Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Du côté de la pédagogie institutionnelle

Le groupe est un élément clé de la pédagogie institutionnelle, avec les techniques Freinet et la prise en compte de l’inconscient. Quelques outils et concepts mis en jeu.

La pédagogie institutionnelle (PI) est un courant issu de la pédagogie Freinet dans les années 1950-1960 qui s’est développé de l’école maternelle à l’enseignement supérieur. Cette pédagogie consiste à mettre en place des institutions dans les classes ou les groupes en formation. Parmi les plus connues, le conseil ou les métiers sont des techniques Freinet ; le « quoi de neuf ? », les ceintures de compétence et le « coin petit » (où l’enfant en difficultés relationnelles peut s’isoler) sont des créations de la PI.

La PI s’est progressivement constituée dans des groupes réunissant des enseignants et des « psys » (psychiatres, psychologues, psychanalystes) pour analyser ensemble une partie des processus psychiques inconscients à l’œuvre dans les classes. Dans Vers une pédagogie institutionnelle (1967), premier ouvrage du courant psychanalytique de la PI, Aïda Vasquez et Fernand Oury consacrent une vingtaine de pages à la « psychologie des groupes »1.

Une recherche récente2 a permis de montrer que la question du groupe est très présente dès les premières publications de Fernand Oury (1955-1958). Il y oppose le « groupe-classe » et le « groupe-scolaire » urbain, le premier correspond à la « classe active » ou « coopérative », le second est, sous sa plume, la forme d’enseignement traditionnel. Selon lui, la « création de petits groupes scolaires à l’échelle humaine permettant le travail “artisanal” en pédagogie » peut résoudre cette opposition.

Dès cette époque, la référence aux travaux de Jacob Levy Moreno, pionnier de la sociométrie, est centrale pour aborder la dimension groupale. Le sociogramme-express, qui permet de mesurer la qualité des interactions et des dynamiques dans les classes, devient un outil au service de la composition des petits groupes. Il a fallu attendre les années 2010 pour que la PI emprunte de manière consistante à la psychanalyse groupale. Pourtant, l’attention portée aux dynamiques des groupes dans la pédagogie est ancienne. Plusieurs textes écrits par les premiers pédagogues psychanalystes de l’entourage de Freud, comme Hans Zulliger et Edith Buxbaum, récemment publiés dans la revue Cliopsy, en témoignent.

FONCTIONS DES GROUPES

Les institutions de la PI reposent pour la plupart sur des agencements groupaux. Le conseil est un espace de parole, de régulation, de décision où le groupe classe peut agir sur le fonctionnement institutionnel de la classe. D’autres configurations groupales plus ou moins pérennes comme les équipes de travail constituent un espace d’entrainement, d’apprentissage et d’entraide, mais aussi de production où se tissent des relations entre pairs. Même l’institution du « quoi de neuf ? » auquel chaque élève peut décider de s’inscrire et de participer est un moment favorisant l’émergence du sujet.

Ces groupes de la PI revêtent des fonctions importantes pour l’élève qui y participe, pour le fonctionnement de la classe, mais aussi pour l’enseignant qui les met en place. Nous avons ainsi montré dans un travail de recherche récent3 comment la notion de « fonction Gamma », autrement appelée « fonction groupe », permet d’envisager les processus de transformation et d’élaboration des émotions brutes en pensées exprimables dans un groupe classe. Lorsque dans la monographie Joris face au conseil4, l’élève pleure lors d’un conseil, le groupe – composé à la fois des élèves de la classe et de l’enseignante – permet de transformer les éléments sensoriels et émotionnels qui traversent Joris en possibilités de formation de pensées dans le groupe. Joris, grâce à la « fonction Gamma » du conseil, peut ressentir, condition pour penser et se transformer.

SE FROTTER AU GROUPE

Les dispositifs groupaux, dans le cadre précis des institutions de la PI, permettent de lier la constitution d’un collectif et l’émergence des singularités de chaque élève. Pour cela, il semble nécessaire que le groupe atteigne un certain niveau de maturité, qu’il dépasse « un état groupal naissant (l’illusion groupale) » pour faire émerger « une communauté des frères » selon la terminologie employée par le neuropsychiatre et psychanalyste Claudio Neri.

