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Un regard extérieur

Le terme de regard me gêne, il renvoie aussi bien au spectacle qu’à l’inspection, surtout on peut regarder sans être vu, la glace sans tain ne fut- elle pas l’outil idéal d’une psychologie qui se voulait scientifique et objective. Je préfère parler d’accompagnement malgré le risque de parler mode.
L’accompagnement est nécessairement asymétrique car il permet l’interaction de deux personnes, d’une personne et d’un groupe, de deux groupes qui n’occupent pas la même position, qui ne sont pas pris dans les mêmes systèmes d’obligation, dans les mêmes urgences, qui ne partagent pas les mêmes désirs, qui ne prennent pas les mêmes risques. C’est cette asymétrie, cette hétérogénéité des distances à l’objet et au projet qui rend possible un partenariat qui ne soit ni un travail d’équipe ni la recherche d’un consensus ; je dirais volontiers qu’il s’agit beaucoup plus de l’acceptation d’une interlocution mutuelle. Cet accompagnement est nécessairement circonstancié, approprié à un moment donné, mais suppose que chacun soit déjà, de son côté, en chemin et prêt, le moment venu, à reprendre à son compte son chemin. Je vis mon accompagnement du CLEPT, depuis sa création, comme une rencontre librement consentie pour un temps dont je sais qu’il sera limité tout en espérant qu’il sera le plus long possible, mais qui doit pouvoir se limiter, sans qu’aucun n’en éprouve de douleur ou le sentiment d’avoir été trahi ou déçu.
Si ma participation aux travaux du CLEPT a d’abord pris la forme d’une participation à un Conseil scientifique qui a eu de la peine à se constituer véritablement, aujourd’hui elle est tout autre. Je ne représente en aucun cas la science, n’ai aucune prétention d’objectivité et ne propose pas, sauf si cela m’est explicitement demandé, une quelconque démarche méthodologique permettant de valider une des hypothèses ou de légitimer une des pratiques du CLEPT. Je dirai plutôt que je m’efforce de mettre à disposition des enseignants ce qui est de l’ordre d’une culture scientifique, d’une expérience d’autres situations et d’une posture de recherche, acquise ailleurs. Mais, je ne prétends pas les mettre en œuvre en transformant le CLEPT, peu ou prou en mon objet. C’est pour cela que je choisis ce terme d’accompagnement.
Accompagner, c’est se joindre à quelqu’un pour aller là où il va, ou souhaite aller, en lui reconnaissant le choix de la destination. C’est également partager partiellement le même temps, la même durée, ce n’est ni prétendre à l’avance du guide ni à l’inévitable retard (recul) du chercheur. S’il y a quelque chose de l’ordre d’un moment de vie commune, il reste très important que je n’aie pas l’initiative, tout en gardant une totale liberté et en maintenant un équilibre difficile de partage et d’extériorité. Equilibre que je ne saurais garantir seul et qui suppose, y compris sur un plan relationnel, que les membres du CLEPT acceptent ce double positionnement. Je ne suis pas un enseignant du CLEPT, un membre de l’équipe pédagogique et je ne me permettrai à aucun moment d’intervenir directement auprès des élèves. Je travaille avec les enseignants, c’est eux que j’observe, que j’écoute, avec lesquels j’inter réagis. Je n’ai pas de « contrat spécifique » mais j’essaie de répondre aux questions qui me sont posées et je fais part de mes propres questions. Ceci a été rendu possible par l’existence de l’association La Bouture qui prend en charge mes voyages et mes séjours, association dont je suis membre. Ceci me permet de n’avoir aucun lien contractuel avec le CLEPT en tant que tel et par conséquent d’avoir des liens plus ou moins étroits avec les personnes, de pouvoir tantôt dialoguer y compris en maintenant la possibilité d’une confidentialité totale, tantôt de m’adresser au groupe dans son ensemble.
La temporalité de l’accompagnement, a des conséquences évidentes : contemporain de la création du CLEPT, j’ai inévitablement des relations plus proches avec les anciens alors que les nouveaux enseignants me rencontrent en même temps qu’ils s’inscrivent dans les pratiques existantes mais en ayant chaque fois à définir le rapport qu’ils auront avec moi en fonction de leur désir et de ma disponibilité qui demeure réduite. Beaucoup plus qu’en termes de rationalité je crois qu’il faudrait décrire ma participation aux activités du CLEPT et, à travers lui aux autres institutions du réseau, en termes d’éthique de l’action partagée, plutôt que commune, avec ce que cela implique dans l’ordre du respect de la liberté de chacun, de l’acceptation de se laisser « altérer » par l’autre sans chercher à défendre son quant à soi et son identité et plus simplement en termes d’honnêteté et de fidélité (se faire confiance) réciproque. C’est l’acceptation de cette éthique avec ce qu’elle a d’exigence et simultanément de simplicité qui fonde le droit qui m’est reconnu et qu’en même temps je me donne de « m’autoriser » à intervenir y compris avec mes questions, mes doutes mes contradictions.

Guy Berger, professeur Émérite en Sciences de l’Éducation.