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Un réac peut en cacher un autre

Quand je naviguais à bord de l’Abeille Flandre, autour d’Ouessant, et que nous prêtions assistance aux bateaux qui abordaient ce qu’on nomme « le Rail », j’ai pu observer à quel point chaque situation réclamait de l’équipage un sens aigu de l’improvisation. Dans les cas les plus complexes, Carlos, le capitaine, faisait monter tous les hommes à la passerelle et chacun pouvait — et même devait — dire ce qu’il pensait de la situation, suggérer telle ou telle tactique. Sans considération de hiérarchie pyramidale. En mer, m’expliquait Carlos, la bonne manœuvre, finalement, c’est la manœuvre qui réussit.
Cette culture-là, cette culture qui réussit, est malheureusement décriée par une bonne partie de nos élites. Notamment lorsqu’il s’agit de l’école. Au lieu de s’appuyer sur le savoir-faire des maitres qui ont patiemment appris à enseigner, et de valoriser cette maitrise, l’idéologie actuellement au pouvoir ne cesse de décrier l’expérience et considère que la formation se résume en la possession de savoirs académiques — que l’on transmettra ensuite. L’élève est un contenant vide que le professeur doit emplir de sa science. Et, bien sûr, les jeunes enseignants n’ont nul besoin d’initiation pédagogique puisqu’ils ont atteint, en réussissant les concours, un état de transcendance ontologique qui leur suffit amplement.
Passons sur l’étroitesse culturelle, sur le manque d’ampleur d’une telle vision. L’agressivité contre la pédagogie est une spécialité — faut-il dire une anomalie ? — bien française. La valorisation des acquis de l’expérience, chez nous, c’est tout juste bon pour l’enseignement professionnel, pour les maçons qui sont rétifs aux mathématiques. Ainsi se ferme-t-on à mille sources de connaissance, à mille talents divers. Ainsi envoie-t-on au casse-pipe maints brillants esprits issus des classes prépas qui, sur un terrain nouveau et mouvant, se retrouvent, soudain, fort désemparés.
Il y a plus. Au discours réactionnaire habituel viennent se mêler d’étranges voix qu’on aurait cru d’une tout autre inspiration. Le style « gaucho réac ». On était habitué au langage du Snalc. On l’était moins à ce que d’ardents disciples de la vulgate révolutionnaire s’en viennent clamer urbi et orbi que la défense de l’agrégation et des classes préparatoires est l’alpha et l’oméga de la résistance au « libéralisme ».
Selon cette vulgate intransigeante, se réclamer de l’expérience, du savoir-faire, c’est se réclamer – plus ou moins explicitement – de l’esprit d’entreprise et de ses effroyables bidouillages. C’est se réclamer d’une culture du résultat intolérable et forcément funeste. L’ascenseur social consiste à propulser quelques élus aux portes de Normale supérieure, pas à chercher des passerelles entre le bac pro et le BTS.
Décidément, ces temps-ci, il faut se battre sur tous les fronts.