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Y faux camp m’aime fer attends scions

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Le B2I stipule que l’élève devra, à la fin du collège, savoir faire une « utilisation raisonnée »[[Cette compétence est évaluée de la façon suivante : Voici quatre affirmations. Une seule correspond aux fonctions véritables du correcteur orthographique. Laquelle ?
affirmation 1 :
Le correcteur orthographique permet de corriger toutes les erreurs d’orthographe.
affirmation 2 :
Le correcteur orthographique permet de corriger uniquement les erreurs de grammaire (exemple : les accords entre un nom et son adjectif).
affirmation 3 :
Le correcteur orthographique permet de corriger uniquement les erreurs de conjugaison.
affirmation 4 :
Le correcteur orthographique repère les erreurs d’orthographe d’usage et propose des solutions de correction. Mais il ne remplace pas l’usage du dictionnaire]] du correcteur orthographique. Par ailleurs, les instructions officielles sont claires : l’informatique n’est pas un objet d’apprentissage et doit rester un outil, dont on ne doit évaluer la maîtrise qu’en situation d’usage. Cette restriction a pour avantage de prévenir les erreurs qu’on a vues parfois, à propos d’un autre outil, le dictionnaire, dont la manipulation occupait de longues séances, décontextualisées, où l’on se demandait, par exemple, si chat se situait avant ou après chien, sans que la réponse serve réellement à quelque chose et sans qu’on ait même besoin d’ouvrir quelque dictionnaire que ce soit… Mais à trop vouloir éviter cet écueil, on pourrait se heurter à un autre : considérer que l’utilisation du correcteur orthographique est transparente, qu’elle ne nécessite donc aucun apprentissage spécifique, que ce soit sur le plan technique ou linguistique. On devine qui, alors, saurait se débrouiller au mieux avec Word… Devant ce double danger, nous avons fait nôtre la réflexion générale de Jacques Béziat sur le B2I, (2003) :
« […] la transparence de l’outil est, en soi, un projet que l’école se donne, plus qu’une réalité. […] Elle nourrit le mythe d’une technologie d’appropriation facile et directement généralisable dans les pratiques éducatives traditionnelles. Il peut s’agir autant d’un système de défense contre les nouvelles technologies que d’une hypothèse de travail pour leur intégration dans l’école. Quoi qu’il en soit, il est possible qu’en entretenant le mythe de l’outil neutre, le B2i occulte en partie la réflexion sur les conditions nécessaires pour une intégration réelle d’un objet qui doit devenir usuel en classe. »

C’est pourquoi il nous a semblé intéressant de nous poser la question suivante : que peut-on faire, dans le quotidien de la classe, pour intégrer l’usage du correcteur orthographique dans les apprentissages linguistiques ? Autrement dit, comment faire pour que l’usage de cet outil devienne transparent, sans que pour autant cette « transparence » soit considérée comme allant de soi, comment faire pour que l’usage en soit à la fois « naturel » et maîtrisé, sans que pour autant on oublie d’y initier les élèves, en construisant simultanément compétences techniques et orthographiques ?
Dans le but d’esquisser la réponse à ces questions, nous essayerons d’analyser les potentialités et les limites des correcteurs orthographiques pour en déduire les conditions à créer dans la classe afin d’en faire un usage efficace sur le plan didactique, en terminant par quelques pistes à explorer avec les élèves.

Que permet l’utilisation d’un correcteur orthographique avec des élèves de C3 ?

Disons-le tout de suite : il serait légitime de nous reprocher l’utilisation du singulier ; LE correcteur orthographique n’existe pas plus que son cousin, LE dictionnaire. Précisons donc que nous avons choisi de travailler sur le correcteur de Word, qui reste le traitement de texte le plus largement répandu, sans toutefois oublier de signaler que l’on peut se servir d’Open Office, logiciel que tous les acteurs de l’Éducation nationale ont le droit d’utiliser librement et gratuitement.
Notre article repose sur une pratique dans des classes de cycle 3 et notamment dans celle d’Isabelle Brulland, PEIMF à Saint-André-de Corcy dans l’Ain, classes qui ont l’habitude, par ailleurs, de se servir fréquemment de l’ordinateur.

