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Un ordinateur portable pour tous

L’État avait financé le plan « Informatique pour tous » (IPT) en 1985. Depuis les lois de décentralisation, ce sont les collectivités locales qui financent les grandes opérations d’équipement des établissements scolaires en nouvelles technologies. À l’heure actuelle, il existe en France en ce domaine au moins trois opérations de grande ampleur : Ordina 13 dans les Bouches-du-Rhône, Ordi 35 en Ille-et-Vilaine et « Un collégien, un ordinateur portable » dans les Landes[[Plus d’informations sur www.ac-bordeaux.fr/landes/et www.landesinteractives.net.]]. Dans les trois cas, en fonction de leurs prérogatives, ce sont les conseils généraux qui ont équipé les collèges et les collégiens.

Dans les Landes

Cette action a été mise en place en 2001. Depuis cette date, plus de 20 000 collégiens de 3e et 4e ont eu accès à un ordinateur portable.
La première année fut d’une phase de test qui ne concernait que trois établissements sélectionnés parmi les trente-deux du département et seulement des élèves de 3e.
Depuis lors, deux nouveaux collèges ont été construits et le prêt d’ordinateurs a été étendu aux élèves de 4e. À l’heure actuelle 264 classes sont donc équipées ainsi que quinze classes de Segpa.
La phase de test concernait environ 400 élèves et une centaine d’enseignants (vie scolaire et direction incluses). Maintenant ce sont plus de 8 500 ordinateurs qui sont prêtés chaque année (dont 7 000 aux élèves).
Dans la première phase, l’ordinateur était équipé avec des manuels numériques de qualité variable. Les deux plus classiques, histoire et SVT, étaient des outils spécifiques, les autres avaient été construits de façon rapide. À l’heure actuelle les machines sont principalement équipées de manuels de langues. Élèves et enseignants ont aussi à leur disposition des ressources pédagogiques, accessibles pour certaines uniquement au sein des établissements scolaires. Ces machines sont également équipées de nombreux logiciels de type bureautique (traitement de texte, tableur…), permettant le traitement graphique (images 2D/3D…), documentaires (atlas, dictionnaires, encyclopédie…), multimédia (lecteur, encodeurs, convertisseurs…), ou encore d’utilitaires (antivirus, détecteurs de logiciels espions…). Le coût de telles machines était au départ de l’ordre de 1 500 euros, elles sont actuellement à 550 euros environ.
L’opération ne se limite pas à un prêt d’ordinateur portable. En effet, le conseil général des Landes, avant le début du processus, avait procédé à une phase de câblage des collèges. Ainsi, quasiment toutes les classes de ces établissements sont désormais équipées de bornes qui permettent à chaque élève de se connecter au réseau (Intra et Internet) à l’aide d’une prise réseau (RJ 45) mais aussi de recharger les batteries de son ordinateur via une prise électrique. Chaque enseignant doit à tout moment être en mesure d’utiliser ce matériel en classe à l’aide d’un vidéoprojecteur. À l’origine, douze de ces matériels avaient été distribués dans les établissements, il y en a maintenant 400.
D’autres outils ont été introduits au départ de façon anecdotique mais leur utilité dans les usages pédagogiques ne fait maintenant plus débat, il s’agit des tableaux interactifs (plus de 110 à l’heure actuelle). Ce sont des sortes d’écrans tactiles de la taille d’un « tableau blanc » qui permettent à l’enseignant de piloter son ordinateur depuis le tableau (il n’a plus à se placer derrière sa machine). Mobiles au départ, ce qui imposait un temps d’installation important, ils sont maintenant souvent placés à demeure dans des salles.

