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Apprendre, c’est pour tout le monde (épisode 4)

Une volonté forte du système éducatif néozélandais est de reproduire au niveau de l’établissement la même culture apprenante qui est mise en place par l’enseignant dans la salle de classe : le chef d’établissement a un rôle de leader of learning qui doit faciliter les enquêtes et créer un environnement où un enseignant est encouragé à développer des questions fécondes sur sa pratique, où on donne à cet enseignant les moyens et les outils d’y répondre ou du moins d’essayer d’y répondre.

Le chef d’établissement conduit des entretiens d’embauche. Le professeur répond aux petites annonces, pose sa candidature directement dans les établissements avec CV, lettre de motivation et références. Beaucoup de postes ne sont pas permanents, mais sur un an renouvelable. Les établissements gèrent leur propre budget, alloué par le gouvernement, entre autres, mais principalement, selon le nombre d’élèves inscrits.

Les établissements sont gérés en équipe, le chef d’établissement en tête. Ensemble on détermine le programme scolaire qui doit s’inscrire dans le cadre référentiel. Il n’y a pas de programmes qui dictent les contenus des disciplines, pas de livres. Par exemple, pour l’enseignement du français, aucune méthode publiée n’étant adaptée au contexte néozélandais (car soit australienne, soit anglaise), la plupart des professeurs ont l’habitude de créer leurs propres ressources pédagogiques, et de les partager avec leurs collègues.

Dans chaque établissement, il y a un sens fort de communauté, d’appartenance, auxquels adhèrent les enseignants et les élèves. On parle de Learning community, dans laquelle tous les participants ont un rôle à jouer au niveau de la prise de décisions. Le but commun est « d’améliorer les résultats d’apprentissage des élèves » (improve outcomes for students). Une des mesures de succès reste les résultats des évaluations nationales.

L’enseignant et ses rôles

Je suis professeur de secondaire (c’est-à-dire en collège et lycée), j’ai enseigné le français dans un établissement urbain de 1650 filles pendant huit ans. J’ai été dean pendant cinq ans, un peu le professeur principal si on veut de toute une cohorte que j’ai prise à leur arrivée au collège (équivalent de la classe de 4e) jusqu’à la fin de la terminale. Il y a un rôle d’orientation, de discipline, de mentor dans certains cas, et très bien décrit par le mot « pastoral », sans le sens religieux, si on peut imaginer ! Ce poste en lui-même m’a ouvert les yeux sur une myriade d’éléments de gestion d’un établissement.
Pendant ce temps, j’ai été aussi coordinatrice des évaluations de juniors (4e-3e) et aussi en charge du programme gifted and talented (une mode qui a passé, ouf !), et tout cela en conservant des classes de français. On accumule facilement les chapeaux si on veut, chacun s’assortissant la plupart du temps, d’une Management Unit (c’est-à-dire d’unité de salaire en plus de l’échelle standard des salaires).
J’ai évolué ainsi au sein d’une équipe avec laquelle on co-construisait les pas suivants en se renseignant à partir de ce qu’on venait d’obtenir, on se fait confiance entre nous, on est mis en confiance, on a une marge de manœuvre et on se réfère au cadre et on l’interprète pour notre situation, notre environnement.
En huit ans de présence dans le même établissement, je n’ai jamais fait la même chose : de nombreuses opportunités se sont présentées, avec des postes qui ont à chaque fois représentés pour moi un « avancement de carrière » et énormément de formation continue, sur le terrain, les mains aux manettes.

Développement et évaluation peuvent fonctionner ensemble

Il y a une charte qui indique où doit se faire le Professional Learning and Development (PLD) : la plus récente indique qu’il faut améliorer les résultats d’apprentissage en particulier des élèves maoris, des élèves pasifika, des élèves avec des besoins spéciaux, des élèves issus de milieux socioéconomiques faibles et des garçons. Donc si je veux accéder à un petit morceau de budget pour mon département de langues, il faut que dans mon budget je dise : afin d’améliorer les résultats de X, on veut faire ça qui va couter tant. Mais il faut aussi que ça s’inscrive dans les objectifs que l’établissement a déterminés dans son plan stratégique.

J’ai eu accès à quelques congrès pour l’enseignement des langues, journées hors emploi du temps sur un thème consacré soit au fonctionnement de l’établissement, soit à la discipline enseignée.

Chaque membre de l’équipe enseignante est évalué tous les ans au sein de l’établissement. Ça s’appelle appraisal. La façon dont s’est fait dépend de l’établissement : si le chef d’établissement joue son rôle de leader of learning au sens du New Zealand Curriculum, alors l’enseignant sera plus impliqué dans ses propres apprentissages et pourra conduire son enquête (teaching inquiry) tout au long de l’année ou, plus longtemps, pourra faire des choix sur ce qu’il veut apprendre, du moment que le lien avec la charte est explicite et que les objectifs individuels « servent le but commun ».

Le résultat de ce processus varie d’un établissement à l’autre : ce peut être un portfolio, recueil des apprentissages de l’enseignant, partagé avec le reste de l’équipe et un responsable ou qui est peut-être même, pour les plus novateurs, public. Mais c’est aussi peut-être une liste avec des boites cochées après un entretien rapide avec son responsable de discipline et rempli par souci de conformité.

De la formation à la consultance, l’accompagnement d’équipe

Accéder à la formation continuée est en train d’évoluer aussi, et ça plutôt rapidement : jusqu’à peu, si j’avais identifié un besoin de formation sur un sujet précis, je pouvais faire appel même à court terme à un conseiller régional, payé par le ministère et basé dans une équipe d’université, selon la disponibilité de ce conseiller.

Maintenant il faut mettre ça dans le budget et penser plutôt long terme et plan stratégique, car il y de moins en moins de conseillers au sein des universités et de plus en plus de consultants accrédités qui vous envoient la facture directement. L’idée générale est de décentraliser les budgets de PLD en ne payant plus des « experts employés par le ministère », mais de donner les budgets directement aux établissements et a eu d’en assumer l’utilisation. 

Les TICE à la rescousse du développement professionnel

Un exemple de développement professionnel en équipe, à travers les établissements et même parfois des secteurs : ICT PD clusters, un programme existant depuis 1999. Créé pour l’utilisation efficace des TICE, il a évolué vers l’e-learning. Les équipes enseignantes enquêtent pendant trois ans ensemble, développent et partagent leurs matériels, etc.

Chaque année il y a deux gros congrès nationaux réunissant les équipes impliquées  : Learning@School, en début d’année, pour de la prise d’informations, et ULearn en fin d’année, pour la présentation des travaux effectués, des démarches entreprises. Tous les enseignants ayant droit à un ordinateur portable, il a bien fallu mettre en place des dispositifs pour favoriser leur utilisation. Pour moi dans mon établissement, en 2003, ça voulait dire : un jour je reçois un portable, puis on me dit d’aller à une réunion de trente minutes tous les mardis matins pendant six mois. Ça a beaucoup évolué depuis, les traces des apprentissages sont beaucoup plus concrètes avec les wikis et autres.

Alors il me semble qu’en ce moment les nouvelles approches pour la formation continuée des enseignants essaient de mettre un cadre autour de pratiques qui existent bel et bien. Dans le but de professionnaliser la profession ?

Pascale Hyboud-Peron
Professeure de français, responsable de l’association des professeurs de français en Nouvelle-Zélande