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Éviter la haine et permettre à l’école d’évoluer (III)

Première partie de la tribune
Deuxième partie de la tribune

Le consensus est général : l’école doit faire mieux réussir un plus grand nombre d’élèves. Hors FO, qui par principe, se refuse à prendre part au débat, chacun sait, ou croit savoir, ce qu’il faudrait faire. Il est pourtant, affirmais-je dans une précédente tribune, d’autant plus difficile de le savoir que « les expériences réussissent toujours ». Méthode globale, méthode syllabique ou « méthode des pieds au mur » sont également efficaces aussi longtemps qu’elles sont portées par des enseignants formés et mobilisés. La formule m’a été reprochée. J’ai entendu parler d’une enseignante qui apprenait aux enfants à lire avec des emballages de médicaments. A-ci-de-a-cé-tyl-sa-li-ci-li-que. C’est aussi aberrant que les pieds au mur ! Elle avait néanmoins de bons résultats et les enfants étaient ravis, paraît-il…
Les neurosciences, nous apprennent tous les jours que tout est plus complexe que ne le croit Stanislas Dehaene. Pour apprendre à lire, il faudrait d’abord savoir chanter. A moins que de travailler sur un sujet qui passionne (ce qui est rarement le cas du b a ba, malgré le contre-exemple ci-dessus) ne génère la dopamine nécessaire au fonctionnement des neurones… La multiplication des paramètres est telle que nul ne peut les maitriser, ni en déduire une « vérité » pédagogique.
Non seulement nous ne savons pas comment, mais nous ne savons pas pourquoi. L’école a-t-elle pour mission la transmission de connaissances ? l’acquisition de connaissances et de compétences ? Doit-elle former les citoyens d’une société où compétences et connaissances jouent un rôle primordial, mais dans un système de valeurs ? Doit-elle former des femmes et des hommes capables de s’engager tout au long de leur vie dans l’acquisition de connaissances et de compétences nouvelles ?
Cette incertitude sur les moyens et les fins est sans doute consubstantielle à l’éducation. Chacun des acteurs sait, ou devrait savoir, quelle fin il poursuit, et avec quels moyens, mais ces questions ne peuvent pas être tranchée par le ministère, qui n’a qu’un pouvoir de pilotage. C’est pourquoi la « liberté pédagogique » n’est pas une concession faite par la « loi Fillon » au SNALC. Il appartient au politique de mettre l’accent sur telle ou telle orientation, mais toujours au risque de déclencher le processus action-réaction. D’où ma réponse à une seconde objection. Il est vrai que la rhétorique « républicaine et anti-pédagogique » initiée par Jacques Muglioni dans les années 80 s’épuise. Les ultimes avatars du philosophe, Brighelli, Coignard, Polony, témoignent de la déliquescence de ce discours. Mais il s’en trouvera d’autres pour lui redonner une forme intellectuellement acceptable. Frédéric Dupin m’en semble tout à fait capable. Dans le sillage des promoteurs de la revue Skholè peuvent aussi apparaître de très bons sophistes.
Le pouvoir garantit des statuts et des programmes, il donne des incitations; pour le reste, il doit laisser aux acteurs de larges marges d’autonomie. Cette autonomie est-elle celle de l’enseignant dans sa classe ? De l’équipe pédagogique ? De l’établissement ? Un établissement se résume-t-il à son chef ?
Puisqu’il faut faire réussir davantage d’élèves, il faut modifier les pratiques. Le politique a quelques moyens pour influer sur la formation initiale qui est structurée par les modalités de recrutement. Il en a beaucoup moins sur la formation continue qui, si elle ne s’inscrit pas dans le système de valeurs du stagiaire, a toutes les chances d’être rejetée. La littérature mondiale nous apprend qu’un pouvoir qui veut faire évoluer ses enseignants doit leur garantir le soutien de leur administration, des occasions de réfléchir collectivement (un exercice qu’il ne peut leur imposer), et leur donner des informations sur le devenir de leurs élèves.
La création d’un échelon administratif au niveau du bassin me semble être la seule réponse possible. Elle ne coute pas cher en termes de moyens ni de textes réglementaires. Cet établissement public de bassin  rassemble écoles, collèges et lycée et il fait ce que chacun ne peut pas faire à son échelle et ce que le rectorat, trop distant, ne peut pas faire avec suffisamment de finesse : gestion des flux d’élèves, gestion des élèves les plus difficiles, gestion différenciée des moyens, gestion des ressources humaines, gestion de l’innovation. l’établissement public de bassin  peut lancer des appels à projets ou recevoir, examiner et valider les projets d’équipes qui se constituent par affinités. Ce sont ces projets qui feront évoluer, par cercles concentriques, les pratiques, sans rien imposer, donc sans provoquer de réactions.
J’ai osé écrire, et c’est la troisième objection à laquelle je veux répondre, que Brighelli serait alors sur le même pied qu’un militant du CRAP. Désolé, mais il est, à l’évidence, à égalité de dignité. Est-il capable d’initier un projet collectif que validerait le conseil d’administration de l’établissement public de bassin, qui s’inscrirait dans le cadre des orientations définies par le ministère, qui ne laisserait pas d’élèves sur le bas-côté, etc., etc.? J’en doute. Son dernier opus se résume à tout attendre de l’Etat et à récuser par avance tout ce qui vient de l’Etat. Mais je suis démocrate, ce qui suppose que je croie que les individus peuvent évoluer. Obligé de réfléchir collectivement et positivement à ses pratiques, à leurs enjeux, à leurs conséquences, il sera bien obligé de sortir du registre des lamentations et de s’inscrire dans un processus rationnel…