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Un nouvel horizon… et non un ancien déguisé en nouveau !

Nous avons lu avec attention le document du Ministère proposant des discussions sur la redéfinition des objectifs de l’école primaire et l’aide aux élèves en difficulté notamment.
Certaines affirmations et propositions nous satisfont, et nous espérons qu’elles auront une concrétisation :
– Il faut diminuer le taux d’échec à l’école primaire, et cela ne passe aucunement par le redoublement qui, lui aussi, doit diminuer. Le ministère reconnaît cependant que la réussite scolaire reste tributaire des inégalités sociales, puisqu’elle « ne doit plus l’être ». Nous sommes satisfaits de constater qu’on cesse d’accuser telle ou telle méthode de lecture, telle ou telle manière d’enseigner comme responsable de l’échec. Mais il faut travailler sur de vraies alternatives au redoublement, peu présentes dans ce texte de cadrage.
– L’idée d’examen à l’entrée en sixième est nettement écartée, ce qui nous rassure sur la pérennité du collège dit « unique ». Il ne faudrait cependant pas qu’il soit réintroduit à travers l’idée de « stages de remise à niveau » dont il faudra bien préciser le statut.
– L’idée que les choix pédagogiques ont des conséquences sur l’apprentissage des élèves est juste, même s’il reste à travailler sur ce que signifie vraiment la « liberté pédagogique » qui ne doit pas signifier absence de pilotage et de direction claire.
– Il est question de maîtres surnuméraires dans les endroits aux besoins plus importants et de concentration des moyens : cela peut être effectivement une piste féconde, à condition que ce ne soit pas du saupoudrage.

Mais sur d’autres points, nous devons faire part d’inquiétudes fortes devant certaines affirmations ou devant le silence sur des points essentiels :
– Certes, il est bon de mettre la priorité sur les apprentissages fondamentaux, mais cette expression est une auberge espagnole. Est-ce que la maîtrise de la langue française passe par davantage de « cours de grammaire » dont l’inefficacité est pourtant avérée ou par une réelle mise en pratique du travail systématique sur la langue à l’occasion d’activités variées. Dire qu’il ne faut pas de « détours inutiles » nous inquiète, car précisément, la pédagogie est l’art du détour, et il faut former les enseignants du primaire à mieux articuler l’indispensable pédagogie du projet, la transversalité avec des apprentissages essentiels, ce qui n’est pas toujours facile. Augmenter le temps consacré au travail sur la langue, oui, pourquoi pas, si ce travail se fait aussi à travers des activités mathématiques, artistiques ou scientifiques. Non au détour inutile, d’accord, mais oui au détour utile !
– Certes, il faut séparer « le temps des apprentissages et le temps de l’accompagnement éducatif », et il existe ici ou là des dérives de l’animation à tout-va, sans projet d’apprentissage. Mais plutôt que de séparer, mieux vaudrait travailler davantage sur l’articulation des temps différents : la lutte contre l’échec passe au contraire par l’établissement de liens forts entre le scolaire et le non-scolaire, entre le travail en classe et en dehors de la classe. Or, le texte ministériel semble le nier et réduire l’apprentissage scolaire à des activités détachées de tout contexte, ce qui empêchera les élèves les plus en difficulté de trouver du sens à l’école.
– On est étonné de voir si peu de mention du « socle commun », dont la partie 7 prônant autonomie et esprit d’initiative doit être au cœur des préoccupations d’une école primaire rénovée, quand on sait combien les enfants issus des classes populaires manquent d’autonomie justement (ce qui n’est pas du tout pointé).
– L’insistance sur les évaluations nous inquiète également, en ce sens qu’elle est trop exclusive et ne met en avant qu’un type d’évaluation, standardisée, dont il faut reconnaître les limites. Y aura-t-il une vraie réflexion sur les livrets de compétences qui pourraient proposer une autre logique que les QCM ou les notations standardisées ?
– Le point précédent renvoie aussi à un autre manque grave : le silence sur la formation des enseignants. Celle-ci n’est envisagée que sous l’angle de la solution à d’éventuelles « difficultés professionnelles » alors même que la mise en œuvre de la problématique du socle commun nécessite au contraire une réelle formation continue, active et en lien avec le collège, un accompagnement fort, pour mieux comprendre l’esprit des programmes, ceux-ci étant faits pour les élèves et non pour les professeurs.
– Qu’on décide de donner une priorité à l’aide aux élèves en difficulté et de consacrer du temps à ceux-ci est plutôt positif. Mais est-ce uniquement en les isolant, en les mettant à part lors de temps spécifiques, qu’on y arrivera ? On est un peu surpris de ne pas voir cité l’outil PPRE, mais il faut ici préciser que les programmes personnalisés de réussite éducative concernent , pour ceux qui en bénéficient, tout le temps scolaire, et pas seulement des plages réservées. Rien n’est dit sur la nécessité de mettre en place une pédagogie différenciée dans la classe hétérogène, qui là aussi, demande une formation.
– Vouloir que les programmes soient lisibles par les parents peut être positif s’il s’agit de fournir des efforts pour une meilleure communication, pour plus de transparence. En revanche, on peut craindre une certaine démagogie si l’on veut confondre des documents grand public avec des textes forcément professionnels, pas lisibles directement par tous. Ne voit-on pas resurgir la tentation du retour au « bon sens » et à une école d’autrefois que les parents connaitraient et qui rassurerait sous couvert de mots « simples » ? Pour notre part, nous tenons à séparer les outils publics et les textes pour les professionnels.

Il y a , effectivement à « changer l’école primaire » Mais selon nous, cela passe par :
– un effort de formation, d’accompagnement des enseignants, dans le cadre de la mise en place du socle commun, des livrets de compétence, de la généralisation des PPRE, etc.,
– une vraie volonté, enfin, pour mettre en place des cycles, avec pratique de la pédagogie différenciée,
– une avancée dans la liaison avec le collège, qui va de pair avec la réflexion engagée sur le nouveau métier d’enseignant. On peut favoriser les rencontres, les échanges de service,
– une valorisation des « bonnes pratiques » qui passe par la multiplication des lieux de diffusion (il faut réactiver un comité national de diffusion des innovations, les universités d’été, mettre en place des forums académiques présentiels ou virtuels, développer une vraie culture pédagogique, qui passe aussi par des lectures..)
– une réflexion de fond sur le temps scolaire, à l’occasion de la libération du samedi matin (plus de diversité, de l’imagination, plus de souplesse),
– un encouragement au travail d’équipe qui seul peut permettre une cohérence dans les enseignements et inviter à la réflexion sur les démarches à adopter , etc.