Détection

Dans ces classes, le correcteur orthographique a pour principale utilité d’aider les élèves à détecter leurs erreurs, confirmant en cela, par la pratique, ce que certaines recherches ont déjà établi depuis un certain temps déjà (Desmarais, 1998a) :
« Jinkerson et Baggett (1993) ont également comparé la correction d’un texte faite par des élèves (n = 10) utilisant le correcteur, et celle faite par des élèves (n = 10) corrigeant manuellement. Cette recherche a révélé que le correcteur aidait les enfants à repérer les erreurs et, par conséquent, à en corriger un plus grand nombre. […] Les auteurs concluent, comme Dalton et al., qu’il est plus facile de reconnaître comme erronée une graphie que le correcteur a détectée, que de le faire soi-même. »
Autrement dit, si l’on distingue dans la révision, la détection de l’erreur, l’analyse de l’erreur et la correction de l’erreur, le correcteur[[Certains préféreraient d’ailleurs qu’on parle systématiquement de vérificateur orthographique]], comme son nom ne l’indique pas, facilite surtout la première opération, libérant ainsi partiellement les élèves de la double contrainte[[Le « double bind » de Bateson.]] de l’injonction « Fais attention » que Dominique Ducard (1995) analyse ainsi :
« Cet avertissement n’a de sens que si l’on signifie à quoi il faut faire attention. Compléter l’expression en disant par exemple « fais attention à ce que tu écris, ou à ce que tu vois » n’est guère d’un grand secours pour un enfant qui voit très bien ce qu’il écrit au moment où il se lit. Les exemples de démarche d’observation […] montrent bien qu’il ne suffit pas toujours de diriger l’attention sur ce qui a été produit, même en délimitant avec précision le point à prendre en compte, mais qu’il faut induire une action de mise en correspondance et de comparaison pour qu’une réflexion soit éveillée et qu’un choix puisse être fait. (p.198) »
Le correcteur orthographique, à la fois parce qu’il signale certaines erreurs et parce qu’il peut, si on le désire, suggérer des possibilités de correction, (dont, toutefois, nous le verrons, les élèves n’arrivent pas toujours à tenir compte) obéit à ces exigences. Il soulage ainsi l’enseignant(e) de la tâche fastidieuse de souligner les erreurs et permet à l’élève, à l’abri du regard de tous, d’en corriger tranquillement certaines, celles pour lesquelles il dispose en mémoire de la forme normée.
Le correcteur est aussi, par sa « patience » infinie, un moyen de dédramatiser l’orthographe (mais cette remarque vaut pour toute utilisation de l’informatique en situation d’enseignement) sans pour autant en minimiser l’importance : Word, « attentif » aux « fautes », rappelle que le respect de l’orthographe est une norme sociale (« si même l’ordinateur le dit »…), mais il le fait sans stigmatiser ou même, tout simplement, sans s’énerver !… Il se peut donc qu’il ne faille pas « jeter aux orties » les correcteurs orthographiques, même si leurs performances ne s’avèrent pas toujours à la hauteur des espérances didactiques qu’ils peuvent susciter, sans avoir vérifié (mais ce ne sera pas notre propos ici) l’impact positif qu’ils peuvent avoir sur les représentations que se font les élèves de l’orthographe.

De quelles erreurs ?

Reste à savoir quel type d’erreurs ils permettent de détecter. Il ne suffit pas, en effet, de rendre les élèves sensibles au fait que le correcteur ne « corrige » pas tout. Encore faut-il les aider à savoir quelles « fautes » il peut signaler et quelles « fautes » il ne peut pas signaler, ce qui est, d’ailleurs, une initiation rudimentaire à l’analyse d’erreurs. Pour cela, un examen préalable des potentialités d’un correcticiel est nécessaire, sur le plan linguistique, cognitif et didactique.
Nous considèrerons les situations de production de texte, laissant de côté le cas particulier de la dictée : écrire sous la dictée, en effet, ne se fait que rarement au traitement de texte, en milieu scolaire ; les compétences en jeu ne sont pas les mêmes ; l’objectif final de l’apprentissage de l’orthographe est prioritairement que les élèves arrivent à écrire, en respectant les normes orthographiques, ce qu’ils souhaitent écrire, et non pas seulement ce qui leur est dicté.

Le point de vue linguistique

La plupart du temps, les écrits qui portent sur les correcteurs distinguent correcteur orthographique et correcteur grammatical, reprenant à leur compte la distinction « erreurs d’orthographe » (ou erreurs lexicales) et « erreurs de grammaire » qui est couramment utilisée dans les classes. Distinction que confirme un traitement de texte comme Word qui use de deux couleurs (rouge pour l’orthographe, couleur symbolique s’il en est…, et vert pour la grammaire).
Si l’on est persuadé de l’aide que peut apporter à la didactique la description que Nina Catach et ses collaborateurs ont faite du système orthographique français, on peut essayer d’affiner ce classement.

  1. Les erreurs à dominante phonétique
    Un traitement de texte peut s’avérer précieux pour traiter les erreurs qui relèvent d’une mauvaise perception des phonèmes : il peut créer la surprise et donc une féconde interrogation chez l’élève qui croit, de bonne foi, qu’il faut écrire moner et non mener ou qui, plus exactement, math.gif
  2. Les erreurs phonogrammiques
    Un vérificateur orthographique peut permettre de détecter les erreurs phonogrammiques dans la mesure seulement où l’élève produit un mot qui n’existe pas (par exemple, s’il écrit courrir au lieu de courir) mais dans tous les cas où un homophone existe, il n’y trouvera rien à redire (par exemple, il ne signalera pas : « J’ai pris un cou de soleil »).
  3. Les erreurs morphogrammiques
    Les morphogrammes lexicaux étant permanents dans la graphie, Word peut bien évidemment en repérer l’absence. Si l’on écrit ra au lieu de rat, il indique l’absence du morphogramme « t », à condition toutefois, une fois encore, que le mot ra n’existe pas en français : c’est qu’en fait, il n’indique nullement l’absence du morphogramme « t » (c’est même à cette analyse, dont la machine est bien incapable, que l’enseignant devra amener l’élève), il se contente de signaler que la forme ra n’existe pas dans son dictionnaire.
    Il en va tout autrement pour les phonogrammes grammaticaux. Ils apparaissent selon le contexte, en sont dépendants, ne font pas partie de l’image du mot. Word ne peut donc pas détecter les erreurs qui les affectent, si ce n’est grâce à son correcteur grammatical dont les manques ont été souvent analysés. De fait, tout va bien, selon le vérificateur orthographique de Word, dans les phrases suivantes :
    As-tu vu les livres de mon frère que j’ai perdu ? (ce qui peut se concevoir si que a pour antécédent mon frère)
    mais aussi dans la phrase
    As-tu vu les livres de mon frère que j’ai recouvert ? (Word étant incapable de faire l’analyse sémantique nécessaire pour se rendre compte que seuls les livres peuvent être recouverts)
    ou même dans la phrase
    As-tu vu les livres de ma grand-mère que j’ai recouvert ? (ce qui est plus gênant dans la mesure où l’on n’a pas besoin ici d’une analyse sémantique pour déterminer que ni livres ni grand-mère ne peuvent être antécédents de que si on écrit recouvert et non recouverts)
  4. Les erreurs logogrammiques
    Nous ne revenons pas sur l’impuissance des correcticiels face aux erreurs portant sur des homophones hétérographes (ver, vers, verre, vert, vair, par exemple).
  5. Les erreurs idéogrammiques
    Mais le correcteur orthographique peut traiter quelques-unes des erreurs idéogrammiques. Par exemple, il signalera l’absence de majuscule dans les prénoms, à condition, toutefois, que ceux-ci ne puissent pas être en même temps, un nom commun :
    J’ai vu paul (paul est souligné)
    mais
    J’ai vu pierre (pierre n’est pas souligné, même par le correcteur grammatical, malgré l’absence curieuse de déterminant).
    Il attire également l’attention sur l’absence de blanc entre deux mots, erreur de frappe extrêmement fréquente, qui peut toutefois, chez les élèves, être due à une erreur de segmentation.
    Il peut indiquer les traits d’union superflus (ex : mot-composé sera souligné). Mais, à l’inverse, il reste silencieux quand on oublie les traits d’union puisque les différentes parties d’un mot composé existent séparément :
    J’ai pris le tire fesses.
    Maintenant que nous avons essayé de confronter Word à la description du système orthographique, il semble nécessaire de considérer le point de vue de l’élève ou du moins, ce que l’on peut tenter d’en reconstituer a priori.