Et les usages…

L’éternelle question qui se pose dans le cadre du développement d’une technologie de cette ampleur concerne les usages qu’en font les enseignants et les élèves, en d’autres termes l’impact d’une telle politique.
Une première série d’enquêtes (qualitatives et quantitatives) a montré[[Hervé Daguet, Alain Jaillet et Xavier D’Aleo, 2002, Un collégien, un ordinateur portable, ULP multimédia – laboratoire des sciences de l’éducation, université Louis Pasteur de Strasbourg et Hervé Daguet et Alain Jaillet, 2002, Quels modèles pédagogiques pour un cartable numérique ?, VIe biennale de l’éducation et de la formation, Paris.]] que les élèves adoptaient de nouvelles pratiques communicationnelles. Une étude comparative effectuée sur 800 collégiens équipés (50 %) et non équipés (50 %) a ainsi montré une augmentation de ces usages entre le début de l’année et la fin de l’année scolaire. D’une façon générale, et cela a été confirmé dans les communications proposées au colloque de Moliets-et-Mâa, les collégiens quittent la classe de 3e en étant des utilisateurs confirmés d’ordinateurs et d’Internet.
En revanche, sur les usages pédagogiques, le chercheur ne peut donner qu’une réponse circonstanciée. Si l’on se situe dans une perspective historique, en partant des usages des lanternes magiques (xixe) pour aller jusqu’au xxie siècle avec les technologies mobiles à l’école, les travaux ont toujours montré que les nouvelles technologies mettaient un temps plus important à s’intégrer à l’école que dans la société civile.
Nous avions déjà pu dresser en 2002 des typologies d’usages chez les enseignants qui semblent encore être d’actualité.
– Les technophiles : ce sont des enseignants qui ont décidé d’intégrer pleinement les TICE dans leurs pratiques pédagogiques. Les plus avancés vont jusqu’à supprimer le manuel scolaire et proposer l’ensemble des séquences numérisées, telle cette enseignante de mathématiques qui avait construit un site Internet regroupant toutes ses ressources pédagogiques. Un enseignant d’histoire-géographie nous a montré, à Moliets-et-Mâa, qu’il était possible de reconstituer tout le programme en utilisant des ressources qu’il avait lui-même créées.
– Les consommateurs : ceux qui savent mettre à profit les ressources pédagogiques qui leur sont proposées, tels les utilisateurs en 2001 des manuels électroniques d’histoire-géographie et de SVT. Maintenant on trouve également les enseignants de langues qui disposent de ressources vidéo complémentaires à utiliser en classe et à la maison.
– Les découvreurs : comme leur nom l’indique ils intègrent très progressivement ces technologies et continuent à utiliser très majoritairement une pédagogie qui n’a pas recours aux TICE. Nous avons pu ainsi observer parmi cette cohorte des enseignants qui se servent de façon épisodique de batteries d’exercices en arrivant à une phase d’« application » dans un apprentissage.
– Les résistants : ils ne souhaitent pas utiliser ces technologies en classe, et ce ne sont pas forcément les enseignants les plus âgés. En effet, un expert dans sa discipline et en pédagogie a généralement plus de temps à consacrer à l’adaptation de nouveaux instruments à sa pratique professionnelle qu’un jeune enseignant sortant de l’IUFM.
Enfin, des données classiques de recherches sur les usages des TIC ont aussi été confirmées sur ce terrain. Ainsi, dès les années 1990, notamment en lien avec des recherches comparatives qui ont été effectuées France/Québec sur la « bureautique professorale » il avait été observé que même si l’enseignant intégrait de plus en plus les TIC dans les phases de préparation de cours (sujets d’examens, polycopiés, création de ressources…), les usages informatiques lors du face à face pédagogique restaient proportionnellement moins importants[[N.D.L.R. : Pour de plus amples analyses, voir le dossier des Cahiers pédagogiques « Le numérique à l’école », n° 446, octobre 2006.]].
Dans le plan Informatique pour tous, il existait des éléments contestables mais on peut penser qu’il ne subsistera dans l’avenir que la représentation de l’opération novatrice qui a permis de faire entrer dans les écoles des technologies innovantes. Peut-on maintenant se demander si en 2021 on se souviendra encore de l’opération « un collégien, un ordinateur portable » ? L’innovation d’hier ne sera-t-elle pas devenue la normalité de demain ?

Hervé Daguet, université de Rouen.