT ou encore les langues vivantes… Dès lors, elle s’inscrit dans une approche globale d’analyse critique des rapports sociaux et de transformation sociale, dans l’école et en dehors.

Caroline Rebhi
Coprésidente du Planning familial, coordinatrice du programme Genre et Santé sexuelle