Le point de vue cognitif

  1. Les erreurs d’inattention (ou erreurs de performance)
    Une remarque tout d’abord : par définition, les correcteurs orthographiques exigent, en amont, que le texte ait été tapé. Cette lapalissade ne sert qu’à pointer vers un domaine qui nous semble avoir été peu exploré, celui des erreurs provoquées par l’usage du clavier et la lecture à l’écran. Les élèves sont, pour la plupart, du moins quand ils sont jeunes, des dactylographes malhabiles : ils consacrent beaucoup d’efforts à la recherche de telle ou telle lettre sur le clavier et ne peuvent pas, à la différence des experts en ce domaine, regarder en permanence l’écran et donc contrôler le texte au fur et à mesure qu’il s’écrit. Reste à savoir ce qui prévaut : font-ils moins d’erreurs parce qu’ils ne peuvent plus écrire « au fil de la plume », obligés qu’ils sont de décomposer le mot lettre à lettre ou au contraire, la recherche sur le clavier détourne-t-elle trop de leurs ressources attentionnelles, les amenant à commettre des erreurs qu’ils auraient évitées en écrivant au stylo[[Il semblerait que reconnaître une forme parmi d’autres soit moins coûteux que se rappeler une forme pour la produire (« It is much easier to recognise something from a group rather than to recall what it looks like entirely from memory », Leahy, 2002).]] ? Par ailleurs, la lecture sur écran a ses caractéristiques : on peut donc se demander si elle entraîne des erreurs spécifiques.
    Ceci dit, quelle que soit la réponse, les fautes de frappe[[Pour une typologie des fautes de frappe, on peut se référer à la page suivante, dernière consultation le 5/08/2005 : [ http://www.osil.ch/eval/node30.html ] ]] vont rejoindre les « fautes » dites d’étourderie, puisqu’elles ont en commun d’être des erreurs pour lesquelles le scripteur dispose de la forme correcte, du moment qu’on lui signale l’erreur commise. Pour ce type d’erreurs, l’usage d’un correcticiel semble souverain[[Cela correspond, d’ailleurs, historiquement, au but premier des correcteurs, destinés à réduire les fautes de frappe de secrétaires expérimentées, censées faire peu de fautes d’orthographe.]]. En effet, l’écriture d’un texte est une activité complexe qui oblige le scripteur à mener à bien plusieurs tâches concurrentes et donc à diviser son attention : les « vaguelettes » rouges[[Pour ce qui est des vaguelettes vertes du correcteur grammatical, leur intérêt semble moins évident car elles obligent à interrompre la mise en texte pour analyser l’erreur.]] de Word focalisent cette dernière sur le signifiant, permettant en l’occurrence à l’élève, s’il en a les moyens, de rectifier ses erreurs « dans la foulée », c’est-à-dire d’activer, pour un bref instant, son attention orthographique, sans pour autant perdre réellement le fil de la mise en texte. Word et ses homologues jouent alors le rôle d’un Jiminy Cricket orthographique et « réifient » aux yeux de l’élève ce que pourrait être la vigilance orthographique qui lui est demandée. Ils l’incitent à confronter ce qu’il a écrit avec ce qu’il aurait pu et dû écrire, activant certains processus comparateurs qui sont à la base du système de régulation orthographique et ils le font tout de suite, à la différence de l’enseignant qui doit, pour ce faire, « ramasser » le texte et le lire. Le correcteur peut donc favoriser un comportement qui se rapproche quelque peu du comportement de l’expert, qui parvient à gérer à la fois la production de l’écrit et sa mise aux normes orthographiques. Prenant en charge, pour partie, l’exercice de la vigilance orthographique, il soulage l’élève de ce souci mais signalant l’erreur au moment précis où elle est commise, pour peu qu’on ait activé l’option Vérifier l’orthographe au cours de la frappe [[Dans le menu Outils/Options/Grammaire et orthographe.]], il l’oblige à gérer à la fois les opérations de bas niveau et les opérations de mise en texte, à moins que l’enseignant(e) n’ait expressément recommandé à certains élèves de ne s’occuper des « vagues » rouges ou vertes de Word qu’une fois leur texte écrit, ce qui peut être, en soi, un élément de différenciation. Ceci dit, bien évidemment, l’utilisation du correcteur orthographique ne permet pas l’automatisation des compétences qui fait que l’expert relègue au second plan les problèmes orthographiques quand il écrit : tout au plus peut-il rendre sensible, visible (au sens propre du terme) le fait que si l’on veut bien écrire, il faudra, un jour, arriver à tout faire en même temps !
    Le correcticiel permet également d’éviter de douter de tout : tant que Word ne dit rien, c’est que c’est juste… Cette tranquillité est trompeuse et il faudra, bien sûr, encourager les élèves à se méfier de la fausse sécurité que procure le correcteur orthographique mais une fois les limites de l’outil analysées, celui-ci peut rassurer ceux que le souci de l’orthographe paralyse et ceux qui commettent des erreurs parce qu’ils n’accordent aucune confiance à leur « intuition orthographique » (ceux, en particulier, qui font compliqué quand ils pourraient faire simple et qui ajoutent des lettres pour des raisons souvent esthétiques).
  2. Les erreurs récurrentes (ou erreurs de compétence)
    Il est un autre type d’erreurs pour lesquelles l’usage du correcteur orthographique peut se révéler utile : ce sont les erreurs récurrentes, celles que, par définition, on ne peut éviter puisque pour des raisons diverses, on est persuadé que « ça s’écrit comme ça », comme diraient les enfants. Word peut, les concernant, exercer des rappels à l’ordre aussi patients que fiables : reste à savoir si cela peut permettre à terme de les éviter. C’est, semble-t-il, ce que Mullins (1987) a pu établir, selon une étude dont les résultats sont évoqués par Desmarais (1998a) : « la correction du même mot à plusieurs reprises assure l’apprentissage de la graphie et même un approfondissement des connaissances grammaticales ».
    Autre possibilité : Word peut rectifier un bon nombre de formes erronées automatiquement. Certaines sont d’ailleurs prévues par défaut, notamment celles qui concernent les doubles consonnes – ainsi, l’erreur fréquente sur « occurrence » est prévue par Word qui la supprime, hélas, sans rien signaler (à la différence de son homologue Open Office) ce qui est, bien entendu, dommageable sur le plan didactique. La visite de ce bêtisier par les élèves pourrait être de quelque intérêt, ne serait-ce que parce qu’ils pourraient ainsi se sentir moins seuls, puisque les adultes aussi, utilisateurs privilégiés de Word, semblent faire des fautes ! On pourrait peut-être également explorer la piste qui consisterait à faire dresser à l’élève la liste de ses « erreurs préférées » (ce qui impliquerait déjà qu’il les repère) pour en confier la rectification au correcticiel[[Procédure : Outils/Options de correction automatique/Correction automatique en cours de frappe/ Remplacer [forme erronée] par [forme correcte].]]. Ceci dit, l’ajout de mots par les élèves, à l’invitation même de Word, peut s’avérer périlleux : il faut que l’enseignant pense à purger régulièrement le dictionnaire personnel[[Procédure : Outils/Options/Grammaire et orthographe/Dictionnaire/Supprimer (ou Modifier).]].
    Mais nous voilà déjà engagés sur la voie didactique.

