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Le livre du mois du n°584 : Finir prof

Mara Goyet, Robert Laffont, 2023

« J’ai failli avoir un fabuleux destin de petite réac », écrit l’auteure de Collèges de France, écrit en 2003. Et c’est vrai qu’à l’époque on la voyait comme appartenant à la confrérie des enseignants qui fustigeaient l’école telle qu’elle serait devenue sous la double emprise des pédagos et des démagos des différents ministères. Et j’avais moi-même critiqué un livre que je voyais comme méprisant pour les élèves. Mais sans doute n’avais-je pas perçu les prémices d’une évolution qui a pu en étonner plus d’un.

Ici, nous n’emploierons pas l’affreux mot d’« autocritique » ; il s’agit plutôt d’un retour réflexif sur des années de murissement qui font que Mara Goyet éprouve aujourd’hui un plaisir profond d’enseigner au collège, porte un regard toujours bienveillant sur ses élèves, sans méconnaitre ce qu’ils peuvent avoir parfois d’agaçant, de déroutant. Elle décrit avec émotion et justesse deux moments essentiels vécus récemment avec eux : l’épreuve du confinement et les lendemains de l’assassinat de Samuel Paty.

Professeure d’histoire-géographie-EMC, elle est toujours soucieuse de « faire apprendre », de suivre globalement les programmes, mais ne s’interdit pas des pas de côté. Ainsi, lorsqu’elle range la salle labo avec ses élèves, qui découvrent l’arrière-boutique du prof qui enseigne ces matières.

Et, surtout, elle sait faire preuve d’un bel humour, aux clins d’œil culturels souvent savoureux, et confirme que cet humour, à propos duquel nous avons publié un récent dossier, est essentiel à l’école. D’autant qu’elle sait l’exercer sur elle-même, et qu’il vient dans bien des cas empêcher le ton de devenir celui d’une donneuse de leçons. Elle ne tombe pas non plus dans la dérision facile, en particulier lorsqu’il s’agit de défendre la laïcité et les valeurs républicaines.
Certes, je suis loin d’être d’accord avec ce qui est dit, par exemple sur l’évaluation par compétences (une vision caricaturale) ou sur les dispositifs pédagogiques (on sent une préférence pour un cours qui reste magistral même s’il n’est pas descendant). On perçoit aussi un gout modéré pour le travail collectif, même si là aussi Mara Goyet assume de faire partie d’une communauté enseignante. Mais, au fond, tout cela est secondaire, et l’auteure le dit elle-même, ce livre est tout sauf idéologique, tout sauf un traité de bonnes pratiques ou de bonnes réformes à mettre en place. Elle se dit centrée sur la classe, ses rapports directs avec ses élèves. Et lorsqu’on a été professeur de collège comme je l’ai été, on ne peut qu’apprécier ces moments qui font aimer ce métier, difficile mais passionnant, et font oublier les moments pénibles ou encore les injonctions venues d’en haut et trop souvent à côté de la plaque. M’ont beaucoup intéressé aussi les nombreuses évocations de ce que peut signifier pour un enseignant être un « passeur culturel ».

Enfin, il y a la discussion qui reste ouverte sur l’implication personnelle du professeur, que Mara Goyet revendique (voir par exemple sa réaction quand un élève s’adresse à elle avec un « vous, les catholiques », elle qui est d’origine juive et non croyante). Le confinement, avec un dévoilement inattendu d’une part de privé (le lieu de vie du professeur), a renforcé sa conviction que la relation avec les élèves ne pouvait être désincarnée. Et que le professeur ne peut être non plus ce dérisoire « colibri » vanté par le ministre. Osez le plaisir et l’optimisme, semble-t-elle nous dire !

Jean-Michel Zakhartchouk

Questions à Mara Goyet

Mara Goyet, © Adélaïde Yvert

Finir prof, est-ce une sorte de réponse à ceux qui veulent en finir avec le métier de prof ? Et, pour prendre le sous-titre, pourquoi est-on fâché avec le collège, puisqu’il faut se réconcilier ?

