Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !
Jean-Paul Delahaye : « La convention citoyenne doit embrasser tous les sujets »

Cette annonce revient à prendre les problèmes de l’école par un bout seulement. Les rythmes scolaires, c’est important, je serais le dernier à dire que ça ne l’est pas. Mais en appelant de nos vœux une convention citoyenne sur l’éducation, avec la FCPE et d’autres partenaires, on imaginait ou on espérait que cela serait pris par un aspect plus signifiant, celui de la persistance des inégalités de réussite dans le système scolaire français, liées aux origines sociales. Nous sommes nombreux à souhaiter un diagnostic partagé sur l’école, et ce diagnostic devrait nécessairement inclure la question des temps de l’enfant.
Par quelque bout que l’on prenne la question, on retombera sur cette problématique essentielle : pour qui, en France, sont élaborées les politiques en matière d’éducation ? Pour qui est faite l’école ? Est-ce pour l’ensemble de la société et dans l’intérêt général, ou prioritairement pour les intérêts des classes moyennes et favorisées ?
Pourquoi ne sommes-nous pas fichus dans notre pays, depuis 2005 et la création du socle commun de connaissances et de compétences, d’élaborer un fond commun d’instruction qui recouvrirait dans la scolarité obligatoire l’ensemble des compétences qu’un citoyen ou une citoyenne doit avoir ? Et pas seulement des connaissances et compétences d’ordre intellectuel et académique, qui sont nécessaires et indispensables, mais aussi du travail manuel et des activités qui permettraient aux enfants des classes populaires de comprendre que l’école est faite pour eux aussi, et pas seulement pour ceux qui se destinent aux classes préparatoires. On a sorti du socle tout ce qui pouvait s’apparenter à une entrée plus concrète dans les savoirs. Il ne s’agit certainement pas de baisser le niveau des apports intellectuels pour les enfants des milieux plus défavorisés, mais de prendre en compte la culture populaire.
Pour convaincre qu’une convention citoyenne n’est pas faite pour amuser la galerie, il faudrait que les précédentes aient servi à quelque chose… En attendant, il n’est pas interdit d’écouter celles et ceux qui disent que c’est une façon de faire diversion.
Il est un peu étonnant que le président découvre en 2025 la question des temps de l’enfant, et souhaite en faire une priorité, alors qu’il a rayé d’un trait de plume et sans concertation la semaine de cinq jours en primaire en arrivant au pouvoir en 2017 ! Il a, de fait, déscolarisé les enfants de l’école primaire un jour par semaine ! Il n’y était pas obligé, si c’était un sujet si important.
Il n’est pas non plus obligé de prendre la question aujourd’hui par le plus mauvais des bouts, c’est-à-dire les grandes vacances. Tous ceux qui connaissent ces questions le savent. La France se situe plutôt dans le bas du tableau mondial pour la durée des grandes vacances, c’est plutôt la durée des vacances intermédiaires qui est très importante. Le véritable problème, c’est la concentration du temps de classe hebdomadaire sur six heures par jour, quatre jours par semaine. La France scolarise ses enfants 144 jours par an avec la semaine de quatre jours, contre 185 en moyenne dans l’OCDE. On nous donne en exemple la méthode de Singapour pour enseigner les mathématiques en primaire, mais à Singapour, les enfants ont 200 jours de classe par an, pas 144 !
C’est un sujet très documenté et depuis longtemps. Tous les chronobiologistes le disent, l’Académie de médecine aussi, il y a eu plusieurs rapports parlementaires dans ce sens et un grand débat national en 2011. Jean-Michel Blanquer lui-même, alors directeur général de l’enseignement scolaire, avait dit en audition à l’Assemblée nationale en 2010 qu’il était « clair en tout cas que si la semaine de neuf demi-journées n’a pas été choisie, c’est parce que le monde des adultes s’est entendu sur le monde des enfants ».
Les enseignants savent qu’au bout de quatre à cinq heures dans une journée, il n’est plus possible d’avoir l’attention des enfants. D’ailleurs, un rapport de l’Inspection générale avait relevé en 2022 que les récréations – incluses dans les vingt-quatre heures de classe hebdomadaires –, qui durent en principe trente minutes par jour, ont eu tendance à s’allonger, précisément parce qu’il y a une limite à la durée de la capacité d’attention des enfants.
Pour apprendre, les enfants ont besoin d’une régularité dans la semaine, de journées allégées, d’une continuité dans les apprentissages.
Je n’arrête pas de dire depuis 2017 que la décision de retour à la semaine de quatre jours est un désastre pour tous les enfants, et un désastre puissance 10 pour les enfants de milieu populaire qui n’ont que l’école pour apprendre.
