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Vivre les disciplines scolaires, vécu disciplinaire et décrochage à l’école

« Vivre, c’est prendre le risque de souffrir  » écrit Arnaud Desjardins dans l’Audace de vivre.

A la lecture de Vivre les disciplines scolaires, avec comme sous-titre Vécu disciplinaire et décrochage à l’école, il semble bien qu’il en aille ainsi : le vécu des disciplines scolaires conduirait certains élèves à de la souffrance et pour certains à un rejet de l’école dont le décrochage constitue l’aspect le plus saillant.

L’ouvrage, fruit de la collaboration d’une équipe de huit personnes autour d’Yves Reuter se présente en trois parties d’égale importance.

Dans la première partie : Du climat scolaire au vécu des disciplines, Sylvie Condette rappelle que le vécu scolaire conduit à des conflits, à des ruptures et à un décrochage de certains élèves, Yves Reuter cherchant ainsi à se démarquer de notions comme matière, discipline (qui se présentent sous forme de configurations différentes selon les niveaux d’enseignement) ou système disciplinaire, voit dans le décrochage scolaire l’effet de ce qu’il nomme le vécu disciplinaire. Dominique Lahanier-Reuter et Elisabeth Verfaillie-Menouar évoquent les choix méthodologiques mis en œuvre pour éclairer cette notion de vécu disciplinaire par des questionnaires, entretiens, observations de vécus de classe auprès d’élèves de CM2, de 3e, de SEGPA, de lycées général et professionnel, de CAP, de BTS et de masters en sciences de l’éducation.

Dans la deuxième partie, Vivre les disciplines : variations selon les moments du cursus et les filières, sont passées en revue : le poids de l’évaluation au primaire (Elisabeth Verfaillie-Menouar), les représentations des élèves en fin de collège (Jingjing Yu), les émotions dans le secondaire (Oriana Ordonez-Pichetti) et le vécu disciplinaire en lycée professionnel (Xavier Sido).

Dans la troisième partie ; Lutter contre le décrochage : des analyses aux interventions possibles, Dominique Lahanier-Reuter propose de réunir en une synthèse les résultats épars de la deuxième partie. Nous retiendrons les délicates conclusions auxquelles elle arrive.

Pour les disciplines communes aux différents cursus, les mathématiques paraissent montrer des variations importantes selon les étapes du cursus et les filières, ; le français, des vécus structurés par les parcours ; l’histoire-géographie serait une discipline clivante ; l’EPS une matière attractive ; l’anglais une matière aux variations importantes ; l’éducation musicale une matière au vécu équilibré…

Yves Reuter propose des éléments de synthèse à propos du vécu disciplinaire. Il pense y rencontre seize dimensions structurant le vécu qui ne sont pas exclusives les unes des autres et il avance quelques propositions pour dresser ce qui est nommé de manière métaphorique « cartes d’identité disciplinaire ».

L’ensemble des auteurs précédemment cités suggèrent quelques propositions pour lutter contre le décrochage scolaire à partir des analyses précédentes. Nous retiendrons celles liées aux contenus disciplinaires : en mathématiques lever les angoisses liées à la compréhension et étayer l’envie de chercher ; en français s’appuyer sur le désir de s’exprimer et d’échanger ; en histoire-géographie rompre avec le sentiment d’apprendre sans comprendre ; en EPS, arts plastiques, éducation musicale veiller à leurs spécificité au sein du système disciplinaire ; en anglais : en faire une langue qui vit ; faire exister l’éducation civique.

L’ouvrage nous apprend que chaque discipline entretient ce qu’avant l’idée de vécu disciplinaire, plusieurs auteurs ont nommé le rapport au savoir, notion théorisée par la sociologie, la psychanalyse et reprise par les didactiques des disciplines. Ainsi ont-elles distingué le rapport au Savoir (versus, rapport à l’institution scolaire, dépositaire de savoirs, d’où la majuscule), et les rapports aux savoirs (versus, rapport aux différentes disciplines scolaires).

L’intérêt de cet ouvrage est de s’être livré à une « enquête auprès d’élève de multiples niveaux, dans de nombreuses disciplines » et dans une approche comparative, voire contrastive. Les conclusions auxquelles on parvient, laissent des questions en suspens que les auteurs approfondiront peut-être ultérieurement. Notamment :

  • des questions méthodologiques : il semble difficile de parler de vécu disciplinaire sans prendre en compte le modèle d’apprentissage-enseignement de l’enseignant et notamment ses modalités d’évaluation.
  • des questionnements épistémologiques : le vécu disciplinaire au sein d’une discipline n’est sans doute pas le même au sein du système du français (en littérature, en grammaire) ou des mathématique (en arithmétique, en algèbre, en trigonométrie, en géométrie, en probabilités) ou en histoire selon les périodes…
  • des questionnements anthropologiques : chaque contenu disciplinaire aborde de manière non explicite le plus souvent de grandes questions ontologiques : en mathématiques les notions d’infini, d’idéalité, d’absolu… en biologie les notions du même et de l’autre, de l’unité et de la diversité, de l’origine…

Michel Develay