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Trois conférences, et de la bienveillance

Jean-Michel Zakhartchouk, professeur de français honoraire et membre du CRAP-Cahiers pédagogiques, a ouvert le colloque par une conférence intitulée «Apprendre à apprendre : composante essentielle de la médiation». Une source de difficulté étant la maitrise des codes de l’école, il a balayé à partir d’exemples concrets différents axes à prendre en compte. Il importe ainsi de travailler l’attention en précisant l’objet de l’attention, en entraînant à la création d’images mentales (visuelles, verbales) du bon objet de l’attention. Travailler la mémorisation est bien plus complexe que ne le laisse penser les discours réactionnaires la réduisant à la seule répétition quand ce n’est pas la vaine injonction.

Cela passe par l’entraînement de la mémoire à court terme (voir la vidéo de Sylvie Cèbe, sur le site de l’Ifé, consacrée au travail de copie qui n’est pas aussi simple qu’on le croit) et par l’entraînement de la mémoire à long terme à travers la structuration des informations. Un troisième axe doit permettre de comprendre le sens des consignes afin de faire percevoir les contrats didactiques. La bonne consigne n’est pas forcément celle qui permet de réussir mais celle qui met en travail d’où la nécessité d’une école bienveillante pour que les échecs provisoires soient compris comme un jalon dans un apprentissage.

Jean-Michel Zakhartchouk au colloque de la FNAME

Jean-Michel Zakhartchouk au colloque de la FNAME

Il faut aussi former des élèves stratèges : comprendre, c’est choisir la bonne stratégie, identifier ce qu’il faut inhiber (voir les travaux de Olivier Houdé), savoir s’autoévaluer, savoir ce qu’est un critère, varier les tempos, décoder les malentendus.

Trois cerveaux ?

La deuxième conférence à laquelle j’ai assisté était intitulée «Comment la communication peut faire obstacle aux apprentissages», par Sophie Benkemoun, docteure en médecine, fondatrice des Ateliers parents, et Nadège Larcher, psychologue et formatrice. L’intervention reposait sur la théorie des «trois cerveaux». Le cerveau archaïque a pour fonction d’assurer notre survie physique et psychologique et dispose de trois programmes : fuir, combattre, se figer pour se cacher. En cas de stress intense, le cerveau archaïque met en œuvre un de ces programmes. Le cerveau émotionnel permet un traitement des informations qui est toujours influencé par nos émotions et son lien direct avec notre mémoire à long terme teinte donc celle-ci d’émotions. Le cerveau supérieur est le centre de l’analyse, de l’attention, des fonctions exécutives supérieures (inhibition, planification, mise à jour), du sens moral, de l’empathie. Il ne parvient à maturité qu’autour de 25-27 ans.

Les informations sont traitées dans le cerveau selon un système uniforme de priorité : d’abord la survie, puis les émotions, enfin les apprentissages. Les objets d’apprentissages ne sont pas considérés comme questions de survie.

Nos interventions même bienveillantes sont souvent maladroites. La prestation des conférencières a été très appréciée parce que, à l’aide de saynètes, elles ont su montrer comment distinguer la personne (dont l’estime de soi est en danger) et le problème, le comportement. Elles préconisent d’utiliser la description pour les reproches comme pour les compliments (les compliments superlatifs créent de la dépendance, les compliments évaluatifs donnent le sentiment d’un univers binaire : on sait ou on est bête), la description permet de décorréler la note de sa propre valeur. Ainsi sera préservée l’estime de soi qui permet d’apprendre à échouer pour ne pas échouer à apprendre.

Jérôme Bosch, Freud et l’empathie

La dernière conférence à laquelle j’ai assisté est celle de Martine Lacour, docteure en psychologie et membre de l’Agsas (Association des groupes de soutien au soutien). Celle-ci s’est attachée à montrer la complexité du concept d’empathie par une définition en référence à la psychanalyse et la pédagogie à travers le concept d’Einfulung qu’on peut illustrer à travers le film Le Mystère Jérôme Bosch : chaque spectateur voit le tableau à travers ses préoccupations et son expérience.

«Nul ne peut être éducateur que s’il sent de l’intérieur ce que ressent l’enfant», disait Freud (1913). L’empathie permet de se mettre en position de réfléchir à ce qu’il pense, sent, fait. C’est une identification passagère, non une fusion, pour comprendre ce qui nous est étranger. Cela passe par un mouvement psychique à trois temps : accueillir, comprendre, agir-accompagner. Comme l’avaient démontré les intervenantes précédentes, accueillir l’autre ce n’est pas d’abord chercher à comprendre en questionnant. Une parole d’accueil est une parole de constat qui libère l’expression par la reconnaissance.

La bienveillance s’accompagne d’exigences parce que l’autre est considéré comme un interlocuteur valable. Ainsi s’ouvre la perspective d’un mode de relation qui donne à l’autre sa place de sujet en évitant de le confiner dans des attentes, des attitudes, des besoins pré-établis, grâce à un regard qui ne juge pas mais construit du futur.

Dominique Seghetchian
Professeure de français en collège et formatrice