Le point de vue didactique

Quelle aide un correcticiel peut-il apporter à la gestion des erreurs d’orthographe par les élèves ? Il nous semble qu’il peut avoir une double utilité.
Il peut, en effet, placer « naturellement » les élèves face à des formes de situations-problèmes qui les engageront vers des tentatives d’explications métalinguistiques. Il va provoquer leur indignation : c’est faux et pourtant, « IL » n’a rien dit ! Ou à l’inverse, c’est juste et « IL » signale une erreur. Dès l’abord, on le voit, cela peut amener à la fameuse « observation réfléchie de la langue » recommandée par les Instructions Officielles. Les élèves vont pouvoir se rendre compte que Word, finalement, ne souligne que les erreurs qui aboutissent à un barbarisme, celles peut-être qu’il est « urgent » de traiter puisqu’elles aboutissent à des « aberrations » linguistiques, celles qui ne peuvent s’expliquer par l’existence d’une forme concurrente. Et ils vont d’ailleurs pouvoir, à l’occasion, réévaluer l’appréciation de leurs erreurs : l’oubli d’un accent, qui aboutit à un « non mot », mais qui d’ordinaire, est considéré avec « indulgence », va être traité à égalité avec une erreur dite « d’orthographe d’usage » (ex : preau/préau).
Conséquence de ce qui précède : le traitement de texte peut aider les élèves à hiérarchiser le traitement de leurs erreurs. Ils peuvent d’abord s’occuper de celles qui ont été soulignées par Word puis focaliser leur attention sur celles qui obligent à plus de vigilance puisqu’elles sont « invisibles » mais qui sont par là même « compréhensibles » puisqu’elles résultent d’un mauvais choix entre plusieurs formes existantes.
Cependant, les limites de l’utilisation d’un correcticiel ont été trop souvent soulignées pour que nous nous dispensions de les examiner à notre tour.

