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Une quarantaine agitée

Les premiers enseignements de sciences économiques et sociales ont démarré de façon expérimentale en classe de 2de en 1964, puis officiellement avec la réforme Fouchet de 1966. Le premier bac économique et social (bac B à l’époque) s’est déroulé en 1969.
Quarante ans, cela peut être l’âge des bilans et c’est d’abord ce que propose ce dossier.
Les SES sont nées et ont évolué dans un processus de démocratisation de l’école : quel a été le rôle de cette discipline nouvelle dans ce processus ? Comment les programmes, qui ont su être innovants dans leur conception, ont-ils évolué ? De quelles valeurs – en miroir avec les évolutions sociétales – sont-ils porteurs ? À ces questions posées dans l’ouverture du dossier font écho dans la dernière partie les interrogations actuelles : que reste-t-il du projet initial des SES aujourd’hui ? Faut-il repenser les SES, tout en s’appuyant sur les recherches en éducation, comme le préconise Alain Legardez ?
Les professeurs de SES évoquent souvent l’« esprit des SES ». Comment le définir ? S’agit-il des objectifs disciplinaires fondés sur la formation des citoyens et la combinaison de plusieurs approches ? S’agit-il des méthodes pédagogiques mises en œuvre (l’étude de dossiers documentaires, l’utilisation de supports multiples, et notamment la presse, le travail de groupe) dès la création des SES ? S’agit-il des concepts et méthodes propres aux sciences sociales ? La question des méthodes pédagogiques appelle à la réflexion et à la prise de distance. Le sociologue Jérôme Dauvieau nous livre sur ces divers aspects le résultat de ses observations dans les cours de SES.
Nous avons placé au cœur du dossier les pratiques professionnelles. Il est difficile de dissocier l’enseignement des SES et l’histoire de la série ES. Si ce dossier privilégie une approche centrée sur la discipline, il ne peut faire l’impasse sur le fait que celle-ci est adossée à une série avec sa cohérence et ses liens entre les disciplines. Dans cette perspective, des récits d’expériences interdisciplinaires variées sont proposés à la réflexion. Nous proposons par ailleurs sur notre site des articles complémentaires sur la série ES et ses débouchés.
Les contenus enseignés permettent aux élèves d’appréhender l’« intelligence du monde » et sa complexité. Ces contenus font sens et peuvent être des sources de motivation pour les élèves.
Ils sont aussi des supports à des méthodes actives – des « pratiques démocratiques » nous dit Gérard Grosse- qui permettent de questionner le savoir, de les mettre en situation d’activité intellectuelle et de favoriser le débat. Pour l’enseignement des SES, tout ou presque peut être le support de l’activité (comme la presse, la BD ou l’Opéra) dès l’instant où ceux-ci permettent d’avoir un regard objectivé sur la société contemporaine.
L’âge de la maturité n’est pas pour autant celui d’une quarantaine apaisée. La discipline (et la série) a été l’objet d’attaques vives portant sur la légitimité du projet et la scientificité des savoirs enseignés.
Le contexte de la réforme des lycées pose aussi des questions : les SES jusque-là couplées à une série doivent-elles être proposées à tous ? Dans sa dernière version (avant le report le lendemain), le projet de Xavier Darcos prévoyait l’entrée des sciences économiques et sociales dans le tronc commun en 2de. Cette annonce représentait, enfin, une reconnaissance de la légitimité de cet enseignement et la promesse d’une certaine pérennité.
Par ailleurs, cette année marquée par une crise économique, financière et de nombreux troubles sociaux nous rappelle aussi, comme le fait très justement remarquer Bernard Lahire en parlant de compréhension de « l’invisible », qu’il y a une véritable demande sociale et citoyenne pour une compréhension des mécanismes de l’économie et de la société. On a, plus que jamais, besoin des SES ! Peut-on espérer que cette crise de la quarantaine soit dépassée et qu’on puisse prendre le temps d’un vrai bilan dans un climat plus serein et d’envisager des pistes de réflexion pour l’avenir ?
C’est ce qu’essaye de proposer modestement ce dossier.

Patricia Morini