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Vacances d’été ou grand voyage sans retour ?

Créé en juin 2004, à l’initiative d’enseignants du lycée Jean-Jaurès (Châtenay-Malabry) et d’un collectif de l’académie de Créteil, le Réseau éducation sans frontières agit pour que tous les jeunes de nationalité étrangère scolarisés aient le droit de poursuivre leurs études et de vivre ensuite dans le pays où ils ont étudié, dont ils parlent la langue et dont ils ont la culture. Il s’agit principalement de jeunes majeurs qui, du fait du caractère toujours plus draconien des lois sur le séjour des étrangers, se retrouvent sans papiers à leur majorité, ou d’enfants de parents sans papiers qui, eux aussi scolarisés (et pour beaucoup nés en France), sont susceptibles d’être expulsés avec leurs parents vers des pays pauvres, parfois en guerre, où la scolarité est un luxe, et qu’ils ne connaissent pas ou plus.
Découvrir qu’un élève que rien ne distingue de ses camarades risque l’interpellation à chaque instant, qu’il peut être enfermé dans une prison pour étrangers appelée « centre de rétention » puis mis de force dans un avion, menotté et entravé, scotché à son siège et bâillonné s’il proteste, est un traumatisme insupportable aussi bien pour les enseignants que les élèves et leurs parents. Et il est sain et rassurant que de telles éventualités soulèvent la stupeur d’abord, l’indignation ensuite, et la volonté de s’y opposer.

Une législation durcie

Rien de surprenant dans ces conditions, que l’appel à la régularisation des jeunes sans-papiers scolarisés, lancé le 26 juin 2004, ait rapidement recueilli le soutien de la grosse majorité des organisations syndicales d’enseignants, de la FCPE, de la plupart des associations de défense des Droits de l’Homme[[Dont la LDH et le MRAP.]] et des droits des étrangers[[Gisti, Cimade.]] ainsi que le soutien de partis de gauche et d’extrême-gauche[[PCF, Verts, LCR, CNT.]]. Au total, plus de 120 organisations et collectifs sont signataires de cet appel.
L’originalité du RESF et la clé de sa relative efficacité résident sans doute dans les dizaines de collectifs implantés dans les écoles, les lycées, les collèges et les villes (parfois les villages) qui prennent la défense des élèves et des parents menacés. Accompagnement dans les démarches aux préfectures ou devant les tribunaux, pétitions, délégations, manifestations, fax, mails et coups de téléphone indignés aux autorités, occupation d’écoles, parfois intervention dans les aéroports pour convaincre les passagers d’aider un expulsé à refuser son embarquement : les formes d’actions sont multiples, dictées par les situations particulières et les rapports de force. À noter que ces combats fédèrent des représentants de courants de pensée très divers et que les femmes y sont fréquemment les plus actives et les plus déterminées.
Même si la médiatisation d’un certain nombre d’affaires, témoignant publiquement de la possibilité de lutter et de gagner, a joué son rôle, la forte mobilisation des établissements scolaires autour des jeunes sans-papiers est d’abord le produit du durcissement continuel de la législation sur l’admission et le séjour des étrangers. Loin de diminuer le nombre d’étrangers en situation irrégulière, les lois censées combattre l’immigration clandestine produisent chaque jour de nouveaux cas : demandeurs d’asile déboutés, mineurs isolés pris en charge par l’aide sociale à l’enfance mais privés de titres de séjour à leur majorité, enfants arrivés en France hors des formes très contraignantes du regroupement familial (des regroupements que le nouveau projet de loi[[Projet appelé Ceseda ; voir une analyse sur le site du GISTI :
www.gisti.org/doc/actions/2006/ceseda/analyse.html]] de Nicolas Sarkozy prévoit de rendre encore plus inaccessibles). À Sens, après l’assignation à résidence de leur mère et la fuite des aînés Rachel (15 ans) et Jonathan (14 ans), Grace et Naomie Makombo (9 et 11 ans) sont arrêtées au centre aéré où elles passaient quelques jours… On pourrait citer bien d’autres cas.

Expulsions à la fin de l’année scolaire

Pourtant, en septembre et octobre, les mobilisations se multiplient : dans des dizaines d’écoles et de lycées, professeurs, parents et élèves se dressent pour empêcher les expulsions. Sentant la contestation monter, le gouvernement choisit de gagner du temps : le 31 octobre 2005, il publie une circulaire suspendant jusqu’à la fin de l’année scolaire l’expulsion des jeunes majeurs sans papiers scolarisés et des parents d’enfants scolarisés. C’est évidemment très loin des régularisations revendiquées, mais c’est néanmoins un recul… et en même temps la promesse d’une échéance terrible : celle des vacances d’été 2006 au cours desquelles les préfectures devront procéder aux expulsions massives empêchées en cours d’année.
De fait, depuis la circulaire du 31 octobre, aucun élève n’a été expulsé (mais plusieurs ont été placés en rétention, l’un d’eux y a même passé son réveillon de Noël) mais une dizaine de pères l’ont été (sur les quelque quatre-vingts placés en rétention et pour lesquels il a fallu batailler pour qu’ils soient libérés). Aussi bien dans les familles que parmi leurs soutiens, l’appréhension monte à mesure que la date fatidique du 30 juin approche. Les vacances d’été risquent, pour des milliers d’élèves, sans papiers ou enfants de sans-papiers, d’être la date d’un grand voyage sans retour vers un pays qu’ils ne connaissent pas ou plus, dont certains ne parlent pas la langue et où ne les attendent que la misère et parfois la guerre.
Mais les jeux ne sont pas faits. Au moment où paraît cet article, dans de nombreux établissements scolaires, des enseignants, des parents, des élèves parfois, se préparent et se manifestent pour empêcher ce qui, à leurs yeux, est une infamie : l’expulsion d’enfants ou d’adolescents dont ils s’occupent et qu’ils côtoient tous les jours.

Richard Moyon
Site : www.educationsansfrontieres.org