Les limites inhérentes aux correcteurs
– En termes de détection, si l’on s’en tient à un point de vue purement quantitatif, l’optimisme que pourrait engendrer la perspective d’utiliser les correcticiels pour aider les élèves à mieux orthographier leurs textes est mis à mal. En effet, d’après le travail, portant sur Word, d’une des étudiantes de Jean Véronis, Marie Piu, « ce sont 62 % des erreurs[[Le corpus est constitué de 335 « vraies » dictées de 6e et 5e.]] qui sont détectées, et lorsque l’erreur est détectée, la première proposition faite par MSWord est la bonne dans seulement 74 % des cas. Dans 16 % des cas, aucune des propositions n’est valable. »
D’un point de vue plus qualitatif, il faut signaler que les correcteurs ne tiennent pas toujours compte des recommandations concernant la nouvelle orthographe, même si l’on peut maintenant télécharger une mise à jour sur le site de Microsoft[[ [ Accéder au téléchargement ] ]]. Mais il faut, pour qu’elle soit efficiente, posséder Word 2003.]]. On peut toutefois rétorquer que la nouvelle orthographe n’est pas encore vraiment passée dans les mœurs et que pour l’instant, les formes anciennes et nouvelles sont également acceptables.
Sinon, rappelons les reproches qui ont souvent été faits aux correcteurs : ils ignorent certains mots, pourtant fréquents (par exemple, internet sans majuscule) et donc signalent des erreurs où il n’y en a pas. Pire, le correcteur grammatical vous explique parfois doctement que vous vous êtes trompé en invoquant une règle grammaticale qui ne s’applique pas au cas présent. Ainsi, il vous rappelle l’accord du participe passé employé avec l’auxiliaire être dans la phrase suivante :
Elles se sont donné le mot.
et vous somme de rectifier cette orthographe parfaitement correcte !…
– En termes de correction, jusqu’à présent, nous n’avons pas analysé les « suggestions » de Word qui en font, malgré tout, une aide à la correction. Il faut reconnaître qu’elles sont souvent utiles : quand il rencontre un mot inconnu, le correcteur orthographique cherche un mot proche à une lettre près (une lettre en plus, une lettre en moins, ou deux lettres inversées). Il propose alors des solutions par distance croissante à une, deux ou trois lettres près. C’est ainsi que des erreurs phonogrammiques comme prouaisse au lieu de prouesse vont générer les formes justes prouesse et prouesses (mais prouèsse, il est vrai, ne génèrera que prouesse, au singulier, ce qui ne s’explique guère). Bato va générer bateau et bat. Certaines erreurs, donc, rares chez les adultes, aboutiront à des suggestions judicieuses, susceptibles d’aider les enfants. Ainsi, ce que l’on a pu reprocher aux correcteurs orthographiques, c’est-à-dire le fait que le traitement phonétique prime sur les probabilités d’erreurs (l’oubli d’une lettre ou l’inversion de deux lettres, par exemple), peut se révéler un atout dans une perspective d’utilisation avec de jeunes élèves.
Mais les limites sautent aux yeux : en voici quelques-unes.
– Première limite : l’ordre dans lequel apparaissent les suggestions. Si on écrit, avec Word, le mot « chate », on obtient les suggestions suivantes : chatte, chat, chante, charte, chaste, chasse, chattes, chats. Chattes qui a plus de chances d’être juste que charte est pourtant relégué à la fin de la liste car il y ajout de deux lettres (« t » et « s ») par rapport au mot d’origine, alors que charte n’a nécessité que l’ajout d’un « r ». Or, il a été démontré par McArthur et al., dans une étude que rappellent Montgomery, Karlan et Coutinho (2001), que des élèves en difficultés d’apprentissage corrigent 85 % de leurs erreurs si la suggestion correcte est située en premier dans la liste des possibilités et seulement 72 % de leurs erreurs si la forme correcte se situe plus loin. Mais il est vrai que si aucune forme correcte n’est suggérée, leurs performances se limitent à 25 % de formes corrigées…
– Deuxième limite : l’absence de suggestions pourtant possibles ; ainsi, si l’on écrit chin au lieu de chien, on obtient chine, chines, chiné, chinés, mots hautement fréquents dans la langue française (!), mais pas l’ombre d’un chien… mot qui pourtant peut être obtenu avec l’ajout d’une seule lettre.
– Enfin, certaines suggestions sont aberrantes : ainsi, si l’on écrit nous interdisont, Word propose, sans frémir, d’écrire nous interdisons, ce qui est rassurant, mais aussi interdis ont !