Il ne s’agit pas seulement de reconnaitre qu’à l’intérieur des groupes constitués agissent un certain nombre de phénomènes (bouc émissaire, porte-voix…). L’enseignant a aussi à prendre soin du dispositif, à garantir un fonctionnement des institutions suffisamment ferme pour tenir face aux attaques. Ce cadre doit être aussi suffisamment souple pour se déformer et s’adapter aux aléas de la vie du groupe-classe5.

Dispositif de travail emblématique de la PI, le groupe d’écriture monographique est une « institution hors la classe », puisqu’elle a la particularité de se dérouler en dehors du temps scolaire. Ce mode de mise au travail de la pratique enseignante est, pour partie, un héritage de Célestin Freinet. Dès les premiers numéros de L’Éducateur prolétarien, fondé en 1932, on peut lire de courts récits relatifs à l’évolution d’élèves dans la classe coopérative.

Des monographies

Dans Vers une pédagogie institutionnelle, Aïda Vasquez et Fernand Oury présentent la forme spécifique de travail d’élaboration par l’écriture qu’ils conduisent au sein du Groupe d’éducation thérapeutique (GET) : « Il s’agissait d’abord de choisir un objet commun d’activité, un objet signifiant, qui provoque l’accrochage affectif de tous, instituteurs, psychologues, psychiatres, et puisse servir de médiation : un enfant qui est là, présent-absent imaginaire, peut fort bien jouer ce double rôle. […] Il nait ainsi un lien qui facilite les échanges, un lien où un autre mode de parole apparait ; à travers sa monographie chacun parle par du vrai, il est à la fois entendant et entendu. » Le premier texte monographique « long, informe, est lu au groupe ; un groupe qui écoute ce qui est dit, essaie d’entendre ce qui n’est pas dit et réagit ». Partant du récit d’une situation de classe ou d’élève, le GET analyse la situation pour la rendre pensable.

Le temps de construction de sens réalisé dans ce groupe de pairs est un temps non linéaire. Il met en œuvre des dynamiques basées sur la dimension de « reprise », de retour sur un passé : « c’est le propre du travail d’élaboration et de mise au point des monographies que de se soumettre d’avance aux aléas de cette zone d’où peut surgir le sens : le détour et l’après-coup »6.

L’écriture-lecture des monographies appartient à l’ordre de la praxis, une pratique sociale, autrement dit une modalité pédagogique qui fait de chacun, élèves et enseignants, non seulement des acteurs, mais, mieux encore, des auteurs dans les deux sens de l’instigateur et de celui qui s’autorise. La monographie est la voie de reconnaissance et d’élucidation des pensées nouvelles naissant à l’occasion des évènements imprévisibles qui ne manquent pas de survenir dans la relation pédagogique.

Arnaud Dubois
Professeur en sciences de l’éducation et de la formation à l’université de Rouen Normandie
Patrick Geffard
Professeur émérite en sciences de l’éducation et de la formation à l’université Paris 8
Marc Guignard
Maitre de conférences en sciences de l’éducation et de la formation à l’université Lyon 2

Retour au sommaire du numéro

Notes
  1. Fernand Oury et Aïda Vasquez, Vers une pédagogie institutionnelle, Maspero, 1967.
  2. Arnaud Dubois et Patrick Geffard « Fernand Oury, les groupes de la classe coopérative et l’approche psychanalytique (1955-1958) », Cliopsy n°14, 2015.
  3. Arnaud Dubois, Marc Guignard et le Groupe de PI Paris-Créteil (GPIPC), Une pédagogie pour grandir. Pédagogie institutionnelle et approche groupale, L’Harmattan, 2021.
  4. Monographie disponible sur le site du groupe de pédagogie institutionnelle de la Gironde : http://pig.asso.free.fr/Couvaccueil.dir/TextesActesLB09/Joris.pdf.
  5. Patrick Geffard , Expériences de groupes en pédagogie institutionnelle, L’Harmattan, 2018.
  6. René Laffitte et le groupe VPI, Essais de pédagogie institutionnelle : la nécessaire clairvoyance des taupes. L’école, un lieu de recours possible pour l’enfant et ses parents, Champ social, 2006.