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Maya Goret : « Transmettre, pour moi c’est naturel »

Mara Goyet © Arnaud Février pour Flammarion

Mara Goyet © Arnaud Février pour Flammarion

Mara Goyet © Arnaud Février pour Flammarion

<em>Collèges de France</em> est paru il y a un peu plus de dix ans. Il avait soulevé des réactions vives, notamment de la part des Cahiers pédagogiques. Mara Goyet vient de publier un nouveau livre et nous l’invitons pour un entretien. Mais que s’est-il passé pour elle en dix ans ?
Avec le recul, que diriez-vous de votre premier livre et de cette époque ?

L’écho de ce livre dans les médias m’a prise de court. Ç’a été rude et formateur. J’ai été étiquetée, critiquée, mais aussi très soutenue. Dans l’ensemble, que ce soit en bien ou en mal, ce livre a été lu de manière partielle et partiale. Beaucoup m’ont apparentée aux discours nostalgiques. Je crois être plus libre que ça, même si la lecture d’auteurs comme Alain Finkielkraut a été, à l’époque, une forme de béquille. Mon premier livre est simplement un livre de jeunesse, avec des hésitations à chaque page. J’ai vécu un choc en devenant enseignante. J’assume ce choc, je le trouve salutaire. On a beau savoir, on a beau avoir lu, enseigner, être responsable des élèves, c’est une autre affaire. Surtout en zone d’éducation prioritaire. Ceux qui commencent leur carrière placidement, sans ressentir ce choc, sont soit blasés soit inattentifs. J’ai voulu décrire ce moment qui relève tout autant de la consternation que de bonnes surprises, notamment sur la formidable curiosité des élèves. Ce livre est pétri de doutes.

Dix ans après, à lire votre blog par exemple, à vous écouter aussi, on a parfois l’impression d’une autre Mara Goyet.

J’ai cessé de douter à tout bout de champ, j’ai vieilli, eu des enfants, j’ai une vision plus précise et nette de la classe comme tout enseignant pas trop sectaire ou borné. Et j’ai toujours écouté les critiques aussi : si quelque chose me parait juste, je le prends. Avec des tels débuts, j’aurais pu figer ma vision des classes. C’est ce qu’on attendait de moi. Mais au contraire, cela m’a donné envie d’être le plus juste possible. J’ai très envie de savoir ce que je vais découvrir maintenant. Dès la première minute où j’ai fait cours, j’ai su que j’y étais chez moi. La relation avec les élèves, quand je me laissais faire, ça marchait. Par contre, quand je voulais correspondre à une image de professeur hussard, ou entrer dans des protocoles, quand je voulais me ranger sous tel ou tel auspice, ça crissait dans tous les sens.

Comment êtes-vous entrée dans ce métier ?

Je n’ai jamais vraiment imaginé autre chose. J’ai beaucoup reçu, de manière drôle, inventive, ludique. Alors transmettre, pour moi c’est naturel. Je suis très attachée à la tradition, à l’érudition, ce qui ne m’empêche pas de penser qu’il est tout simplement inepte de ne pas être attentif au monde dans lequel nous vivons, aux élèves tels qu’ils sont. Enseigner, c’est un art du mélange, entre le trivial, le quotidien, le banal et le sublime. À force de bricolages en tout genre, on progresse, on sait quel professeur on veut être et ce qu’on est venu faire en classe. Mais il faut connaitre les élèves, sinon on enseigne à vide, pour se faire plaisir, pour faire joli. Ce sont les grands oubliés, on se sert très peu de leurs références, de leurs mondes des réseaux, de leurs séries. Tout ça m’amuse beaucoup.

Je ne m’ennuie jamais en classe, je fais cours et j’observe, les élèves, la classe, moi. Ce n’est pas narcissique, c’est un récit personnel de l’éducation. Après tout, le professeur est aussi en classe, non ? Je cherche à dénicher un point de vue d’où l’on comprendrait un peu mieux ce qui se passe autour de nous, histoire de trouver des solutions.

Qu’est-ce qui compte pour l’enseignante que vous êtes devenue ?

Je continue d’abord de chercher où est ma responsabilité, ce à quoi et de quoi je dois répondre. Je n’ai jamais senti d’aussi près le poids de cette responsabilité : dans un collège relativement favorisé comme le mien, on voit nettement ce que l’on a réussi ou raté, on a l’impression que ça dépend directement de nous, on n’est pas écrasés par les problèmes sociaux, de violence, etc. Comme la ZEP, ça oblige à innover.
Ma devise, c’est « ferme et souple ». Pour moi, l’enseignant est à la fois une figure érudite et cool, fervente et bienveillante, batailleuse et douce. Un mélange de Roland Barthes et de Lara Croft, en somme !

Et puis j’ai une idée fixe : je ne veux pas que mes élèves s’ennuient dans la vie. Je voudrais qu’ils remplissent la modernité d’intérêt. Alors je leur montre ce qui les entoure, les connexions avec le passé, je veux leur apprendre à voir la profondeur de la banalité. Mais tout ne passe pas par des mots. Les élèves nous regardent : c’est important de donner soi-même une image heureuse et épanouie du savoir. Important de rire aussi. Et puis d’être direct, authentique. C’est un état agréable : je suis certaine que la culture est solide, je n’ai pas peur pour elle, du coup je suis moins crispée. Je n’ai pas peur pour moi non plus : j’ai pigé où était la grandeur de l’enseignement. Pas dans les postures et les falbalas, mais dans notre manière de chercher à être efficace et utile, si possible avec style !

Propos recueillis par Christine Vallin


À lire sur notre site

La recension du dernier livre de Mara Goyet, Jules Ferry et l’enfant sauvage. Sauver le collège, éditions Flammarion.


Article paru dans notre n°516, Devenir lecteur, coordonné par Jacques Crinon, novembre 2014.

Allons au-delà des controverses stériles et caricaturales : lire est une compétence complexe, apprendre à lire peut passer par bien des chemins, prend bien du temps, jusqu’à faire des élèves des lecteurs capables de comprendre et d’interpréter des textes de tous les genres, pour découvrir le monde comme les plaisirs esthétiques de la littérature.

https://www.cahiers-pedagogiques.com/no-516-devenir-lecteur/