Les limites imputables aux difficultés des élèves

Aux limites « naturelles » des logiciels, s’ajoutent celles, moins prévisibles pour les informaticiens, qui sont imputables aux difficultés spécifiques de certains élèves. Les correcteurs orthographiques, en effet, sont particulièrement « désemparés » quand les mots produits par les élèves sont très éloignés du mot qu’ils ont en fait l’intention d’écrire ou qu’ils ont peu de rapports phonétiques avec le mot-cible, ce qui fait, par exemple, qu’ils sont jugés insuffisants quand ils s’adressent à des élèves dyslexiques (James et Draffan, 2004) ou à des élèves relevant d’un enseignement spécialisé (Montgomery, Karlan et Coutinho, 2001). Or, il s’avère que les compétences orthographiques de ces derniers sont proches de celles de jeunes enfants. On peut donc en conclure que plus les élèves sont jeunes, plus les correcteurs orthographiques risquent d’être inutiles, alors même que le nombre d’erreurs est sans doute plus grand… Les correcteurs sont aussi inégalement efficaces selon les stratégies des élèves : ceux qui utilisent la voie phonétique sont avantagés par rapport à ceux qui utilisent plutôt la voie visuelle (Leahy, 2002).
Par ailleurs, Isabelle Brulland, dans sa classe, a pu constater à maintes reprises que les élèves les plus en difficultés sont ceux qui choisissent systématiquement la première suggestion que leur fournit Word. On peut faire plusieurs hypothèses sur cette manière de réagir : soit les élèves, trompés par l’aspect de plus en plus convivial des correcticiels, s’imaginent qu’il y a « quelqu’un dans la machine » et suivent ses conseils, en croyant que les suggestions sont classées par ordre décroissant de pertinence ; soit ils sont décontenancés devant le nombre de propositions parmi lesquelles ils doivent choisir et prennent la première qu’ils voient ; soit ils ne maîtrisent pas assez, s’ils utilisent le correcteur grammatical, le métalangage utilisé ; soit celui-ci diffère de celui qui a cours en classe. Autre piste encore : les élèves en difficultés sont peut-être aussi ceux dont l’attention sélective est la plus défaillante (Montgomery, Karlan et Coutinho, 2001).
Quoi qu’il en soit, on se rend compte qu’il y a un risque pour que l’usage d’un correcteur orthographique, selon une loi malheureusement fréquente en pédagogie, profite à ceux qui en ont le moins besoin ou plus exactement, ne profite pas à ceux qui en auraient le plus besoin ! C’est ce que résume Berten (2002) dans la formule :
En fait, l’outil n’apporte valablement son aide qu’à celui qui connaît déjà l’orthographe : un correcteur n’est pas producteur de savoir, il est productif quand le savoir existe.
Ces limites rendent donc d’autant plus nécessaire la réflexion sur les conditions didactiques à créer pour permettre aux élèves d’apprendre l’orthographe grâce à une utilisation lucide et efficace des correcteurs orthographiques.

Apprendre à comprendre les messages d’erreurs

Une des premières conditions qui est apparue nécessaire aux yeux de l’enseignante dont la classe nous a servi de référence est une aide systématique apportée aux élèves pour qu’ils sachent décrypter les messages du correcteur grammatical. On voit bien ici qu’apprentissages techniques et linguistiques sont étroitement liés : il faut, pour utiliser Word efficacement, savoir activer, s’il ne l’est pas, le correcteur grammatical[[Outils/Options/Grammaire et orthographe/Vérifier la grammaire et l’orthographe et, si l’on veut, Vérifier la grammaire au cours de la frappe.]], interpréter les vaguelettes vertes (en les distinguant des rouges) mais également, lire les messages qu’il émet et surtout, les comprendre. On peut donc espérer que certains élèves trouveront une motivation à l’usage du métalangage dans l’envie de se servir d’un outil qui les attire, le traitement de texte.
La maîtresse a choisi de se concentrer seulement sur certains des messages du correcteur grammatical, ceux qui sont en lien étroit avec les programmes et qui traitent des erreurs les plus couramment commises. Ainsi, elle apprend aux élèves, grâce au vidéoprojecteur ou à des captures d’écran photocopiées, à se débrouiller seuls avec des messages tels que ceux qui s’affichent ci-dessous :

correc_ortho1.jpg

Figure 1: message portant sur l’accord dans le GN

correc_ortho2.jpg

Figure 2 : message portant sur l’accord entre le GNS et le GV

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Figure 3 : message portant sur les homophones grammaticaux

On voit à quel point l’intervention magistrale est nécessaire : en effet, si l’on se réfère à la figure 2, par exemple, le message suppose que les élèves sachent ce qu’est un sujet, ce qu’est un verbe et surtout, qu’ils sachent les trouver dans une phrase qu’ils ont produite ; par ailleurs, on sait combien l’expression s’accorder en nombre et en personne peut être obscure pour des élèves ; elle peut générer des erreurs, certains choisissant « s » comme désinence verbale parce qu’« il y a plusieurs chats » ; enfin, même si l’on peut douter que les élèves soient sensibles à de telles nuances, l’emploi de l’adverbe plutôt est assez mal choisi car, calqué sur l’expression employée dans les suggestions stylistiques, il laisse envisager la possibilité d’un choix. Il est donc inconcevable de laisser les élèves seuls face à de telles « explications »[[Autre possibilité expérimentée par l’enseignante : faire écrire aux élèves des messages « à la manière » de Word à propos d’erreurs repérées dans le texte d’un élève.]] : Word n’est pas un didacticiel. Il n’apprend rien à personne, il ne fait que rappeler à l’utilisateur ce qu’il sait déjà.

Un dialogue individualisé

À ce dialogue entre l’enseignante et le groupe-classe s’ajoute une autre forme de dialogue didactique, qui, lui aussi, allie apprentissages orthographiques, voire métacognitifs, et apprentissages techniques : la maîtresse choisit, dans un texte, une dizaine d’erreurs et à travers le mode « Révision » (option « Commentaires ») pose des questions à l’élève, lui fournit des explications en fonction de ce qu’elle sait de son niveau, de ses erreurs habituelles, en employant le métalangage choisi par les enseignants du cycle 3 de l’école ; en tenant compte de la progression qu’elle a établie ; bref, elle individualise l’enseignement en se servant des potentialités techniques du traitement de texte (voir en annexe des exemples de ce dialogue didactique).
C’est ainsi que l’enseignante est arrivée à l’élaboration progressive d’un scénario qui, sans être immuable, reste lisible par les élèves. En voici l’architecture.

