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Philippe Meynieu : « Un savoir donne la possibilité de se transformer »

Philippe Meynieu est neurologue. Selon lui, le savoir donne des clés pour connaitre ce qui nous entrave, pour nous réconcilier avec nous-même et pour mener une lutte sans relâche contre nos obscurantismes. Selon lui encore, une pathologie n’est jamais un élément isolé et le soin s’apparente à un art d’approcher les autres avec délicatesse et humilité.

Philippe Meynieu a hésité, après sa terminale, entre la philosophie et la médecine. Si la médecine lui est apparue plus commode, la philosophie continue de l’accompagner au quotidien, et jusque dans son cabinet de consultations. « Plus on a de façons de faire, mieux on appréhende le monde. » Sa manière de considérer la pathologie s’en trouve largement ouverte : il s’agit d’un problème de société d’abord, apportant une réponse à « Comment va le monde ? » ; d’un problème économique et politique ensuite. C’est enfin de l’intime : « Chercher à réduire la souffrance, engager à se réconcilier avec son corps et à en prendre soin, tout cela demande d’aller vers l’autre, au plus près, pour d’abord chercher à le comprendre. Pour toutes ces dimensions, la philosophie m’est une aide précieuse. »

Si la pensée médicale a une part très technique, repère les signes de la maladie, les rapproche pour arriver à un diagnostic, l’affaire n’est pas par avance conclue : « Au début, on ne sait pas où chercher, quelles questions poser. » Pour le neurologue, la médecine est donc avant tout une pratique qui s’élabore avec l’expérience. Il a très vite compris qu’une information ne nous modifie pas automatiquement, qu’il faut pour cela qu’elle s’intègre et devienne un savoir : « Un savoir donne la possibilité de se transformer, ou de ne pas se transformer, autour de cette donnée nouvelle. »

Philippe Meynieu n’ignore pas que l’homme est loin d’être une machine qui répondrait à un stimulus en forme de leçon hygiéniste, par exemple. « Voir énormément de gens en consultation m’a fait rapidement comprendre deux choses : d’abord, qu’en grande partie nous ne sommes pas responsables de ce que nous sommes. Ensuite, qu’une pathologie participe d’un système de vie. » Philippe Meynieu a donc beaucoup relativisé la notion de liberté, et affirme qu’il n’y a pas de liberté sans connaissance de nos chaines : « Si on les connait, au moins devient-on en mesure de les accepter, ou éventuellement d’y renoncer. Cela, la médecine me l’a appris, en m’amenant à une grande indulgence et même à un attendrissement pour les gens que je vois souvent se débattre avec leurs chaines, leurs pathologies et leurs comportements. Tous respectables. Chacun étant mon égal. » D’ailleurs, d’emblée, ce qui frappe chez Philippe Meynieu, c’est son humilité. Peut-être parce qu’il sait qu’un médecin n’est pas un magicien.

Tout trouble neurologique trouve sa place dans un ensemble avec un métier, des enfants, une famille, des habitudes alimentaires, de loisirs, des croyances. Une aide doit porter sur la vie globale et demande d’entrer en contact avec la personne. Philippe Meynieu s’assoit plus au fond de son siège. Il raconte sa conscience vive de la fragilité du corps, qui ne sera disponible que pendant un temps court. Il sait aussi que beaucoup de problèmes viennent de risques pris à un moment de l’existence. Se réconcilier avec soi, aider les autres à le faire. Le neurologue ne se penche pas seulement sur l’esprit. « Un être, c’est un corps qui pense et qui entre en relation avec le corps pensant d’autrui. On devrait tellement se comprendre et s’aimer ainsi, tellement être plus à l’écoute d’une pulsion de vie. » À l’écoute. Le neurologue, dans le secret de son cabinet, continuera de l’être, même s’il ne s’agit parfois que d’être là pour recueillir la misère, la détresse. Et d’accepter de ne pouvoir faire davantage.
Comprendre pour dénouer. Philippe Meynieu ne nie pas qu’à vouloir tout connaitre on enlèverait la spontanéité, la surprise. Mais selon lui, le risque des conséquences de l’innocence est trop grand : « L’histoire récente, notamment le régime nazi qui reste en moi un marqueur puissant de ce que l’homme est désormais en devoir de repousser en lui, ou encore les exemples multiples où l’on a tué pour des lendemains qui chantent ou pour un au-delà, me poussent à vouloir changer la société par tous les moyens. » Nos armes sont donc pour lui l’intelligence et la raison : toutes les fois que l’on peut apporter de la lumière pour aider à résister à la manipulation, aux fausses croyances, à la haine, il faut intervenir. Et c’est en lui-même qu’il commence la chasse aux obscurantismes.

Porter de l’attention à ce et ceux qui entourent, se demander ce qu’il est bon de faire, et agir, voilà, pour Philippe Meynieu, le moyen de ne pas avancer en bateau ivre. « Voilà même le moyen de ne surtout pas regretter un jour d’avoir vécu pour rien. »

Propos recueillis par Christine Vallin


Article paru dans notre n°511, Observer la classe, coordonné par Brigitte Cala et Hélène Eveleigh, février 2014.

Dans la classe, pour faire la classe, les enseignants observent sans cesse leurs élèves ; ils sont eux-mêmes observés lorsque les portes des classes s’ouvrent pour accueillir des stagiaires, des collègues, des formateurs, qui observent à leur tour tout ce qui se déroule. Que ressort-il de tous ces regards croisés ?

https://librairie.cahiers-pedagogiques.com/revue/500-observer-la-classe.html