Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Une pratique gagnante !

« C’est plus vite pour répondre à nos questions », « t’as plus d’animation », « ce qui est cool, c’est que y a deux profs ; pendant que l’un explique en avant, si tu lèves la main, l’autre peut venir te l’expliquer individuellement », « deux profs, c’est deux manières différentes d’expliquer, si tu n’aimes pas une méthode, tu en as une autre », « quand une des profs est absente, le remplaçant, il peut s’appuyer sur l’autre prof », « si j’avais le choix, je le mettrais dans tous mes cours ». Ces témoignages d’élèves de 13 à 14 ans ne laissent aucun doute sur le succès du coenseignement mis en place dans certains cours à l’école secondaire du Plateau de 660 élèves de 12 à 18 ans à La Malbaie, au Québec.

En 2016, deux enseignantes de mathématiques et de sciences ont décidé de développer et de s’engager dans une pratique de coenseignement avec leurs classes de secondaire 2 (équivalent de la 4e en France). Concrètement, elles ont regroupé les classes deux par deux dans un plus grand local, pour leur enseigner tous les cours de mathématiques et de sciences à deux enseignantes, sans changer la répartition horaire ni des enseignantes ni des élèves. Quand on les interroge pour savoir pourquoi elles se sont lancées dans cette expérience, elles avancent des arguments comme la difficulté de gérer seules l’inclusion des élèves présentant des difficultés d’apprentissage dans une classe, mais aussi l’impression de faire le travail en double lorsque chacune prépare et délivre son cours de son côté. Elles nous disent aussi qu’être enseignant, c’est être seul avec ses forces et ses faiblesses et que le coenseignement est un moyen de s’appuyer sur les forces de l’autre. Le coenseignement permet donc de favoriser l’inclusion, de rentabiliser le travail enseignant, de briser l’isolement et donc l’épuisement professionnel !

Aujourd’hui très enthousiastes, elles reconnaissent aussi que tout n’a pas été facile dans l’implantation de ce nouveau modèle. Il a tout d’abord fallu trouver un local assez grand pour accueillir soixante élèves ! L’adhésion de la direction a été nécessaire pour rendre cela possible. Ensuite, il a fallu communiquer avec les parents, les élèves, les collègues pour lever les inquiétudes légitimes : Les élèves seront-ils capables d’apprendre à soixante ? Le bruit généré par cette superclasse ne va-t-il pas déranger les autres groupes ? Qui assurera le suivi auprès des parents ? Toutes les classes vont-elles être transformées en coenseignement ? Il leur a fallu patiemment répondre à toutes les questions, avec détermination et respect.

Alternance de configuration

Parmi huit configurations possibles du coenseignement[[France Dubé, France Dufour et Marie-Jocya Paviel, Quelques pistes pour expérimenter le coenseignement en classe, ADEL, 2019.]], elles en ont retenu quatre : l’un enseigne et l’autre soutient, l’enseignement partagé, le soutien partagé et le soutien alternatif. Dans la première configuration, une des enseignantes prépare et anime la séance, pendant que l’autre circule pour apporter du soutien aux élèves qui en ont besoin ou pour s’assurer que tous les élèves sont bien attentifs. Cette configuration demande peu de concertation entre les deux enseignantes, puisque l’une des deux tient les rênes pendant la séance. Dans l’enseignement partagé, les deux enseignantes doivent se concerter minutieusement puisqu’elles coaniment en prenant la parole à tour de rôle. Le soutien partagé ressemble à ce que fait une personne enseignante lorsque ses élèves sont en activité et qu’elle circule dans la classe pour répondre aux questions et encourager. Enfin, le soutien alternatif correspond à une situation de différenciation plus soutenue. Pendant que l’une soutient les élèves, souvent en sous-groupes, dans une activité, l’autre prend un sous-groupe d’élèves pour reprendre une notion ou l’approfondir.

Qu’est-ce que cela change pour les enseignantes ? Elles nous parlent de plaisir d’être à deux, de se sentir rassurées lorsque des décisions difficiles sont à prendre, de mieux gérer la classe, de se sentir plus efficaces pour accompagner chaque élève là où il en est et de la facilité accrue lorsqu’il s’agit de développer de nouveaux projets. D’ailleurs, grâce à ce coenseignement, elles se sont engagées dans un projet « programmation, robotique, impression 3D » pour lequel elles ont obtenu un financement spécifique du ministère de l’Éducation du Québec. Sans le coenseignement, aucune des deux enseignantes ne se serait lancée aussi facilement.

Les résultats très positifs de leur expérience ont convaincu d’autres enseignants de leur école de s’engager dans une telle démarche. Pour autant, toutes les diades n’ont pas aussi bien fonctionné et certaines n’ont pas dépassé la première année. Le succès du coenseignement repose grandement sur la capacité de la diade d’enseignants à collaborer. Un certain équilibre dans la relation doit exister. La capacité à communiquer ses attentes et ses limites est une condition indispensable. Partager une certaine vision de la gestion de classe et des exigences envers les élèves en est une autre. Un lien de confiance doit être établi pour que les faiblesses de l’un exposées ouvertement devant l’autre soient vécues sans jugement, mais comme des occasions de développement personnel et professionnel.

Les deux enseignantes croient à la force de cette expérience et ont proposé d’accompagner des stagiaires en fin de formation pour prendre en responsabilité deux classes en coenseignement à la rentrée 2020. Une occasion unique de formation qui devrait développer les compétences de coopération bien au-delà de ce que les stagiaires vivent habituellement.

Hélène Gasc
Chargée d’enseignement en formation des enseignants et en didactique des mathématiques, université Laval, Québec