Un scénario pédagogique souple

Avant de décrire ce scénario, il est nécessaire de préciser la configuration des postes choisie par l’enseignante : elle a installé les deux correcteurs (orthographique et grammatical), elle a désactivé le correcteur grammatical et activé la fonction Vérifier l’orthographe au cours de la frappe.
– Les élèves saisissent leur texte : certains sont déjà alertés par le traitement de texte ; d’autres, ont choisi de désactiver la fonction Vérifier l’orthographe au cours de la frappe, pour ne se concentrer que sur la seule mise en texte (il s’agit de ceux qui sont le plus à l’aise et avec la production d’écrit et avec l’orthographe et qui ne veulent pas être « dérangés » par les vaguelettes de Word, tout en s’estimant capables de les affronter dans leur ensemble après coup).
– Ceux qui tentent de gérer orthographe et production d’écrit simultanément lisent les « conseils » du correcteur grammatical, qu’ils ont réactivé ; ils peuvent également se servir du dictionnaire électronique (le Robert Junior électronique).
– Tous les élèves enregistrent leur texte sur leur poste mais aussi sur une disquette ou une clé USB.
– Ils l’envoient par mail à la maîtresse sous forme de pièce jointe ; ils peuvent, dans le mail, lui poser des questions.
– Ils se l’envoient éventuellement, s’ils ont une connexion à Internet chez eux.
– La maîtresse fait des remarques sur le texte.
– Les élèves corrigent leur texte en fonction des remarques de la maîtresse.
– La maîtresse, en utilisant le mode « Révision », sélectionne une dizaine d’erreurs d’orthographe selon le niveau des élèves ou selon ce que la classe est en train de travailler.
– Travail grâce au vidéoprojecteur d’un texte d’élève choisi par la maîtresse.
– Les élèves corrigent à nouveau leur texte, en utilisant un outil de référence sur papier (en l’occurrence le manuel ORTH, Hatier).
Ainsi, on aboutit à un scénario pédagogique qui, par sa souplesse et sa régularité, assure une forme d’étayage rendant possible à la fois la différenciation et l’autonomie et fait de Word ce qu’il n’est pas : un outil didactique.

Une synergie avec d’autres outils

Mais l’efficacité de cet outil est due également en grande partie à son emploi en synergie avec d’autres. Le scénario présenté repose sur l’utilisation d’un correcteur orthographique mais ne s’y limite pas.
D’autres outils informatisés sont convoqués et, notamment, en début d’année, le dictionnaire électronique. Il semble important de mettre à la disposition des élèves le même dictionnaire que celui dont ils disposent en version papier : l’enseignante a en effet constaté régulièrement que l’usage du dictionnaire électronique permettait aux élèves les plus en difficultés de se tourner avec moins de réticences vers la version « traditionnelle ». Par ailleurs, le dictionnaire électronique est plus performant pour la correction de certaines erreurs : si l’on a écrit ipopotame, par exemple, alors que Word n’a aucune suggestion à faire, en revanche, le Robert Junior électronique propose hippopotame. L’usage conjoint des deux outils (un vérificateur orthographique pour la détection, un dictionnaire électronique pour la correction) évite aux élèves de se trouver bloqués et les incite à persévérer jusqu’à produire un texte complètement « toiletté ».
Des manuels sont également utilisés : il serait, en effet, préjudiciable que les élèves deviennent dépendants d’un ordinateur et qu’ils n’apprennent pas à se repérer dans une table des matières ou un index. D’ailleurs, les Instructions officielles indiquent expressément qu’ils doivent se servir de « tous les instruments nécessaires (répertoires, dictionnaires, correcteurs informatiques, etc.) pour vérifier et corriger l’orthographe lexicale » (p.199).

On voit donc que Word peut être une aide efficace à l’apprentissage de l’orthographe, à condition qu’on ne lui demande pas ce qu’il ne sait pas faire, enseigner ! Utiliser un correcteur d’orthographe en classe exige un accompagnement : il faut que l’élève sache ce qu’il peut demander au correcticiel et ce qu’il ne peut pas lui demander ; il faut qu’il arrive, au-delà de l’apparence trompeuse d’un dialogue avec la machine, à comprendre les messages d’erreur ; il faut que l’apprentissage se fasse, comme d’habitude, grâce aux interactions avec les pairs et avec la maîtresse, même si ces interactions portent sur les interventions et les suggestions du correcteur orthographique ; il faut que l’usage instauré par l’enseignant de Word ou de ses homologues, loin de remplacer les outils de référence existants (qu’ils soient numériques ou sur support papier), incite à s’en servir, les rende nécessaires et utiles.

Quelques suggestions

Terminons avec quelques suggestions d’activités qui pourraient permettre aux élèves de se familiariser avec le fonctionnement d’un correcteur orthographique mais aussi induire une observation de la langue, réfléchie comme il se doit.
Si l’on est partisan de la « pédagogie du détour », on peut commencer par faire lire aux enfants la page du tome 6 de Harry Potter (Le Prince au Sang Mêlé) où Ron utilise une plume vérificatrice d’orthographe, fournie par ses frères. Le pouvoir de cette plume s’affaiblissant, elle multiplie les erreurs : heureusement, Hermione est là ! Non seulement, elle se rend compte que quelque chose ne va pas mais elle est capable de repérer une à une les erreurs pour les corriger, avec sa baguette magique, il est vrai, sorcière oblige…

Utiliser Word pour éviter les erreurs
De façon plus austère mais sans doute plus efficace, on peut, au cours de séances d’échanges sur l’utilisation d’un traitement de texte, expliciter certaines stratégies. Il y en a une qui peut se révéler fructueuse : celle qui consiste à se servir de Word pour écrire un mot correctement en faisant un choix parmi les suggestions, le but étant d’obtenir les suggestions les plus pertinentes. Ainsi, si un élève ne sait plus si accueillir s’écrit avec deux c ni si le u est avant le e, il peut taper aceuillir ; en revanche, s’il tape aceuilir, Word restera muet : à l’élève, alors, de tenter les deux « l » pour obtenir une suggestion, exacte. Le correcteur orthographique devient ainsi un outil de référence qui peut éviter le recours à un dictionnaire, parfois long et coûteux.
Tamarah Ashton a approfondi cette idée en élaborant une stratégie qu’elle conseille d’enseigner aux élèves pour qu’ils utilisent au mieux les possibilités d’un correcteur orthographique : elle leur recommande, si aucune suggestion satisfaisante n’apparaît :
a) de vérifier si le début du mot peut s’écrire autrement ;
b) de vérifier ensuite si les consonnes peuvent s’écrire autrement ;
c) d’examiner les voyelles ;frécament, on obtient fréquent, fréquenter, fréquentiel ; on peut, en se servant du premier mot, fréquent, écrire fréquement ou fréquament qui conduiront l’un comme l’autre à fréquemment).

