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Faire classe dans la forêt


L’école hors les murs, on n’y renoncerait pour rien au monde lorsqu’on y a gouté !

Depuis plusieurs années, je me suis investie avec mes collègues dans des ateliers au sein de l’école, en y faisant participer les parents d’élèves, sur des thèmes comme le parcours santé, le développement durable. Parvenir à les maintenir devenait de plus en plus périlleux au vu du contexte sanitaire. Étant devenue entretemps directrice de l’école et donc force de proposition, j’ai invité mes collègues à se lancer dans l’aventure de faire classe dehors. Le numéro des Cahiers pédagogiques de juin 2021, « Apprendre dehors », et son webinaire1 m’ont servi aussi de base pour me renseigner sur le sujet et en faire part à mes collègues.

Je suis convaincue de la pertinence d’une telle démarche, car le confinement a fait beaucoup de dégâts auprès de nos jeunes élèves : enfermement en intérieurs, manque de socialisation. À la rentrée de septembre 2021, nous avons constaté qu’un plus grand nombre d’enfants n’avaient pas encore acquis la propreté.

En échangeant avec mes collègues, je me suis rendu compte que notre posture d’enseignante allait être impactée par « l’école dehors » : nos élèves peuvent avoir plus de liberté en forêt. Le cadre d’exercice d’enseignement est différent. Les enfants peuvent escalader, arpenter la forêt. Le lieu de mouvance du corps n’est pas lisse, aseptisé, comme dans la cour de récréation. Le bâton interdit dans la cour servira de matériau pour construire une cabane et on en trouvera de multiples autres usages en forêt.

Des rubans et des chants

Nous avons choisi en équipe d’entourer de rubans nos zones d’activités dans un premier temps, pour que les enfants aient des repères spatiaux et que les maitresses soient tranquillisées.

Notre arrivée et notre départ de la forêt sont ritualisés par deux chants que les deux classes  chantent ensemble : un chant en français et un autre en allemand, chants que nous avons inventés pour la circonstance.

Voici le compte-rendu que m’ont dicté mes élèves de moyenne section au retour d’un après-midi en forêt, à partir des photos prises. J’ai choisi cette activité en raison de la météo : avec des températures basses, faire du feu a permis de nous réchauffer2. Motivation immédiate !

Les enfants racontent : « Vendredi 21 janvier 2022, nous avons dit bonjour à la forêt comme d’habitude. Nous avons fait du feu. Nous avons pris vingt pierres (on les a comptées !) pour faire un rond pour qu’il n’y ait pas du feu partout dans la forêt ! Nous avons fait un petit nid d’écorces sèches pour protéger de l’humidité. Nous avons froissé du papier journal pour faire des boules. Nous avons mis aussi des petits bouts de cagette bien sèche. Nous avons mis des branches de plus en plus grosses et aussi des cœurs d’épi de maïs séchés parce que ça brûle bien ! Nous avons pris des toutes grandes allumettes et nous avons allumé le feu en frottant sur le grattoir de la boîte : nous avons fait du vent avec une petite planche pour que notre feu grandisse !

Nous avons mangé le pain, que nous avons cuit dans notre feu de bois, avec du chocolat.

Nous avons aussi bu de la tisane. C’était délicieux !

Nous avons éteint le feu avec de l’eau pour ne pas le laisser brûler tout seul.

On ne peut faire du feu que quand on est avec un adulte !

C’était super ! »

Objectifs pédagogiques

Dans l’idéal, j’aurais fait faire la pâte à pain en classe avant de partir de manière à travailler le support de la recette de cuisine, trier les ingrédients des ustensiles, etc., mais cela n’a pas été réalisable au vu du protocole sanitaire du moment. Cependant, j’ai pu faire travailler d’autres objectifs pédagogiques comme par exemple :

  • acquérir du vocabulaire, verbaliser ses actions : le récit séquentiel,
  • dénombrer une collection ou pour certains dire la comptine numérique jusqu’à 20,
  • classer du plus petit au plus grand (les bâtons de bois),
  • utiliser des objets considérés comme dangereux et savoir quand on peut le faire,
  • plus généralement, respecter l’environnement, le protéger : découvrir des coins de nature proches de chez soi et savoir y vivre.

Il me parait intéressant d’énumérer les effets observés chez les enfants de la classe de manière générale depuis que nous sortons en forêt :

  • Des moments de coopération et de convivialité viennent nourrir le vivre-ensemble de la classe.
  • Des enfants ayant des difficultés de comportement entre les murs de la classe s’épanouissent en forêt.
  • Les enfants ont davantage conscience de leurs émotions et les expriment plus facilement. Ils ont davantage d’empathie pour les autres. La solidarité et l’entraide sont renforcées auprès des enfants en situation de handicap de la classe.
  • Ils sont motivés pour apprendre. On le voit à leur investissement, chacun à son niveau dans les tâches ou les actions à réaliser sur place, ou de retour en classe dans le cadre des activités de réinvestissement.
  • Ils acquièrent progressivement une meilleure motricité, du dynamisme, de la joie de vivre et l’expriment lors de nos sorties.
  • On ressent une sensation d’apaisement, de calme, contrairement au bruit des voix et autres que l’on peut entendre lorsqu’on est en classe. L’enfant peut expérimenter librement sa voix dans la forêt.

Et pour les parents qui nous accompagnent, le fait de vivre ces moments de coéducation permet de voir son enfant interagir dans le groupe, de mieux comprendre les enjeux de l’école, le cadre relationnel installé par l’enseignante.

Les enfants me demandent de plus en plus des temps d’activités libres où ils jouent à s’inventer des histoires, des contextes : « on disait que c’était… ». Ils développent ainsi leur imaginaire, bien loin des écrans qui les en empêchent parfois. Je suis à l’écoute de leurs scénarios, je les reprends pour mener de nouvelles activités avec des objectifs pédagogiques ciblés. Leur motivation pour celles-ci est, là aussi, bien réelle !

Après un peu moins de trente ans d’enseignement en école élémentaire puis en école maternelle, sortir de l’école me donne une nouvelle occasion d’expérimenter une autre manière de faire classe, développer ma créativité d’enseignante, bien loin des fiches format A4 qui n’ont de sens que pour les meilleurs élèves, ceux qui ont déjà la culture scolaire avant même d’arriver à l’école et qui, quoi qu’il en soit, réussiront.

J’ai la conviction qu’offrir d’autres lieux d’apprentissages que l’école – on pourrait aussi évoquer les lieux culturels – est une manière de permettre à tous les enfants de s’épanouir et se construire scolairement durant les trois années de maternelle.

Jeanne-Claude Mori
Professeure des écoles et directrice en maternelle.

 

Notes
  1. À voir sur la chaine YouTube du CRAP-Cahiers pédagogiques, à l’adresse https://www.youtube.com/watch?v=puX-_Jics8s.
  2. Sur le plan matériel, chacun a contribué à sa mesure : les bottes en caoutchouc des enfants sont fournies par les parents et restent à l’école, la mairie nous a acheté les ponchos, et la chariotte permettant de transporter le matériel d’observation, comme les loupes, a été achetée par la coopérative scolaire.