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Jouets et temps scolaire
Les programmes se focalisent sur le « vivre ensemble » comme principal objectif de l’école maternelle : vivre ensemble lorsque cela ne se réfère pas explicitement aux apprentissages renvoie à du comportemental, à l’obéissance aux règles, à la relation aux autres. Pour que l’enfant grandisse, « ce qui lui est nécessaire ce n’est pas un progrès c’est un retrait de sociabilité »[[H. WALLON » De l’acte à la pensée », Ed Flammarion, 1942.Commander l’ouvrage avec Alapage]]. Il lui faudra se construire selon Passerieux[[Ch PASSERIEUX «Ecole maternelle : La socialisation, un préalable ou une construction scolaire ? » in Dialogue n° 108 « Des idées qui ont la vie dure », GFEN]], comme un » je » distinct, singulier, c’est-à-dire s’émanciper de sa dépendance à ses parents. C’est dans ce processus que l’enfant est toujours inscrit lorsqu’il arrive à l’école. La rencontre avec d’autres enfants ne se fait pas sur les mêmes bases qu’à l’extérieur, dans son environnement familial. Dans la classe tout comme à l’école, il ne choisit pas ses pairs et, contrairement à ce qui se passe dans la famille, les enfants ont généralement le même âge. Il lui faut apprendre à négocier le jouet convoité, laisser sa place, partager avec les autres. C’est à partir de ce concept de « vivre ensemble » que les temps scolaires sont aménagés et organisés dans les différents temps de l’enfant[[Nous parlerons ici essentiellement des temps hors pédagogie de classe, dans son acception la plus stricte, c’est-à-dire lorsque les enfants sont pris en charge pour la garderie du matin et/ou du soir, à l’accueil le matin avec l’enseignante et l’ATSEM ((Assistante Technique Scolaire en Ecole Maternelle)]].
Nous nous sommes donc interrogés sur la socialisation des enfants de maternelle durant ce temps de transition qu’est l’accueil périscolaire. Les temps extrascolaires et périscolaires comme l’accueil du matin et les temps de garderie sont des temps interstitiels mais également des espaces transitionnels pouvant faire office de sas vers des espaces plus pédagogiques.
Le jouet comme passeur de frontière entre le familial et le scolaire
C’est souvent à partir des jouets, à la fois médiateurs et passeurs de frontières entre le cercle familial et le cercle scolaire que se crée une base de communication et de repérage entre les parents et les intervenants de l’école. Les jouets, -qu’ils viennent de la maison ou bien appartiennent à l’école- élaborent les bases d’une compréhension de l’ordre du monde pour tous.
C’est aussi avec l’aide des familles que cet accompagnement prend du sens. Les mères, -car ce sont elles le plus souvent qui amènent leurs enfants- se séparent d’eux en jouant, soit avec le « doudou », soit avec les jouets de l’école. L’école maternelle s’est donné pour objectif de favoriser tous les apprentissages, ceux-ci commençant dés l’accueil qui privilégie celui de la vie en société avec des jeux proposés qui ont des règles bien définies et d’autres qui sont plus libres. Socialiser l’enfant est une finalité qui n’est pas toujours facile à définir, mais c’est pourtant bien de cela dont il s’agit quand le petit enfant s’affronte au grand groupe. Deux temps d’accueils principaux marquent le processus temporel du jeune enfant : le temps d’accueil du matin avec les animateurs et l’accueil en classe avec l’enseignante et l’ATSEM.
Le temps périscolaire du matin
Léa arrive avec sa maman chaque matin à sept heures quarante-cinq. Elle est contente de retrouver Chloé qui est à la garderie car c’est une « copine » de classe. Elle va directement la voir et jouer avec elle. Pendant ce temps, la maman va voir les animateurs et leur parle de la mauvaise nuit que sa fille a passée, au cas où elle désirerait dormir. Mais Léa qui entend de loin proteste : « je ne veux pas dormir, je ne suis pas fatiguée maman !! ». Sa maman va vers elle et l’embrasse : « tu veux ton doudou ? ». Léa acquiesce et l’arrache presque des mains de sa mère qui voudrait continuer à jouer avec elle mais elle doit se presser pour arriver à l’heure à son travail. Quand elle s’en va, Léa s’accroche un instant à sa mère, mais celle-ci dit : « sois raisonnable Léa, tu sais bien que je dois partir, nous en avons déjà parlé. »
Léa apprend peu à peu, la séparation d’avec sa maman, le fait qu’elle doit être seule, l’inéluctable déroulement des situations qu’il faut gérer : elle est en train de grandir. C’est par cette « cognition quotidienne »[[HENZE R.C, Informal Teaching and Learning. A study of Everyday Cognition in a Greek Community, Hillsdale, Ed Lawrence Erlbaum, 1992]] que se réalisent des apprentissages que les enfants peuvent réinvestir dans la situation de classe.
