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Utiliser l’autorité pour inventer l’école

L’école oublie que les enfants ne sont pas nés élèves. Elle ne pourra plus nier encore très longtemps cette évidence. Le futur nécessaire de l’Éducation nationale apparaît donc déterminé, non pas par un abandon de l’autorité, mais par son changement de cap. Elle cessera d’être uniquement coercitive et vouée à la gestion des faits pour devenir délibérément créative et destinée à la progression des êtres.
Le lycée dont il est question dans cet article est bien réel. Il accueille 1400 élèves dont 230 dans des classes réservées à d’anciens décrocheurs. Au cœur de Paris, il n’est ni l’abbaye de Thélème ni une robinsonnade soixante-huitarde. Il est au contraire bien ancré dans le service public est ne sert de vitrine à aucun mouvement ni cénacle doctrinaire. Le proviseur n’est pas un gourou, c’est un fonctionnaire. Il joue seulement sur la souplesse de la réglementation, le sens politique de sa hiérarchie et l’autonomie dont dispose tout établissement public local d’enseignement.

Adapter l’obligation d’assiduité

Un contrat de dispense de cours est mis en place, limité dans le temps et dûment organisé. Il a deux avantages ; d’une part, ne plus précipiter l’élève défaillant dans l’absentéisme de saturation ; d’autre part l’inciter à rester relié à l’établissement pour un retour au moment propice. La formule est à temps partiel ou complet selon les problèmes (santé, charge de famille, maternité, travail pour financer les études).

Permettre des pérégrinations salutaires

Un adage dit que le changement d’herbage réjouit les veaux. Quand certains élèves s’ennuient en classe et perdent toute envie d’apprendre une mobilité dûment instituée peut créer un sursaut salutaire et permettre de renouer avec des progrès et retrouver l’envie de réussir. Ainsi, un élève a la possibilité de devenir auditeur libre dans une classe qui n’est pas la sienne, pour un nombre de matières limitées, durant une période contractualisée. Les cas d’incompatibilité d’humeur avec un professeur sont prises en compte dans ce cadre.

Harmoniser le calendrier des devoirs

La planification des devoirs sur table, des interrogations écrites, des exposés et du travail à la maison procèdent du libre arbitre des professeurs et de la nécessité de fournir une moyenne trimestrielle. Le lycée cafouille encore dans un sauve-qui-peut chaotique. Mais de nombreuses classes commencent à bénéficier d’une avancée en organisant une harmonisation du planning et en proposant des rattrapages de devoirs, soit pour compenser des absences, soit pour contrebalancer des contre-performances.

Donner du temps aux drames

Les problèmes familiaux (maladie des parents, divorce, perte d’emploi) appartiennent à la sphère privée, mais il peuvent engendrer une démotivation scolaire. Communément, malgré une compassion explicite, l’école met en avant un souci d’égalité et applique la règle commune aux élèves qui traversent un drame. En l’occurrence, la préoccupation égalitaire produit de l’injustice. Le lycée reconnaît l’événement familial grave et met en place une adaptation de la scolarité sans intrusion dans la vie privée de l’élève.

S’occuper plus de justice que de sanction

Toute faute est formulée en référence au règlement intérieur. La désapprobation claire des adultes est plus importante que la teneur de la sanction. La présomption d’innocence est nettement affirmée. Aucune exposition à la vindicte n’est pratiquée. En cas de comparution en conseil de discipline, aucune dérive émotive n’est exploitée. Un débat contradictoire qui n’écrase ni la famille ni l’élève s’organise méthodiquement et peut déboucher sur un non-lieu, un acquittement ou des peines avec sursis. Toute peine se conforme aux textes officiels qui stipulent d’éviter l’exclusion. L’élève et sa famille sont assistés d’un professeur-défenseur et sont aidés en cas d’appel. Le proviseur peur faire appel lui-même d’une sanction trop dure.

Ériger l’engueulade en science de l’éducation

La violation caractérisée d’une règle doit être scénarisée. Cependant, il ne s’agit pas de se laisser aller à un débridement ludique, émotif voire pulsionnel, mais de mettre en place une expérience collective des limites. Un enseignant ne saurait se priver de tancer copieusement un élève fautif. La voix est un bel instrument, les décibels offrent un champ infini de nuances. En l’occurrence, les thèses du professeur Laborit nous apprennent que l’être humain a un cerveau reptinien, ce qui transforme toute remontée de bretelle en opération hautement symbolique de marquage de territoire et d’identification du chef de meute. À la suite de la dramatisation hic et nunc, il faut prendre du recul au sein d’instances idoines : conseil de discipline, commission de vie scolaire ou tout autre groupe de régulation. Le rappel de la règle peut être expéditif, la punition jamais.

