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Ce que dit la recherche sur les groupes de niveaux
Pour Lou Aisenberg et Clémence LabutLou Aisenberg et Clémence Labut1, tout dépendrait de la durée de ces regroupements. Les groupes et classes de niveau sont permanents alors que les groupes de besoin sont ponctuels et flexibles. Les premiers visent l’homogénéité. Les seconds cherchent à faciliter le fonctionnement de classes hétérogènes.
Bien que l’homogénéité des classes soit impossible à établir, elle constitue l’objectif visé par les classes de niveau dans plusieurs pays. En Angleterre, elles prédominent dans l’enseignement de l’anglais et des mathématiques au sein des écoles secondaires. Leur nombre a également augmenté aux États-Unis.
En principe abolies en France, les enquêtes dévoilent la réalité de pratiques indirectes de regroupement par niveau. Les classes des collèges français sont loin d’être hétérogènes, l’offre d’enseignements optionnels et le choix des langues notamment ayant effectivement créé de telles classes de niveau.
Très répandus sur le plan international, ces regroupements par niveau ont fait l’objet de nombreuses études. Citons par exemple l’étude Best Practice in Grouping Students menée au sein de l’Institute of Education de l’University College de Londres entre 2014 et 2018, analysée par la chercheuse Anna Mazenod2. Mais également l’étude menée par Marie Duru-Bellat et Alain Mingat à partir de la base de données recueillies par la DEP, niveau du collège, entre 1989 et 19923.
Se baser sur l’évaluation du niveau scolaire des élèves pour créer des groupes homogènes semble aller de soi. D’ailleurs, les classes de niveau observées par la recherche s’appuient sur des évaluations standardisées souvent complétées par le partage d’informations entre enseignants d’une année sur l’autre.
Cela suffit-il à constituer des groupes correspondant au niveau des élèves ? Hélas non. L’enquête Best Pratice in Grouping Students montre « qu’un tiers des élèves est affecté à une classe de niveau incorrecte si le critère considéré est celui de leurs résultats académiques précédents ». Par ailleurs, les études convergent sur le fait que l’origine ethnique, la classe sociale et plus encore le genre des élèves influeraient sur la répartition des élèves4.
Le redoublement est de moins en moins courant. Très couteux, de nombreuses études concluent à son inefficacité, voire à son impact négatif sur les apprentissages, l’estime de soi et la persévérance. Le Centre national d’étude des systèmes scolaires (Cnesco) note que « le redoublement a des impacts scolaires et psychosociaux négatifs sur les élèves », tout comme l’Education Endowment Foundation (EEF) qui signale que de tels effets négatifs sont fréquents dans le domaine éducatif.
En sus, le redoublement serait un vecteur d’accroissement de la reproduction des inégalités sociales. D’après les données de PISA 2012, un élève de 15 ans issu d’un milieu défavorisé aurait une probabilité trois fois plus élevée qu’un élève issu d’une classe sociale moyenne ou supérieure d’avoir redoublé5. À niveau scolaire équivalent, cette probabilité reste de 1,56.
Les classes de niveau sont souvent légitimées par l’idée que l’homogénéité permettrait un enseignement plus ciblé et efficace7. Pourtant, les recherches internationales montrent que l’organisation de ces classes produirait au contraire une différenciation inégalitaire de la qualité d’apprentissage et d’enseignement8.
Ainsi, une question identique serait traitée différemment par les enseignants selon qu’elle est posée par un élève appartenant à un groupe fort ou à un groupe faible. À une demande d’explication, on répondrait aux uns par une démonstration abstraite, aux autres par un exemple de plus. Les enseignants ne feraient que se conformer à la considération implicite de ce mode de groupement, à savoir que les élèves sont dotés d’aptitudes inégales, ce qui nécessiterait des traitements pédagogiques spécifiques. Inconsciemment, ils offriraient ainsi aux meilleurs les plus grandes chances de s’améliorer en multipliant les interactions, les renforcements, les stimulations. Les professeurs couvriraient également moins le programme dans les classes plus faibles. En somme, la quantité, le rythme ou encore la qualité des activités d’instruction seraient modulés9.
Ces pratiques auraient également des effets importants sur la confiance en soi des élèves. Anna Mazenod10 observe que les élèves placés dans les classes de niveau faible en mathématiques manifestent une baisse significative de leur confiance en eux dans la matière et en général. D’autres études soulignent l’affectation des enseignants les moins expérimentés aux classes ou groupes de niveau faible.
Tout ceci contribuerait à une prophétie autoréalisatrice, les attentes des élèves et des enseignants s’ajustant au niveau supposé. Plus encore, Becky Francis, Nicole Craig, Jeremy Hodgen et al.11 décrivent une sorte de « prophétie boule-de-neige » (Snowball prophecy) : les différents éléments mentionnés précédemment s’ajoutent couche après couche, ce qui creuserait les écarts au fil du temps.