Ce temps interstitiel entre temps familial et temps scolaire est une période occupée par les retrouvailles avec les camarades mais aussi les jouets qui ressemblent à s’y méprendre à ceux que l’on pourrait trouver dans une chambre à coucher. Les enfants s’y réveillent peu à peu, ils dessinent, jouent à la dînette ou écoutent des histoires. Il y a aussi des ateliers de coloriage, de découpage ou bien de dessin. Léa, elle, choisit de jouer au poupon avec Chloé, même si c’est pour se disputer à qui portera le poupon. En effet, les enfants estompent souvent les frustrations de la séparation en jouant avec des jouets qui leur permettent d’élaborer des jeux de fiction. Plus tard, il sera l’heure d’aller dans les salles de classe où les attendent d’autres camarades de jeux.
Le temps de l’accueil du matin en classe
Le passage de la garderie à la classe constitue une autre temporalité qui permet d’entrer de plain-pied au cœur des apprentissages de la journée. Pour les enfants qui viennent directement de la maison, c’est la séparation d’avec l’espace familial qui se fait alors. Il est notable de voir que les enfants ayant déjà effectué ce travail de séparation à la garderie vont tout de suite jouer dans les ateliers que l’enseignante leur a préparés sur les tables alors que les autres mettent en œuvre des stratégies pour retenir leur mère ou leur père. Les parents ont plus de temps que les précédents et peuvent alors jouer avec leurs enfants avant de partir : ainsi la maman de Léo qui lui demande : « dans quel atelier veux-tu jouer ce matin ? » Léo répond qu’il veut aller dessiner un dragon et s’empare d’un feutre bleu pour commencer son dessin. Il demande à sa mère : « tu peux me dessiner un dragon ? » . Celle-ci s’accroupit pour se mettre à sa hauteur et lui dessine l’animal fantastique. Mais pris par une autre idée, il décide subitement d’aller fabriquer un château de legos car son copain Thibaud vient d’arriver. Pendant ce temps, sa mère discute rapidement avec une autre mère : elle aimerait inviter son fils au goûter d’anniversaire de Léo qui se fera jeudi. Ensuite, elle va parler avec l’enseignante pour savoir comment son fils se comporte en classe, s’il fait des progrès. La mère fait mine de partir, mais Léo ne l’entend pas ainsi et s’arrache à son travail de construction : « un bisou maman ! Où est mon doudou ? ». La maman panique alors car le doudou est introuvable. Elle se rend compte qu’elle l’a oublié à la maison et que le temps lui manque pour aller le chercher. Alors elle prend une peluche de la classe et commence à lui raconter une petite histoire pour consoler l’enfant. Comme Léo est en grande section, il a appris à se détacher du doudou et la séparation se fait plus facilement. Il n’en est pas toujours de même quand ils sont plus petits.
Si l’on reprend l’idée de Goffman[[GOFFMAN E., Les cadres de l’expérience, Ed de Minuit, 1991.Commander l’ouvrage avec Alapage]] selon laquelle il est important de classer les situations suivant le cadre de vie qui y est attaché, on peut dire alors que les accueils du matin en temps périscolaire (garderie) ou bien dans la classe sont des cadres ordinaires dans lesquels on retrouve certains traits de l’espace familial mais avec des spécificités inhérentes au cadre scolaire. En effet, le jeu qui est introduit dans ces espaces d’accueil apparaît en continuité avec les apprentissages faits en amont dans la sphère familiale et en aval dans la sphère purement scolaire de la classe.
Les deux situations d’accueil présentées montrent que la frontière est mince entre l’enfant que sa mère laisse à l’accueil et l’élève que lui demande d’être l’institution scolaire. Ce processus de socialisation mis en œuvre pour que tous apprennent à communiquer et à vivre ensemble se fait au travers du jeu et du jouet : les coins-jeux sont présents tant dans les classes que dans les espaces dévolus à l’accueil du matin par les animateurs. Ceux-ci permettent aux enfants et aux parents de communiquer sur des bases communes. Le développement de cette communication que permet et développe le jeu et les jouets des espaces d’accueil sont des espaces de jeu symbolique où enfants et adultes sont obligés d’entrer en interaction langagière et communicative. Que ce soit les parents avec les animateurs, les autres parents ou bien avec leurs enfants, ils échangent et partagent des expériences, les vivent et négocient ainsi un espace particulier où le « vivre ensemble » prend sens et se construit.
Cependant si l’apprentissage du « vivre ensemble » est tout à fait légitime et essentiel, il soulève de nombreuses questions : question de la formation des animateurs du temps périscolaire, questions des liens entre enseignement des apprentissages et enseignement du lien social avec les parents, avec les enseignants. La question de l’importance de l’accueil sur le terrain de l’école est une réalité très contrastée et très différente selon les écoles. Ce cadre d’accueil qui est à la fois ludique et scolaire étaie un climat de connivence s’il est soutenu d’un cadre, de communication suffisamment ouvert, mais l’accueil peut aussi être perçu négativement par ses acteurs quand les enjeux de cet accueil ne sont pas bien compris.
L’utilisation de cet espace d’accueil dépend largement de ce à quoi l’on destine cet espace de transition entre la maison et l’école.
Monique Lebrun-Niesing, Enseignante du premier cycle et psychologue scolaire, Docteur en Sciences de l’Education et anthropologie.