Codifier les relations avec les familles

Dans un schéma traditionnel, les parents doivent rester discrets, répondre en temps utile aux injonctions des professeurs (ou de l’administration), honorer les sollicitations financières et participer aux réunions typiques. En revanche, si leur enfant pose problème, on leur confie généralement une mission impossible : améliorer le niveau de l’enfant, le motiver, le faire venir en classe régulièrement ou améliorer sa conduite. La culpabilité qui en résulte crée un profond marasme. A contrario, le lycée se dote progressivement de pratiques qui obéissent à une déontologie des relations entre l’école et les familles et ne cantonnent pas les parents à un rôle subsidiaire. Notamment, les conseils de classes sont publics et les parents peuvent se faire inviter en cours avec les élèves ou à la cantine.

Valoriser les acquis de la vie

L’évaluation des élèves se fait normalement sur la base de capacités décrites dans les programmes. Mais, l’école sélectionne aussi les élèves sur des compétences qu’elle n’a pas enseignées elle-même ? Par exemple en musique, pour le Bac L, les candidats font valider des aptitudes acquises à l’extérieur, notamment pour l’épreuve instrumentale. Sur ce modèle, le lycée a étendu la notion de capacité tout savoir-faire exogène acquis dans l’action humanitaire, l’animation socio-éducative ou tout autre champ d’activité. Ces capacités sont évaluées par les professeurs et dûment intégrée dans les notes trimestrielles, à hauteur de 11% dans certains cas.

Activer des équivalences

En cas d’échec dans le système standard, la reconversion ne se fait jamais en douceur en raison du manque d’interconnexions entre l’enseignement général et l’enseignement professionnel. À l’heure actuelle, un élève de première ES [[Voie générale pour le bac de sciences économique et sociale.]] n’obtient aucune équivalence du BEP [[Brevet d’Enseignement Professionnel, prépare en Lycée Professionnel.]] pour entrer dans un cursus de Bac-pro. De même un étudiant de DEUG [[Diplôme d’Études Universitaires, Générales (niveau bac plus deux préparé dans les universités).]] n’entre pas en seconde année de BTS [[Brevet de Technicien Supérieur (niveau Bac plus deux préparé en lycée ou en centre d’apprentissage).]]. Le lycée accorde méthodiquement des concordances de cursus entre les trois ordres d’enseignement général, technique et professionnel. Cette perspective est offerte aux titulaires de titres de l’enseignement professionnel qui souhaitent raccorder la voie générale, (par exemple un élève de BEP envisageant une Bac L) .

Suggérer des essais

La vertu principale des ados est sans doute l’envie de faire des expériences. Ils préfèrent celles qui offrent des transgressions. Toutefois, ils n’aiment pas que l’on bouscule leurs habitudes car certaines évitent l’effort et la remise en cause. Il appartient aux adultes de suggérer des essais anodins qui sans êtres nihilistes reposeront sur un développent de l’autonomie des êtres. Ainsi, très furtivement, le lycée expérimente parfois une panne de sonnerie. La dernière a duré plus d’une semaine. Le signal électrique restait muet pour les entrées, les interclasses, les récrés, les repas et les sorties. Le CPE qui observait sciemment les mouvements a constaté que les profs et les élèves se sont pris en charge et que le volant de retardataires, fuyards et autre perdu de vue n’était pas plus important qu’en temps normal. À suivre.

Moduler le redoublement

Le redoublement coûte cher à l’Éducation nationale [[Dans certains lycées, 25% des élèves sont des doublants. En France, le taux moyen avoisine les 17%.]], humilie l’élève et stresse ses parents. Dans quelques établissements, il sert de système de rétorsion. Le lycée limite les redoublements de Secondes à 6 %, contre 21 % pour un établissement comparable dans Paris. Par ailleurs il propose des modules de consolidation où les élèves comblent leurs lacunes dans les disciplines principales tout en commençant le programme de la classe supérieure. Par ailleurs la possibilité de doubler ou tripler le Bac en préparant les seules disciplines utiles concerne 87 jeunes inscrits dans un cursus du « temps choisi » où le redoublement se pratique à temps partiel (5, 10, 25 % des matières).

Compenser l’absence d’éthique dans l’orientation

Le lycée est organisé en pyramide retournée. Il offre deux dois plus de divisions en Première qu’en Seconde et 30% de plus de places en Terminales qu’en Premières. Il accueille donc les élèves rejetés des établissements voisins qui au contraire offrent beaucoup moins de places en Premières qu’en Secondes [[Composition pyramidale avec 10 Secondes, huit Premières et sept Terminales.]]. Ainsi, un jeune qui choisit une Première S contre l’avis de ce genre d’établissement n’a que trois solutions. Redoubler pour obtenir gain de cause l’année suivante. Aimer illico les lettres ou l’économie pour passer en classe supérieure dans son établissement. Ou, le quitter.