C’est plutôt une manière d’inviter ceux qui ne veulent pas le devenir à tenter l’aventure. J’explique dans le livre que je suis heureuse d’avoir « fini » prof à 24 ans et encore plus de continuer à « finir » prof un quart de siècle plus tard. Bref, à mes yeux, c’est tout sauf un échec de « finir prof », ça peut même rendre incroyablement heureux, fier et épanoui. Mais c’est du boulot ! Je ne prétends pas que c’est un métier facile.

Le collège est de toute évidence le mal-aimé du système scolaire, et un amas de mauvais souvenirs pour beaucoup. Il y a de nombreuses raisons à cela. Dont certaines qui, étrangement, devraient le rendre aimable : les métamorphoses dues à l’adolescence, le mélange des élèves, l’absence de tri, le côté tunnel entre l’élémentaire et le lycée qui donne beaucoup de liberté, etc. Il faut tirer parti de son côté fatalement chaotique.

Vous évoquez vos élèves avec beaucoup de bienveillance et d’enthousiasme. Certains vont dire que ce sont des élèves parisiens, et que vous avez quitté l’éducation prioritaire où les choses ne se passent pas ainsi. Que répondez-vous à cela ?

Il faut quand même me faire un peu confiance, je ne suis pas amnésique. Par ailleurs, les « élèves parisiens » ne sont pas réductibles à un type. Ils sont très divers, surtout dans un collège d’un quartier chic, petit village public entouré de collèges privés. Ensuite, s’il y a bien sûr des différences entre les territoires, parfois considérables, un élève est un élève, partout. Et, enfin, en ce qui concerne ma bienveillance et mon enthousiasme, ils ne doivent rien à des comportements exemplaires ni à des notes faramineuses : je suis née prof de ZEP, il m’en reste quelque chose. Néanmoins, il est évident que le contexte paisible dans lequel j’enseigne me permet d’avoir le loisir d’éprouver de tels sentiments sans qu’ils soient piratés par l’angoisse, l’épuisement ou la colère. Et encore, je suis très, très souvent en colère, mais pas à cause des élèves.

Est-ce si vrai que les chercheurs et ceux qui écrivent sur l’école négligent tous « la classe » ? Ne généralisez-vous pas là-dessus ?

Oui, oui, je généralise totalement ! Néanmoins, le caractère imprévisible, vivant, improvisé de la classe me semble bien trop peu pris en compte.

Vous êtes très sévère envers l’institution, même si souvent vous reconnaissez la nécessité du cadre et que vous ne cherchez pas de boucs émissaires faciles. N’y a-t-il pas de nombreux chefs d’établissement, inspecteurs, voire administrateurs qui font aussi beaucoup pour que le collège change comme vous le souhaitez ?

Évidemment, et heureusement ! J’ai rencontré des gens absolument géniaux, mais souvent isolés et, malheureusement, peu compris. Si demain, on me donne un collège, j’ai le personnel de mes rêves, de la principale à l’agent en passant par la CPE et les collègues.

Vous revendiquez souvent votre autonomie – vous employez peu le terme liberté pédagogique, je crois – et avouez votre peu de gout pour le travail collectif. Pourtant, celui-ci n’est-il pas nécessaire ? Et que pensez-vous de l’interdisciplinarité, que vous n’évoquez guère ?

Bien sûr que c’est nécessaire ! Je ne préconise rien en la matière, c’est juste une question de tempérament. Et, surtout, je déteste qu’on plaque des slogans sur la vie du collège, qu’on soit mécaniquement collectifs, en équipe ou interdisciplinaires. Je pense par ailleurs beaucoup de bien de l’interdisciplinarité, non seulement parce que j’enseigne trois matières, mais aussi parce que je m’intéresse beaucoup aux autres. Rassurez-vous, je travaille aussi avec des collègues, au CDI, avec la vie scolaire, etc.

Une question d’actualité : que pensez-vous des mesures annoncées par le ministre (dictée, soutien, devoirs faits), sans parler du débat sur l’uniforme ?

Je suis consternée… On ne prend pas l’école au sérieux en proposant de telles petites mesures mille fois évoquées déjà. Quant à l’uniforme, je ne suis ni pour ni contre, c’est tout simplement hors sol qu’on accepte de discuter d’un sujet qui relève davantage de la pensée magique et de l’idéologie que des problèmes que rencontre l’école !

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk

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