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Camille Besse : « Un dessin de presse, c’est un contenu éditorial fort »

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Camille Besse livre depuis quelques mois dans chaque numéro des <em>Cahiers</em> un dessin de presse qui chahute. Elle nous raconte l’école, son métier, qu’elle a commencé à Charlie et qu’elle défend jusque dans les classes où l’on n’était pas toujours Charlie en 2015.
C’était comment, l’école, pour vous ?

J’en garde un souvenir ennuyeux et violent. Les gamins entre eux sont violents, mais l’école l’est aussi. On enferme des mômes plusieurs heures par jour, assis sur des chaises. Franchement, c’est bizarre comme mode d’éducation ! Et puis c’est très élitiste. En primaire, il y avait tout un rituel pour les bulletins trimestriels : la directrice venait dans la classe et appelait les enfants dans l’ordre inverse des résultats. C’était ultrahumiliant ! Pourquoi on note encore les gamins ? Nos voisins du Nord arrivent bien à ne pas noter, eux !

Je me suis beaucoup ennuyée à l’école et je ne me rappelle pas ce que j’ai appris. Combien d’heures j’ai perdu à apprendre des trucs en histoire ! Est-ce que ça n’aurait pas été bien plus efficace de m’emmener voir des tableaux, un château fort ? Aujourd’hui, je suis incapable de situer un roi de France à trois siècles près. Ce que je sais vient de mes cours d’histoire de l’art au lycée et ensuite. J’étais une quiche en grammaire, je reste aujourd’hui incapable de citer un temps ; j’étais une superquiche en géographie. Les maths, en revanche, ça n’allait pas trop mal.

Pourtant, j’étais une excellente élève, j’avais toujours de très bonnes notes, je savais tout par cœur le jour du contrôle. Mais je me suis empressée de tout oublier. J’ai eu un bac littéraire option arts plastiques à 17 ans, avec mention. Je suis rentrée deuxième à l’école Olivier-de-Serres avec 23/20. J’ai fait une année à l’école des Gobelins, puis les Arts-Déco à Strasbourg.

Et vous êtes devenue dessinatrice de presse.

Oui, mais on ne devient pas dessinatrice de presse en allant à l’école. Il y a des parcours rigolos autour de moi, par exemple d’anciens ingénieurs. La jeune génération a un peu plus tendance à venir d’une école d’art. Je crois qu’on devient dessinateur de presse en aimant dessiner et en ayant quelque chose à dire. Il y a souvent une fibre militante, en tout cas engagée : ça va avec le fait d’avoir des choses à dire. De fait, les journaux qui publient des dessins de presse sont des journaux avec des lignes éditoriales fortes. Un dessin de presse, c’est un contenu éditorial fort. Mais dans un contexte morose, pour ne pas dire moribond, de la presse papier, on essaye d’avoir un public le plus large possible, pour avoir le plus d’annonceurs possible, et on dégage tout ce qui est susceptible d’éloigner des lecteurs.

Parmi mes thèmes de prédilection, certains me sont naturels, d’autres sont venus par les canards avec lesquels je travaille. Je ne sais pas si j’aurais autant traité le féminisme sans Causette. Mes deux thèmes principaux, ce sont les inégalités sociales et l’écologie. Mais tout est lié et je regrette que ces questions soient si peu traitées de manière transversale. Il y a des journalistes spécialisés dans les questions sociales, dans les droits des femmes ou l’environnement, mais on ne peut pas parler des droits des femmes ou d’écologie sans parler d’économie !

Je travaille aujourd’hui pour Marianne, L’Humanité, Causette, Phosphore, Pèlerin magazine, etc. À première vue, le Pèlerin, ça ne colle pas du tout avec le reste ! Ils sont venus me chercher, ça m’étonne encore. Ils me commandent des dessins sur des sujets qui ne sont jamais politiques. C’est un exercice intéressant d’être aux avant-postes de l’ouverture éditoriale : j’ai beau m’attaquer à des sujets pas sensibles du tout politiquement, j’essaye de mettre un tout petit peu de poil à gratter, en dessinant des couples homosexuels, par exemple. Ils s’ouvrent, j’encourage peut-être cette ouverture-là. Mais il m’est arrivé de refuser des sujets quand je sais qu’on ne va pas être d’accord. Et je viens de faire pour le Secours catholique une bande dessinée pour la prison ouverte et contre l’incarcération : il n’y a pas beaucoup de médias où on m’aurait proposé ça !

