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Déconstruire le mythe du prof sacrifié

nipedu-logo-nouveau.jpgQuelle différence y a-t-il entre Stromae et Dalida ?

Pour Mathilde Serrell, journaliste à France Inter, la différence entre le prodige belge et l’éternelle interprète de Gigi l’amoroso, c’est que, contrairement à la seconde, le premier ne veut plus mourir sur scène1.

C’est sur Instagram que Stromae a annoncé l’annulation de sa tournée. Pour préserver sa santé mentale, il rompt avec la tradition de l’artiste au destin sacrificiel prêt à griller sous les projecteurs. Mais ce n’est pas tant sa démarche qui fait évènement que les commentaires positifs qui accompagnent la décision : « Bravo à toi d’avoir su t’écouter ! Bravo à toi de montrer l’exemple […] Tu seras encore plus attendu ! », philosophe rockyonthelife sur Insta.

Un rôle modèle

Un récent épisode de Nipédu abordait le sujet des rôles modèles2, et plus particulièrement de leur place en éducation. À l’heure où les réseaux sociaux sont désignés coupables de la dégradation de la santé mentale de leurs utilisateurs, force est de constater que leur pouvoir d’influence constitue autant un motif d’inquiétude qu’un puissant outil pour réécrire le monde.

TikTok et Instagram offrent des rôles modèles qui s’inscrivent dans une démarche militante, incarnent des messages et des comportements nouveaux, donnent à voir les possibles.

À la fin de cette même émission, nous imaginions la manière dont les pouvoirs publics, ministère de l’Éducation nationale en tête, pourraient se saisir (ou non) de ces rôles modèles pour promouvoir le métier d’enseignant. C’est un fait : les réseaux sociaux regorgent de collègues influenceurs et influenceuses qui mettent en scène le plaisir d’exercer leur profession avec enthousiasme et passion malgré la dureté du quotidien.

Seulement voilà, à l’instar d’un Stromae, il y a urgence à penser autrement l’exercice du métier. Par-delà l’énergie de quelques-unes et de quelques-uns, mise en scène et hypertrophiée, le temps est peut-être venu de faire incarner un message autrement plus raisonnable et ambitieux : « Je souhaite exercer mon métier avec professionnalisme et plaisir, mais je ne veux pas mourir grillé sous les vidéoprojecteurs. »

Chez Nipédu, on s’est déjà amusés à sortir les calculettes pour voir comment optimiser nos 1607 heures3. On évoque d’ailleurs souvent le travail d’Angela Watson, sainte patronne autoproclamée de la semaine de « quarante heures de travail pour les profs », qui assène depuis plus de dix ans qu’il est possible d’inventer une manière durable d’exercer le métier que l’on aime.

Raconter une autre histoire

Mais, au-delà des créateurs de contenus et des entrepreneurs à succès, n’est-ce pas par un mouvement de fond que la communauté éducative parviendra à raconter une autre histoire ? Stromae, mais surtout l’époque tout entière, invitent à changer de logiciel. Sans attendre un illusoire tsunami culturel venu d’en haut, sommes-nous collectivement d’accord pour enseigner suffisamment bien et nous dire que le mythe du prof sacrifié a fait son temps ? La première des questions étant de savoir si les communautés de pédagogues et les enseignants les plus investis sont prêts à raconter cette nouvelle histoire. Qu’en dis-tu ?

Régis Forgione, Fabien Hobart et Jean-Philippe Maitre

Sur notre librairie



Notes
  1. « Un monde nouveau » du 6 avril 2023 : https://tinyurl.com/mrympysf.
  2. Pour l’écouter : https://tinyurl.com/ycktar86.
  3. Nombre d’heures travaillées en un an pour 35 heures hebdomadaires.