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Luc Cédelle : « Tout est présent dans un atome d’éducation »

actus_entretien_luc_ce_delle_portrait.jpgComment Luc Cédelle, journaliste, blogueur, auteur, grand détricoteur du système scolaire et fervent défenseur de la pédagogie, s’est-il retrouvé à ses différents postes d’observation de l’école ? « Par une série de hasards », répond-il tranquillement. Mais le plus étonnant n’est pas là. Il est plutôt dans la relation amoureuse qui s’est nouée entre l’école et lui, une histoire vive faite d’exigences et de dons, de renoncements et de pardons. Il était plusieurs fois…
Lorsque vous vous retournez vers vos premiers souvenirs d’école, que voyez-vous ?

Je me souviens des figures de mon enfance, de ces instituteurs puis de ces professeurs complets, impressionnants. Leur engagement n’était pas seulement pédagogique, il était souvent syndical aussi, ou associatif, dans l’éducation populaire notamment. Je pense qu’il s’agissait même d’un engagement existentiel. Des « saints républicains », d’une certaine manière. De grandes dames et de grands messieurs en tout cas, généreux, qui tendaient la main à qui en avait besoin, et qui m’ont autant marqué par leur comportement que par leur savoir.

Mais il me semble que l’on porte tous en nous une galerie de portraits d’école, des portraits agissants, qui influent invisiblement sur nous à l’âge adulte. Bien sûr, cela ne diminue en rien l’importance des apprentissages et du travail consistant à enseigner. Mais la mémoire est espiègle. Ainsi, j’ai tout oublié, par exemple, de mon apprentissage de la lecture, mais je me souviens encore du nom de mon instituteur, de mes copains de classe. Comme tout le monde je suppose, j’ai gardé le souvenir social de l’école, tout son potentiel littéraire, avec des bons et des méchants, des imbéciles et des intelligents : la diversité donc, et la nécessité de faire avec, de négocier avec plus ou moins de bonheur le rapport à la collectivité. J’ai connu les deux côtés de la médaille : le tendre respectueux et le brutal mesquin. J’étais presque un très bon élève, mais je ne l’ai jamais été jusqu’au bout. Et puis je suis devenu journaliste.

Et vous avez alors continué de regarder l’école depuis ce banc-là ?

Non, pas du tout. J’ai commencé à la rubrique sociale, dans les années 80. J’ai perdu l’école de vue, le social était tellement plus intéressant ! Il y avait des affrontements à coups de boulons dans les usines, et toute une dimension politique. Une actualité des plus excitantes, donc. Puis j’ai suivi, tardivement, la vague des journalistes qui créaient des entreprises de communication. Je suis donc devenu un petit entrepreneur. Oh, je n’ai pas fait fortune. J’ai passé dix ans sans savoir ce que j’allais gagner le mois suivant. Mais ce qui était passionnant, c’était d’apprendre en faisant, d’être dans l’action, d’acquérir une expérience et des savoirs sur la société, réutilisables en journalisme ensuite.
J’ai recyclé le peu d’argent gagné dans une microentreprise de presse tournée vers la Roumanie avec deux journalistes. L’idée, c’était de rendre viable un système d’information et de l’étendre à des pays voisins, la Pologne, la Bulgarie, etc. De fédérer. Mais, hormis la reconnaissance acquise, ça n’a pas pris, par manque de relai, de soutien, d’habileté économique aussi. C’était douloureux. Oui, douloureux. Nous nous sommes épuisés à pratiquer le capitalisme sans capital, comme des Bernard Palissy qui brulions nos meubles et notre plancher. Il a fallu choisir : soit crever au boulot de 10 h à 2 h du matin, soit arrêter. Cette expérience m’a en tout cas détaché d’une certaine vision du vilain patron, et me fait distinguer très nettement le créateur du prédateur.

Après la fin de l’entreprise, je me suis retrouvé le bec dans l’eau. Alors j’ai fait ce que je savais faire : écrire des articles. Mais en repartant de zéro, comme pigiste pour une certaine presse mutualiste syndicale. J’ai bossé à fond, et j’ai paradoxalement retrouvé ma carte de presse en écrivant des éditoriaux cégétistes. C’est-à-dire en faisant de la com pour des gens que j’aimais bien, mais dont je ne partageais pas les opinions.

Et c’est à ce moment-là que vous êtes entré au Monde de l’éducation ?

Oui, par l’intermédiaire d’un ami de mes débuts. Mais à vrai dire, j’y suis allé presque à reculons : je redoutais d’avoir affaire à un monde de fonctionnaires étriqué, alors que j’étais encore marqué par mon expérience de petit patron. Pourtant, au bout d’un mois, j’étais déjà pris par l’éducation, absorbé par ce formidable sujet de société, transversal, à la fois philosophique, économique, historique et enjeu politique par excellence. On voit si souvent une microactualité dans l’éducation générer une mégaactualité politique ! Regardez l’actuelle querelle sur le genre. On croit que l’on s’occupe de petites choses spécialisées et on se retrouve au cœur des grandes manœuvres. En parlant d’école, on actionne des mécanismes intimes qui parlent à l’ensemble de la société. Dans les débats, on a tous les éléments du terrain. Sur le terrain, on a tous les éléments du débat. Et pour moi, c’est cela, la merveille de l’éducation en tant que sujet de travail journalistique : tout est présent dans un atome d’éducation.
(à suivre)

Propos recueillis par Christine Vallin


Article paru dans notre n°513, Quelle éducation laïque à la morale, coordonné par Elisabeth Bussienne et Michel Tozzi, mai 2014.

Que s’agit-il d’enseigner, pour ce qui ne peut se réduire à une discipline scolaire ? Dans quel objectif, entre pacification des relations et formation du jugement moral ? Qui pour le faire, dans quel cadre ? Bien des questions, et ce dossier ose dès maintenant des réponses, dans la conviction que nous touchons là à un rôle fondamental de l’école.

https://librairie.cahiers-pedagogiques.com/revue/542-quelle-education-laique-a-la-morale-.html