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Une aide précieuse pour les EPI

Vous venez de coordonner un ouvrage très pratique Enseigner les EPI, 25 projets interdisciplinaires pour la classe, chez Belin. Qu’est-ce qui vous a amené à le faire ?

J’ai été amené en tant que formateur académique à m’interroger sur cette question des EPI au moment de l’arrivée de la réforme du collège. Les échanges avec mes collègues formateurs, mais aussi avec les autres collègues qui assistaient aux formations, ont nourri et confirmé chez moi la pertinence d’une telle approche des enseignements. Sans négliger les écueils liés au changement en soi et à l’application technique au cœur des établissements, le fondement didactique et pédagogique de la pédagogie de projet l’a emporté.

Cette pédagogie de projet n’est pas nouvelle. Certes la réforme impose. Mais elle impose ce que chacun a pu vérifier dans sa carrière : l’efficacité du projet qui problématise les savoirs, la pertinence de l’interdisciplinarité qui fait sens et la force de la production qui concrétise. Et cela au service de l’implication des élèves dans leurs apprentissages.
Et puis je suis convaincu de l’intérêt de réfléchir à cette question qui se pose très fortement aujourd’hui « A quoi sert l’école ? » et qui soulève, qu’on en ait ressenti le besoin ou non au cœur de ses classes, la question des pratiques.

Quel mode d’emploi pour ce « guide » ?

L’objectif est d’offrir des « tremplins » de réflexion aux collègues et des pistes concrètes afin de favoriser leur appropriation de cette question des EPI. Il faut bien reconnaître l’urgence dans laquelle les enseignants ont été plongés avec cette réforme, qui s’ajoute à la multiplication de leurs missions depuis quelques années. L’enjeu de cette réforme, me semble important, il faut en faciliter la mise en œuvre pour mieux en explorer les possibilités et pour dépasser ensemble les problèmes qu’elle pourrait poser. Les EPI seront ce que nous en ferons, nous, les enseignants.

Le guide est donc composé de vingt-quatre EPI, huit par thématique. Pour chacune de ces thématiques, un EPI est donné « clé-en-main », deux autres sont livrés sous forme de pistes. Ainsi, un collègue peut s’approprier un EPI en totalité ou en partie, en substituant ses pistes aux nôtres. Dans la préface du livre, j’ai souhaité souligner explicitement ce point. Ce guide ne prescrit pas, il offre un champ des possibles que chacun peut continuer d’explorer à sa guise. Mais il met sur des rails celui ou celle qui en a besoin.

Autre avantage – avouable au regard de ce que je viens de dire –, celui de faire gagner un peu de temps aux enseignants !

Vous avez rassemblé une équipe. Comment avez-vous procédé ?

Deux possibilités s’offraient à moi. Mobiliser essentiellement des formateurs confirmés ou choisir la proximité et la réalité d’une équipe interdisciplinaire comme on en trouve dans nos établissements. De fait, et par les aléas du travail d’équipe, seuls quatre des auteurs dont moi ont une expérience de formateurs. Il ne s’agissait pas de proposer des « modèles » d’EPI destinés à entrer au Panthéon de l’acte pédagogique. Une fois encore, la préface précise cela. Nous sommes des collègues qui nous sommes approprié au mieux ces EPI, une bonne partie de ces collègues intervenant en éducation prioritaire et beaucoup sont de mon établissement. Cela ne remet pas en cause nos exigences mais nous oblige sans aucun doute à garder les deux pieds dans la réalité du quotidien.

Les EPI présentés là sont-ils des réalisations en cours, des projets virtuels, un peu des deux ? Vous, pour votre part, avez-vous été impliqué dans des EPI cette année ?

Commencé à la fin de l’année 2015, cet ouvrage nous a obligés à nous projeter dans des EPI qui ne prendraient place qu’à la rentrée 2016. En ce sens, ils sont des projets, des « préparations de cours ». Mais comme on prépare son cours avant de le mettre en œuvre avec nos élèves. Comme on anticipe un moment d’apprentissage. Toutefois, ils s’appuient sur nos pratiques effectives et s’inspirent souvent de projets interdisciplinaires déjà mis en œuvre. Nous les avons conçus ou « remodelés » en adoptant l’angle de vue EPI, avec cette idée forte que l’essentiel de l’EPI se faisait en cours disciplinaire et que l’articulation à la production finale devait diriger les apprentissages qu’ils soient disciplinaires ou transversaux.

Vous n’abordez pas vraiment la question de l’évaluation, à la fois individuelle et collective ? Est-ce un manque ou était-ce un peu voulu compte-tenu des objectifs de l’ouvrage ?

Nous l’évoquons, il est vrai, assez succinctement.
Je pense que la question de l’évaluation n’est pas spécifique aux EPI. Elle est bien plus large et s’applique à tous les apprentissages. C’est une véritable question d’actualité qui doit même interroger finement nos examens nationaux. Elle interroge le duo connaissances/compétences. Elle pose la question de la note ou, du moins, si notre société ne semble pas prête à s’en passer, de la place et de la valeur de la note dans les apprentissages. Elle est sans doute un des sujets les plus sensibles actuellement. Ce n’est pas pour rien qu’elle constitue un des pans de la refondation de l’école.

Évoquer l’évaluation plus en détails nous aurait amené, je pense, à creuser la question et à interroger les représentations de notre école et de notre société sur l’évaluation et leur application sur le terrain. Ce n’était pas le lieu ici. Même si le professeur que je reste avant tout est en pleine réflexion, comme chaque professeur d’ailleurs, sur les implications du nouveau contrôle continu du brevet des collèges qui nous obligera à croiser nos regards évaluateurs sur chacun de nos élèves et pour chaque compétence.

Actuellement, les collèges sont plongés dans cette question de l’évaluation et les choix des équipes restent souverains. Vous trouverez ainsi des collèges dans lesquels la note s’efface peu à peu en tant qu’indicateur sommatif de réussite, y compris dans la forme des « bulletins », quand d’autres établissements ne souhaitent pas s’en détacher. Évaluer, ce n’est pas seulement noter. Bien sûr. Mais est-ce un principe unanime dans nos établissements ?

Quoi qu’il en soit, les regards croisés qu’imposent les EPI vont nous obliger à parler entre pédagogues de diverses disciplines et à insister sur les critères de réussite et l’évaluation des compétences.

Comment voyez-vous l’avenir des EPI ? Comment percevez-vous le ressenti des collègues sur cette innovation qui a fait couler beaucoup d’encre ?

Je suis convaincu de la valeur didactique et pédagogique de cette pratique interdisciplinaire qui vient compléter nos enseignements disciplinaires. D’ailleurs, est-ce une innovation ou l’inscription dans nos référentiels d’une pratique existante, la pédagogie de projet ? Beaucoup de collègues sont prêts à s’y engager… comme beaucoup d’autres n’en voient pas l’intérêt ! Nous savons que la formation est inhérente à notre métier mais elle prend du temps.

Ce qui me semblerait professionnel, c’est que l’on quitte les dogmatismes ou les « réflexes de protection », de « repli » qui enferme les enseignants dans leurs pratiques. Essayons et faisons un bilan dans quelques années. Nous saurons en tirer la « substantifique moelle » pédagogique ! Encore une fois, les EPI seront ce que les personnels éducatifs et les directions de collège voudront bien en faire ! Espérons que cela soit un engagement fort de chacun au service de nos élèves. Et espérons que les échéances politiques qui se profilent permettent le temps de cette formation.

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk

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