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Verbaliser, dans tous les sens du terme

Verbaliser, au sens de constater une infraction et y réagir, n’est certainement pas l’acte éducatif qui motive le plus les enseignants. Dans l’école de nos rêves, le pédagogue idéal est peut-être encore celui qui n’aurait pas besoin de punir, qui conduirait les apprentissages au plus près des besoins et des intérêts des élèves, annulant ainsi toute velléité de dissipation ou de contestation, celui qui, à force d’expertise dans la gestion de la vie de la classe, aurait repoussé aux vieux temps des surveillants généraux la corvée des sanctions. Il faut reconnaître en tout cas que sanctionner est bien souvent lourd de difficultés, laisse un sentiment d’échec, de déception dont on renverra la responsabilité aux élèves ou à leurs parents, ou bien encore à soi-même, l’enseignant incapable de tenir suffisamment sa classe pour se prémunir des incartades. Aborder positivement cette question sera un premier axe de ce dossier : il nous faut verbaliser, oui, accorder à la sanction[[Ce dossier ne prétend pas régler les problèmes de terminologie. De façon très générale, nous entendons par sanction toute mesure prise par un éducateur en réaction à un comportement problématique, afin d’éviter l’impunité. Ce terme est préféré en général à celui de punition, connoté négativement, mais nous ne reprenons pas la distinction posée pour l’enseignement secondaire par le bulletin officiel du 11 juillet 2000. Par ailleurs, chaque auteur de ce dossier est resté libre d’avoir ses propres positions sur le sens de ces mots.]] toute sa place dans l’acte éducatif, reconnaître que sanctionner est une dimension de notre métier d’éducateur, que nous devons en assumer la pleine et entière responsabilité, et par conséquent nous y préparer, aussi soigneusement que l’on prépare des apprentissages ou des évaluations.

Verbaliser certes, mais avec une double réserve. D’abord sans s’autoriser pour autant toutes les mesures coercitives possibles et imaginables sous prétexte que les enfants et les adolescents auraient besoin d’un cadre, de limites, d’interdits. Le pire des pères fouettards n’a-t-il toujours pas prétendu agir pour le bien de ses victimes ? Les questions des valeurs et des finalités sont ici centrales. La plupart des auteurs de ce dossier se situent dans cette perspective : sanctionner les élèves, dans la mesure où c’est nécessaire pour leur permettre de se construire en tant que citoyen autonome et responsable, et de façon à contribuer à cette construction. Et, deuxième réserve, cela ne peut s’entendre déconnecté de tout le reste de notre travail éducatif. Nous avons choisi ici de nous centrer sur le moment de la sanction sans traiter la question plus générale de la gestion de la classe, de tout ce que l’on met en œuvre pour éviter d’en venir aux sanctions, ou de ce que l’on modifie pour éviter d’y recourir à nouveau. Pour autant, personne ici ne prétend résoudre tous les problèmes éducatifs par la sanction, nul ne propose de sanction magique, celle qui permettrait de soumettre les élèves aux volontés de l’enseignant en dispensant de nous interroger sur l’élaboration et l’apprentissage des règles.

Verbaliser, au sens également de mettre en mots. C’est là aussi un point d’accord de nombreux auteurs de ce dossier : si plusieurs articles sont réticents sur le terme, voire sur la pratique de sanction, c’est pour mieux valoriser la place de la parole, des mots qui expliquent les actes et les règles, qui se substituent aux coups, qui font advenir une démarche raisonnée à la place de la confrontation violente. C’est en verbalisant que l’on dépasse les réactions émotives, que l’on efface les malentendus, que l’on tente de s’entendre. C’est en écrivant (autre chose que des lignes…) qu’on peut revenir sur les actes, s’expliquer, s’excuser, redonner du sens aux événements, réfléchir sur les règles. C’est en échangeant avec des tiers (un autre enseignant, le CPE, un médiateur, les autres élèves de la classe, etc.) que l’on peut sortir du conflit interpersonnel et mortifère.
Le recours à la sanction est souvent ressenti, utilisé, voire pensé, comme une arme qui permet de sortir vainqueur d’un rapport de forces, comme un moyen de se venger de l’outrage commis. Même si l’on s’en défend sur le terrain des principes, réagir autrement lorsqu’il faut décider dans l’urgence n’est pas simple. De façon plus générale, constatons que les tentations répressives, si fortement présentes actuellement dans les discours médiatiques et politiques, existent aussi à l’école. Pour notre part, si nous reconnaissons la nécessité des sanctions, nous voulons affirmer ici que les éducateurs doivent se former pour sanctionner de façon professionnelle, que les sanctions qu’ils décident doivent avoir un caractère pédagogique, au sens fort et noble du terme : des actes imposés aux élèves pour les aider à intégrer les règles de vie commune, pour donner du sens aux contraintes de la vie en collectivité, pour les aider à y prendre leur place. Lutter contre le simplisme répressif, réfléchir à l’élaboration et la mise en œuvre de sanctions pédagogiques, voilà l’ambition de ce dossier.