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Vagabondages. Transmettre, enseigner, former

Cet ouvrage de dimensions plus limitées (123 p.) reprend les apports du livre précédent du même auteur La Geste Formation  (L’Harmattan, 2010) – dans une approche plus sensible, à l’instar de la démarche poétique de Bachelard. Ainsi est approfondi le sens des méthodes pédagogiques auparavant décrites et analysées et leur transférabilité en est accrue à quelque type de quête de savoir ou d’action que ce soit, enseignement, formation, recherche, éducation – « éducation partagée » – au sens que donnent à l’éducation inclusive les auteurs internationaux réunis dans le n° 14 de la revue Recherches & Educations (octobre 2015), à partir de recherches récentes.

L’ouvrage se présente comme une suite d’exemples et de réflexions, généralement courts mais enrichis de nombreuses références, numérotés de 1 à 275, dans lesquels chaque lecteur, quel que soit son statut, peut retrouver une situation professionnelle difficile à affronter, la citation d’un auteur sur la question et/ou un vécu personnel, qui peut l’aider à réinvestir dans ce qu’il entreprend une connaissance théorique, une expérience ou un savoir faire, acquis dans d’autres circonstances.

Tout jeune professeur y retrouvera ce sentiment d’être « comme dans un film américain : une bombe entre les mains, un fil rouge et un fil bleu : si je coupe le bon, je sauve ma classe et mon cours, si je me trompe, tout explose » (140).

C’est ici qu’il pêchera une aide qu’aucune prescription d’un programme ne prévoit, un comportement qui a servi dans le passé, une réaction qui s’est avérée pertinente plutôt qu’inadaptée pour rompre le nœud gordien et désamorcer une de ces crises auxquelles tout professionnel qui a affaire à l’humain se trouve inéluctablement affronté un jour ou l’autre.

 Ceux qui cherchent à analyser des phénomènes sociaux complexes, dans un groupe classe, une situation de conseil, un comité, le traitement de données recueillies sur le terrain, seront mis sur la voie de trouver une appréhension plus juste de ce qui se passe, parce qu’on aura « prêté du sens » – et entamé un dialogue d’interprétation avec d’autres, plutôt qu’« une interprétation qui revendique l’expertise d’une ‘preuve-don de sens’» (157).

Bien que le terme « motivation », tellement utilisé pour les délaissés scolaires, ceux qu’on appelle les « décrocheurs », n’y apparaisse jamais, ce livre est un incitateur à mobiliser ses neurones tout autant qu’à agir.
N’est-elle pas là, cette fameuse motivation, sous le titre « Enseigner », dans l’exemple d’Albert Memmi, d’origine tunisienne et juive, doublement exclu par ses condisciples par sa religion et parce qu’il parle « en roulant les r et en confondant les nasales », quand il découvre « le merveilleux secret » remède à sa solitude : écrire, « maîtriser la langue et le langage de l’Autre » (213) ? « Je sentais que je pénétrais l’âme de la civilisation en maîtrisant la langue ».

Une seule élève dans la classe est touchée par le poème de Baudelaire lu par la professeure, mais n’est-ce pas la meilleure motivation à exercer le métier d’éducateur que quelqu’un confié à ses soins puisse dire : « je compris qu’au-dessus de nous planait un autre univers, que je pourrais l’approcher par les livres » (214) ?
Et, comme Christian Alin, tout enseignant, de jeune professeur à professeur d’expérience, n’avance-t-il pas dans sa formation quand il prend conscience « que la conduite d’une classe, son contrôle et la maîtrise de soi, passe souvent par une rencontre privilégiée, positive ou conflictuelle avec un (e), deux, trois de ses élèves seulement » (49) ?

N’est-ce pas cela qui tous, tant que nous sommes, enseignants, formateurs, éducateurs de tout poil, y compris ceux qui exercent le métier « impossible » de parents selon Freud, nous a fait aimer notre tâche, quelles que soient par ailleurs les frustrations et le deuil de toute puissance auxquels elle ne cesse de nous contraindre ?
Et quel beau concept, en cette période de haine, de déchirements et d’égarements conduisant au rétrécissement de soi sur une toute petite partie de l’être humain que nous sommes, que celui d’« identité rhizome », qui « ne peut être assignée à un territoire » (219).

Belle visée éducative – et d’éducation inclusive – que de substituer « l’identité-relation » (220) à « l’identité-racine-territoire » (221).
Eduquer à la tolérance, n’est pas alors « une posture de bienfaisance ou de bienveillance, mais une vigilance à ma propre opacité et une ouverture à celle de l’Autre » (224).
La clé d’une recherche, d’une éducation, d’une pédagogie est-elle la « parrêsia », le « dire vrai », le « parler-franc », au cœur du souci de soi et du souci de l’Autre (79) ?
Dans ce cas, n’est-on pas conduit à penser « Quand dire, c’est écouter… et comprendre que la parole n’est pas seulement de celui qui la donne, mais de celui qui la reçoit » (79), que « le don engage la dette », et que, si « je te parle dans ta langue, c’est dans la mienne que je te comprends » (229) ?

La parrêsia, c’est «  le courage de la vérité chez celui qui parle et prend le risque de dire, en dépit de tout, toute la vérité qu’il pense, mais c’est aussi le courage de celui qui accepte de recevoir comme vraie la vérité blessante qu’il entend  » (80).
Un livre qui réhabilite la pédagogie et la recherche en éducation, dont nous avons besoin en cette période où les Français retombent dans leur habituel déni de la réalité attestée par la baisse continue de nos résultats scolaires au fil des enquêtes internationales périodiques, parce que les élèves les plus faibles sont négligés au profit de « l’excellence » des meilleurs ? Est-ce cela, le « dire vrai », qui est aussi écouter ce qui est vrai, l’arme pour rompre avec cette « préférence collective pour l’inégalité », préférence nationale qui maintient en place le système éducatif le plus injuste de tous les pays de l’OCDE  ?

Danielle Zay