Si les regroupements homogènes ne profitent qu’aux meilleurs, pourquoi les familles des élèves de niveau moyen ou fragile ne les remettent-elles pas tant en cause ? Les études l’expliquent par une forme de résignation des plus fragiles et par l’espoir qu’un enseignement adapté permette à leur enfant d’accéder ensuite aux meilleures classes. Les familles des élèves en réussite, elles, ont tout intérêt à suivre une logique de la distinction puisqu’elles offrent effectivement à leur enfant des conditions optimales pour progresser.
Le rôle du politique est donc important, car il peut privilégier l’intérêt du plus grand nombre. Ainsi, pour Bruno Suchaut12, si l’on souhaite l’équité et « réduire les écarts entre les élèves sans pour autant affecter fortement le niveau moyen, alors le meilleur compromis pour tous les élèves, est un groupe hétérogène car il permet aux élèves en difficulté de progresser sans que les élèves les plus avancés soient réellement pénalisés ». Lorsque le politique écarte le principe d’hétérogénéité, on peut légitimement se demander si son intention n’est pas de privilégier le bien d’une partie de la population, la plus aisée, au détriment des intérêts collectifs.
Si les effets pervers des classes et groupes de niveau sont bien documentés, les écueils de l’hétérogénéité ne le sont pas moins. La communauté scientifique s’accorde sur le fait que le frein principal réside dans les compétences et l’expérience des enseignants dans ce domaine, et appelle à améliorer la formation initiale et continue13. La personnalisation des apprentissages14, la pédagogie de la maitrise des apprentissages, le numérique éducatif apparaissent par exemple comme des pistes intéressantes pour une différenciation efficace15.
Les groupes composés sur la base d’évaluations n’attribuent que rarement les élèves à leur niveau. Ils tendent plutôt à assembler les élèves selon leurs origines sociales et culturelles.
Au sein de groupes homogènes, les élèves bénéficient d’enseignements inégaux : les questions ne sont pas traitées avec les mêmes exigences, la qualité des réponses apportées varie selon les groupes, les programmes ne sont pas couverts de la même manière, etc.
Les élèves dans les groupes faibles perdent souvent confiance en eux. Ils sont enseignés par des enseignants moins expérimentés qu’ailleurs. La gestion de l’hétérogénéité des élèves dépendrait de la qualité de la formation initiale et continue des enseignants.
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Notes
- « Différenciation des apprentissages : quelles modalités pour quels impacts ? », Note IDEE n°1, https://www.idee-education.fr/resultat-de-recherch/note-idee-n1/, 2023.
- Anna Mazenod,« Classes de niveau : variations internationales dans les regroupements d’élèves et la constitution de classes au collège », Revue française de pédagogie n° 212, 2021, p.93-108.
- Marie Duru-Bellat, et Alain Mingat, « La constitution de classes de niveau dans les collèges ; les effets pervers d’une pratique à visée égalisatrice », Revue française de sociologie 38-4, « Le suicide un siècle après Durkheim »,1997, p. 759-789.
- Anna Mazenod, op cit.
- Voir : https://www.ffdys.com/actualites/18-dec-2023-communique-de-presse-preoccupations-de-la-ffdys-quant-a-limpact-potentiellement-negatif-des-annonces-du-ministre-de-leducation-nationale/.
- Christian Monseur et Dominique Lafontaine, « Entre savoirs scientifiques et usages normatifs : les enquêtes internationales d’évaluation des acquis des élèves », dans Lucie Mottiez-Lopez et Gérard Figari, Modélisation de l’évaluation en éducation, De Boeck, 2012.
- Maureen Hallinan et Aage Sorenson,« Ability grouping and sex différences in mathematics achievment». Sociolgy of Education, n°60 (2) 1987, p.63-72. Sorel Cahan, Liora Linchevski, NaamaYgra et Irit Danziger, «The cumulative effect of ability grouping on mathematical achievment : A longitidunal perspective», Studies in Education Evaluation n° 22(1), 1996, p.29-40.
- Jeannie Oakes, Amy Stuart Wells, Makeba Jones et Amanda Datnow, « Detracking : The social construction of ability, cultural policies, and resistance to reform », Teachers College Record n°98(3), 1997, p.482-509. Judy Ireson et Sue Hallam, Ability Grouping in Education, Paul Chapman ed., 2001. Susan Hart, Annabelle Dixon, Mary Jane Drummond et Donald Mcintyre, Learning Without limits. Maidenhead, Open university Press, 2004.
- Marie Duru-Bellat, et Alain Mingat, op.cit.
- Anna Mazenod, op. cit.
- Becky Francis, Nicole Craig, Jeremy Hodgen, Becky Taylor, Antonina Tereschenko, Paul Connoly et Louise Archer, « The impact of tracking by attainment on pupil self-confidence over time : Demonstrating the accumulative impact of self-fulfilling prophecy», British Journal of Sociologie of Education n°41(5), 2020, p.626-642.
- Bruno Suchaut « L’hétérogénéité des élèves : un éclairage par la recherche en éducation », Cahiers pédagogiques n° 454, « Enseigner en classe hétérogène », mai 2007, p.18-19.
- Anna Mazenod, op cit.
- Sylvain Connac, La personnalisation des apprentissages. Agir face à l’hétérogénéité au collège et à l’école ESF, 2022.
- Lou Aisenberg et Clémence Labut, op.cit.