Il faut rappeler que la semaine de quatre jours est possible en France depuis 1990 et a été généralisée en 2008. Sur cette même durée d’une trentaine d’années, la formation des enseignants du premier degré a été réduite, et leur profession dévalorisée de façon scandaleuse sur le plan salarial. Il faut ajouter que, sur le plan budgétaire, on fait tout à l’envers : on dépense moins que les autres pays pour l’école primaire et le collège, c’est-à-dire la scolarité obligatoire, mais beaucoup plus pour le lycée. Le résultat est qu’en France, les effectifs en maternelle et en élémentaire sont les plus élevés d’Europe. Je m’étonne que personne n’établisse une relation entre tous ces éléments et l’effondrement des résultats scolaires constatés dans l’évaluation internationale Timss. Les enseignants du premier degré n’en sont pas responsables, ils sont les premiers désolés de ne pas avoir les outils pour faire réussir leurs élèves. C’est même un miracle qu’ils et elles tiennent encore le coup. Je suis assez impatient qu’une convention citoyenne puisse se saisir de ce diagnostic.
Oui, beaucoup de gens disent encore que la semaine de quatre jours n’est pas ce qui fait que l’école est en difficulté. Mais si concentrer une semaine sur quatre jours était une bonne idée, au moins un pays au monde nous aurait imités. Or jusqu’ici, il n’y en a aucun !
En 2013, les principaux opposants à la semaine de cinq jours étaient pour l’essentiel issus des classes moyennes et favorisées. Ce qui ennuyait certains d’entre eux, c’est le fait que pendant le cinquième jour libéré depuis 2008, ils avaient occupé leurs enfants à d’autres choses (conservatoire, cours particuliers payants mais défiscalisés, poney club, etc.). Ils trouvaient que c’était du temps perdu de revenir à l’école le mercredi matin. De leur côté, les enfants des classes populaires vont rarement au conservatoire ou au poney club le mercredi. Qui se soucie de ce qu’ils font le mercredi ?
La Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère, dans un dossier de juin 2017, rendait compte d’une étude pour laquelle avaient été interrogés des parents d’élèves sur leur pour leur demander s’ils étaient favorables à la semaine de quatre jours ou celle de cinq jours : ceux qui sont favorables à la semaine de quatre jours, ce sont les classes moyennes et favorisées (38,4 % des professions intermédiaires et 37,2 % des cadres et professions intellectuelles supérieures jugeaient la semaine de quatre jours et demi favorable aux élèves). Pour les cinq jours, « les opinions positives l’emportent quand la personne de référence du ménage est ouvrier non qualifié (57 %) ou inactif (65 %) », relevait le dossier (p. 44).
Mais les classes plus favorisées ont tort de penser que leurs enfants n’ont pas de problème avec la semaine de quatre jours. Tous les enfants ont besoin d’un temps scolaire progressif et continu qui favorise les apprentissages.
Le débat est miné d’emblée, parce que le métier d’enseignant est dévalorisé. En 2008, quand Nicolas Sarkozy généralise la semaine de quatre jours, derrière, il y a du temps donné aux enseignants pour compenser l’absence de revalorisation salariale. Le temps est devenu un acquis social pour les enseignants.
C’est pour cela aussi que la convention citoyenne doit embrasser tous les sujets, parce que si on ne revalorise pas les salaires des enseignants pour les payer comme il le faudrait, ils n’accepteront jamais une modification du temps scolaire.
En 2013, avec Vincent Peillon, on a mis de l’argent pour financer les activités périscolaires, mais on n’a pas pu en mettre sur les rémunérations. On a tout juste pu créer une indemnité de suivi et d’accompagnement des élèves (ISAE), parce que la création de 60 000 postes dans l’Éducation nationale avait absorbé les marges de manœuvre budgétaires.
Quelle que soit la réforme du système éducatif envisagée, tant qu’on n’aura pas remis à niveau la situation sociale et professionnelle des enseignants de ce pays, on ne parviendra pas à les mobiliser. Il faut redire qu’ils gagnent deux fois moins que leurs collègues allemands ! Vouloir les mobiliser, y compris en faisant évoluer le temps scolaire et donc leurs conditions de travail, sans ce préalable de revalorisation, c’est perdre son temps.
Certes, cela coute de l’argent, mais une école qui s’effondre coute aussi beaucoup d’argent à un pays.
À lire sur notre site
Pour une convention citoyenne sur l’éducation, communiqué du CRAP-Cahiers pédagogiques
Pour une convention citoyenne sur l’éducation : « Il faut réarticuler l’école avec la société », entretien avec Grégoire Ensel
Imaginer l’école-parlement, par Manuel Perrenoud
Convention citoyenne pour le climat : aller plus loin sur l’éducation, entretien avec Mathieu Sanchez