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Un bac pour gommer la frontière

Il est devenu enseignant après avoir été tenté par la recherche, fait un détour par l’ingénierie mécanique en Allemagne, le pays où il vit désormais. Enseigner dans un lycée franco-allemand semble naturel pour lui qui dit vivre « franco-allemand tous les jours », est marié avec une allemande et a étudié dans un lycée du même type à Buc, du côté de Versailles. La langue lui est depuis toujours familière, venue de son grand-père juif devenu apatride pour échapper au régime nazi. « Aujourd’hui, je suis français, européen convaincu et je pense de plus en plus à prendre la double nationalité allemande pour pouvoir voter dans ce pays. »

Avant d’arriver à Sarrebruck, il a enseigné à Creutzwald en Moselle, dans un collège proposant un enseignement bi-culturel. Il a appris la pédagogie sur le tas et sur Twitter. En 2010, lorsqu’il a réussi le concours, l’IUFM n’existait plus et les ESPE pas encore. « Twitter a beaucoup façonné ma façon d’aborder le métier avec plusieurs approches. » Il a, dit-il, l’impression de ne rien faire d’extraordinaire, juste de tenter de nouvelles choses en s’inspirant de ce qu’il lit, voit. « En maths, j’ai beaucoup délaissé la partie magistrale pour me tourner vers des traces écrites plus précises comme les cartes mentales. J’aime beaucoup les problèmes dits ouverts, laisser l’initiative aux élèves. »

Avec ses classes de 6e, il teste les dialogues inventés, une méthode où l’élève raconte par écrit pour un autre comment résoudre un problème, décrit ce qu’il sait, le comprend encore mieux en l’expliquant. Il se régale à lire ces dialogues où un grain d’humour visite de temps à autre les propos. Cela l’ouvre aussi à d’autres disciplines, d’autres méthodes pédagogiques. Il apprécie le travail partagé comme avec ce collègue de français avec qui il a formé des veilleurs numériques pour prévenir le harcèlement et développer des bons usages. Une dizaine d’élèves de 4e et de 3e ont été formés pour devenir à leur tour des formateurs de leurs pairs.

Téléphone portable

Avec les classes de première, il utilise beaucoup le téléphone portable, une pratique initiée avec elles l’an passé. En seconde, il n’avait pas préconisé l’achat de calculatrice, préférant rechercher avec les élèves les fonctionnalités utiles, réfléchissant du même coup aux utilisations efficientes d’Internet. Il favorise l’entraide en classe, une classe qu’il qualifie de « ruche qui fourmille » où les élèves se lèvent, échangent, comparent leurs résultats. « Ce n’est pas toujours facile au niveau du bruit, il faut aussi lâcher prise et leur faire confiance. »

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Certes, le contexte du lycée franco-allemand est particulier, avec des classes qui vont du CM2 à la terminale, des élèves sélectionnés et des programmes spécifiques construits par les enseignants des trois lycées de ce type existant en France et en Allemagne. Il constate la différence avec le collège de Creutzwald classé en Réseau d’éducation prioritaire peu après son départ, mais pose le même principe : « Je reste convaincu qu’un élève est un élève et qu’ils sont tous capables. Mais, iIs n’arrivent pas tous avec le même poids, selon ce qu’il se passe à la maison. » Ce qu’il fait ici en 45 minutes tenait difficilement dans les 55 minutes de cours là-bas.

Son métier, il aime l’exercer dans les deux contextes : là-bas car il se sentait plus utile, avec des questions pédagogiques plus acérées ; ici, car il est plus aisé de mettre en place de nouvelles choses. Il considère son milieu d’enseignement privilégié avec des lycéens informés, habitués à débattre sur les sujets d’actualité, prompts à vouloir comprendre les consignes, les raisons qui préludent à une activité. Ils viennent des deux côtés de la frontière, avec des parcours différents, une sélection intrinsèque au système scolaire pour les Allemands, et une sélection liée au niveau et à la motivation pour les Français.

Enseignants des deux pays

Les cours sont dispensés par des enseignants des deux pays, en proportion égale. Ce partage est une opportunité de conjuguer deux approches différentes. « Les professeurs allemands sont formés à la pédagogie. Elle fait partie de leur cursus tout comme la didactique. Ils enseignent dans deux disciplines. »

Il y a trois ans, un groupe de travail a réfléchi sur la façon de favoriser l’enseignement en langue étrangère puisque dans chaque classe, à partir de la quatrième, une partie des élèves n’a pas la même langue maternelle que l’enseignant qui anime le cours. Un travail par matière en binôme franco-allemand a été préconisé avec des échanges d’évaluation qui ont amené des échanges sur les pratiques pédagogiques. L’idée de favoriser l’expression orale et écrite sans sanctionner la forme, pour éviter l’autocensure, a été adoptée ainsi que celle de varier les supports pédagogiques, de proposer des méthodes alternatives d’évaluation et de différencier. Des glossaires ont été écrits dans certaines disciplines. Une charte a été rédigée et mise en ligne avec des conseils pour les enseignants, des principes généraux de pédagogie. « Il faut une certaine flexibilité. En maths, on n’écrit pas pareil certaines choses, des exercices ne sont pas résolus de la même façon. Donc si tu passes derrière un collègue allemand, il faut le prendre en compte. Accepter plusieurs façons de faire est une nécessité. » Pour lui, les principes énoncés pour le lycée franco-allemand pourraient tout aussi bien s’appliquer en France. « A-t-on les mêmes codes et référentiel que les élèves ?, Souvent, non. »

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Partage

Créés en 1972, dans un premier élan de coopération entre les deux systèmes éducatifs, les lycées franco-allemands sont régis dans une approche binationale et biculturelle. Le bac franco-allemand a à la fois valeur de baccalauréat et d’abitur, reconnu par les universités des deux pays. L’écriture des programmes et des épreuves d’examen est elle-même l’illustration de la coopération entre les deux systèmes. Les établissements sont sous l’égide de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), une agence soumise à des restrictions budgétaires qui amènent des restrictions de postes. Le recours accru à des contractuels locaux risque de fragiliser la mise en œuvre d’un enseignement binational avec l’écriture commune de programmes réalisée avec une parité parfaite entre enseignants allemands et français.

Engagé syndicalement, Adrien Guinemer constate ces inquiétudes dans les autres lycées français de Vienne, de Budapest ou encore de Varsovie. « La grève du 27 novembre a été très suivie y compris par des gens qui ne font jamais grève. »
Il s’engage aussi pour partager les fruits de ses découvertes pédagogiques à travers son blog. Il prépare activement le volet numérique du prochain numéro d’« Au fil des maths », la revue de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public (APMEP). Il parle d’activités plutôt que d’engagements, constate, ravi, en guise de conclusion leur cohérence. Apprendre, partager la pédagogie pour enseigner de façon accessible à tous les élèves, quelque soit le côté de la frontière, n’est-ce pas alors le fil rouge de ses activités ?

Monique Royer

Le blog d’Adrien Guinemer
https://adrienguinemer.wordpress.com/