Changer l’information

Quand un collégien est en difficulté, ses professeurs idéalisent généralement la voie professionnelle beaucoup plus pour garantir leur propre opinion sur la voie générale que pour donner un conseil fondé au jeune concerné. En vérité, 50% des élèves de LP n’exerceront jamais dans le métier préparé durant leurs études et 30% n’obtiendront pas de diplôme. Par ailleurs, l’information ne prend jamais en considération le traumatisme de l’adolescent orienté pour son bien contre son gré. Il ne se pose pas la question : « quel joli métier vais-je bien pouvoir choisir pour demain » ? Mais plutôt : « pourquoi ça tombe sur moi et que me reproche-t-on » ? Le lycée n’entre pas dans le jeu de l’insincérité de l’information et prend le parti de l’élève.

Refuser l’ethnicisation

L’orientation génère l’ethnicisation [[Concentration dans une filière d’élèves ayant les mêmes origines raciales.]] de certaines filières. Il ne faut pas confondre ce phénomène avec la ghettoïsation qui résulte de la superposition de la carte scolaire et du domicile des élèves. Alors que la sexualisation de l’orientation fait l’objet d’une vigilance, l’ethnicisation file à vau l’eau. Ainsi, les familles européennes rejettent déjà quelques cursus parce qu’ils apparaissent réservés à des jeunes issus de l’immigration. Dans un autre ordre d’idée, une école prestigieuse vient de modifier son mode de recrutement pour compenser la pénalisation des candidats en raison de leurs origines. Le lycée prend la mesure de cet état de fait et développe des stratégies pour ne pas l’amplifier.

Éliminer les tendances kafkaïennes

Beaucoup d’établissements, parfaitement opérationnels, adoptent une scolarisation froide. La juxtaposition des cours se donne la satisfaction du programme accompli, la gestion des élèves répond à l’efficacité administrative et les relations se calent dans un protocole immuable. L’adolescence laisse sa rugosité au vestiaire. La notion même de communauté scolaires n’a pas droit de cité même si les professeurs préfèrent se définir comme des passeurs de connaissances que des prestataires de service. Ici, le lycée opte plutôt pour une forme de vie villageoise. L’anonymat n’est pas de mise. Les élèves ont le plus souvent un prénom. Et les initiatives d’intendance, l’ergonomie scolaire, l’état des locaux, les conditions du repas et l’accueil dans les bureaux essaient de résorber toute tentation kafkaïenne.

Accorder un moratoire

Sur le mode du casier judiciaire des mineurs qui s’efface à la majorité, le lysée accorde à tout élève qui désire reprendre des études un moratoire en trois domaines : les notes, l’orientation, le comportement. Son passé ne saurait lui être opposé comme passif. Non seulement il garde ses propres élèves défaillants, mais il accueille ceux des autres. La rescolarisation (ou le maintien) réussit d’autant mieux qu’elle n’impose pas une expiation ou une relégation. En l’occurrence l’inclusion de tous les jeunes dans un lycée réel est très bénéfique même si les cursus deviennent extrêmement polymorphes.

Libérer l’alternance

Le maintien scolaire d’élèves en grande difficulté et le raccrochage de ceux qui ont rompu les amarres scolaires, obéissent à un dicton simple : on ne prend pas les mouches avec du vinaigre. Le processus de réconciliation avec l’instruction, avec la collectivité scolaire et avec soi-même et long. Le lycée organise une d’alternance pour allège la pression des cours. Le va et vient entre l’école et l’extérieur ne se limite pas aux entreprises. L’alternance est libérée des métiers. Elle s’ouvre aux secteurs artistiques, sportifs, culturels et humanitaires en permettant le mûrissement d’une perspective de vie avant de se focaliser sur un projet professionnel.

Majorer le rêve

Le lycée propose une pédagogie individualisée écartant toute uniformisation des contenus et des rythmes. Dans cet ordre d’idée, les professeurs doivent majorer le rêve des élèves sans pour autant entretenir d’illusion. De nombreux décrocheurs et beaucoup d’élèves orientés de force intériorisent une dépréciation d’eux-mêmes, se sous-estiment et se donnent des objectifs trop modestes. Enfin, tout élève obtient un débouché consenti et dûment préparé. De la même manière, il bénéficiera d’un droit au retour en cas de difficulté après son départ.

Gilbert Longhi