L’éducation, c’est un thème difficile à traiter ?

Pas plus que le reste. Je ne l’ai jamais considéré comme un sujet en tant que tel, plutôt comme quelque chose de transversal. C’est la base, ça recouvre toutes les problématiques et on y revient tout le temps. Les problématiques sociales sont très souvent liées à l’éducation, comme les inégalités homme-femme. Et puis, je dessine très souvent des enfants, c’est un bon moyen d’expliquer les problèmes, en remontant à la genèse de la connerie humaine. Ce qui est intéressant c’est ce qu’on leur raconte, aux enfants, comment on les construit, quel modèle on leur propose.

Peut-être qu’en travaillant avec vous et en devenant parent moi-même, ça va devenir un sujet.

Et vous retournez à l’école…

Oui, j’ai fait beaucoup d’interventions en classe, entre 2015 et 2018, j’en fais un peu moins aujourd’hui. Je me suis parfois retrouvée dans des classes où il n’y avait aucun enfant blanc. Un signe des inégalités grandissantes. L’école est le reflet de la société, généralement. C’est révoltant, déprimant.

Ces interventions se passent très bien. Ça a été un peu compliqué dans certains coins en 2015, sachant que je venais de Charlie, il y avait énormément de méfiance. Mais à force de discuter, on finit par s’entendre et se comprendre et tout est bien qui finit bien. Ils font de beaux dessins de presse. Oh ! là ! là ! oui, ils ont des choses à dire ! Les filles parlent d’inégalités filles-garçons, tous parlent de racisme, de violences policières, et aussi des youtubeurs. Je suis allée à Montreuil, dans les quartiers nord, juste après l’affaire Adama, les gamins étaient très marqués, se sentaient très concernés. On sent que ça fait partie de leur quotidien, les violences policières. Si ce n’est pas eux, c’est leur grand frère.

En 2015, on a beaucoup mis l’accent sur ces gamins qui n’étaient pas Charlie, comme s’ils étaient infoutus de comprendre ce qu’est la satire. Qui s’est donné la peine de leur expliquer ? Lors de mes interventions, j’essaye de leur donner les moyens de comprendre ce qu’on leur dit pourtant, qu’ils ne sont pas capables de comprendre. Je commence par leur dire qu’on ne sera pas d’accord à la fin, mais que ça n’est pas grave, qu’on va s’écouter, comprendre les positions de chacun, dans le respect. Ça s’est toujours très bien passé, même avec ceux qui étaient superrevêches. Je me souviens d’une gamine qui se tournait contre le mur, la tête dans l’écharpe pour ne pas me voir. À la fin, c’est elle qui a fait le meilleur dessin, elle était dégoutée quand je le lui ai dit. Je lui avais dit : « T’as la haine, dis-le ! » Elle était partie du sujet que j’avais donné, les inégalités entre filles et garçons. Elle avait vraiment la rage, ça a donné un dessin très rageur mais hyperefficace.

Propos recueillis par Cécile Blanchard


article paru dans notre n°552, Les dys dans la classe, coordonné par Nicole Bouin et Emilie Pradel, mars-avril 2019.

L’accueil des élèves présentant des troubles des apprentissages, dont les dys, ne va pas sans difficultés au quotidien pour les enseignants. Notre dossier propose des éclairages de chercheurs sur ces troubles et donne la parole aux praticiens de terrain, aux parents, aux anciens élèves dys, aux médecins, aux associations.

https://librairie.cahiers-pedagogiques.com/revue/757-les-dys-dans-la-classe.html