Piéger Word
On peut aussi s’amuser à piéger Word. Il est facile (et fructueux, sur le plan des apprentissages) de trouver des phrases où il signale des erreurs qui n’en sont pas : Word est tout à fait impuissant, on l’a vu, quand il s’agit d’accorder les participes passés.
À l’inverse, on peut lui proposer des phrases comportant des erreurs pour tenter de le prendre en défaut : la phrase La chienne a grossie, par exemple, lui semble tout à fait correcte… On ne peut pourtant pas dire que ce soit un cas bien complexe d’accord du participe passé ! Il peut être intéressant que les élèves aient à se gausser des piètres performances de Word, surtout si eux-mêmes se considèrent comme « mauvais en orthographe » !
De façon plus subtile, on peut se demander pourquoi il trouve l’erreur dans la phrase
Les chats sont chassé
pourquoi il ne la trouve pas dans la phrase
Les chats sont à leur tour chassé
et pourquoi il recouvre ses esprits quand on lui soumet les phrases suivantes
Les chats sont très souvent chassé
Les chats sont méchamment chassé
Les chats sont à plusieurs reprises chassé
Cela permettra de faire le parallèle entre ce qui joue un rôle de distracteur pour la machine et ce qui joue un rôle de distracteur pour l’utilisateur humain. Au lieu d’analyser leurs propres erreurs, les élèves seront amenés à discuter des performances du correcticiel et à faire des hypothèses sur son fonctionnement à la fois sur le plan technique et linguistique. Il n’est pas dit qu’ils trouvent la réponse mais on peut faire le pari que les discussions seront animées, engageront l’emploi en situation d’un métalangage précis (singulier, pluriel, adverbe, GN) et que les élèves adopteront une attitude d’expérimentation en testant des phrases pour résoudre le problème posé.

Discuter des propositions qu’il fait
Une autre forme de situations-problèmes consisterait à commenter les suggestions faites par Word. Voyons ce que cela peut donner : si on veut écrire château et qu’on propose chato, on obtient chaton, chatons, chat. Mais si on propose chatot, on obtient château et chat de la même manière que si l’on propose chatau. Faut-il donc en conclure que pour Word, « o » est forcément un o ouvert et que l’adjonction d’un « t » le transforme en o fermé, ouvrant la porte à des suggestions jusqu’alors impossibles ? Pour vérifier l’hypothèse, on peut essayer d’écrire rato : déception… On obtient tout de suite râteau et non pas, comme on pourrait s’y attendre, raton, ratons, rat. Et si l’on écrit ratot, on obtient râteau, rat et rot (ce qui correspond à la réponse faite pour chatot, si ce n’est que chot – forme que l’on pourrait demander aux élèves de produire, en suivant la logique de la série précédente – n’existe pas) ; en revanche, si l’on écrit ratau, on obtient râteau, rat au, rata, ra tau (???) et ratas, mais pas rat ! Ce genre d’expérience peut d’une part amoindrir la confiance aveugle que les élèves sont tentés de placer dans les compétences de Word et d’autre part, les initier à une forme de démarche expérimentale où l’on peut être sûr qu’ils examineront les mots étudiés avec la plus grande attention. Par ailleurs, dans cette situation, maître et élèves sont associés dans la recherche car de solution et de corrigé il n’y a pas… À moins qu’on ne sollicite les informaticiens francophones travaillant pour Microsoft qui ont récemment ouvert un blog à l’adresse suivante :
[ http://blogs.msdn.com/CorrecteurOrthographiqueOffice/default.aspx ].
L’essentiel, en tout cas, est que les élèves soient invités à s’interroger sur l’orthographe, même si cela passe par l’analyse du fonctionnement technique d’un logiciel[[Pour un exemple de séance fondée sur ce principe, on peut se référer au travail de collègues belges :
[ Voir ce travail ] (dernière consultation, le 6/08/2005)]].

Conclusion

Au terme de notre travail, il nous semble essentiel de souligner que les correcteurs orthographiques ouvrent des perspectives didactiques fructueuses : loin d’être des incitations à la « paresse » et à la « négligence », ils peuvent favoriser la production d’écrit en soulageant les élèves de l’obsession de la correction orthographique mais également, et c’est en cela qu’ils nous ont particulièrement intéressées, ils peuvent favoriser une observation réfléchie de la langue en fournissant des situations problèmes inédites et intéressantes, qui allient recherche sur les potentialités et les limites de l’informatique et expérimentations sur le matériau linguistique.

Isabelle Brulland, professeur des écoles maître formateur, et Christine Moulin, professeur, IUFM de Lyon, centre de Bourg-en-Bresse.
isabelle.brulland@ac-lyon.fr
christimoulin@aol.com


Références

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[ Commander cet ouvrage sur le site Alapage ]
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