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Suffit-il de les faire discuter pour qu’ils apprennent ?

Annexe I : SENSIBILISATION

Q1. Citez cinq mots ou expressions auxquels vous pensez spontanément lorsqu’on vous dit le mot « famille ».

Q2. Voici une série d’affirmations concernant la famille. Choisissez les trois affirmations avec lesquelles vous êtes le plus d’accord (vous noterez les numéros des affirmations sur la feuille réponse) et ensuite, choisissez les trois affirmations avec lesquelles vous n’êtes pas du tout d’accord :

  1. La famille est un groupe de personnes vivant sous le même toit et s’aimant les uns les autres.
  2. La famille est l’unité de base de toute société.
  3. Une femme divorcée qui élève seule ses enfants n’est pas une famille.
  4. La famille peut être constituée d’individus n’ayant aucun lien biologique entre eux.
  5. La famille, ce sont plusieurs personnes qui vivent ensemble.
  6. C’est un ensemble de personnes avec qui j’ai des liens de parenté.
  7. La famille a un fondement biologique.
  8. Une vraie famille, c’est le père, sa femme et leurs enfants.
  9. C’est un groupe de personnes ayant le même sang qui vivent ensemble.
  10. Il n’y a pas de famille sans mariage.
  11. La famille peut être constituée d’individus n’ayant aucun lien de parenté.
  12. Si un conflit oppose des parents biologiques à des parents adoptifs, il est normal que la justice rende l’enfant à ses parents naturels.
  13. Seul le lien biologique peut unir une mère et son enfant.
  14. Les couples non mariés forment de véritables familles.
  15. En France, on ne peut pas se marier avec son cousin germain.
  16. Une famille comprend toujours au moins un couple avec des enfants.

Q3. Pour chacun des cas de figure ci-dessous, vous indiquerez si l’on a affaire à une famille ou pas en mettant une croix dans la colonne appropriée sur la feuille réponse :

Cas de figure C’est une famille Ce n’est pas une famille
1. Un couple marié vivant avec ses trois enfants
2. Une femme vivant seule avec son enfant né de père inconnu
3. Un couple marié, résidant ensemble et vivant avec les enfants de la femme (l’homme du couple n’étant pas le père des enfants) 
4. Un couple homosexuel  
5. Un couple de retraités non mariés dont les enfants résident à l’étranger  
 6. Un couple non marié vivant avec leur petite fille de trois ans, Chloé  
 7. Deux personnes mariées, résidant dans deux appartements différents.  
 8. Une dame vivant seule, sa fille venant de se marier et étant partie vivre avec son mari dans une autre ville  
 9. Un couple marié depuis dix ans qui vient d’accueillir le bébé de trois mois qu’ils ont pu adopter à l’issue d’une longue procédure  
 10. Un couple non marié qui vient d’accueillir la petite fille de dix mois qu’ils ont pu adopter à l’issue d’une longue procédure  
 11. Un couple marié vivant avec leur fils célibataire de 28 ans  

Annexe II : DOSSIER DOCUMENTAIRE

 A. Fondement biologique ou fondement social ? 

Document n° 1 : Le mariage légal entre femmes

Dans certaines populations africaines, il existe un mariage légal entre femmes. C’est le cas des Nuer soudanais, qui sont patrilinéaires (la reconnaissance de la filiation passe exclusivement par les hommes) et chez lesquels la fille n’est même pas considérée comme appartenant à part entière au groupe de son père, sauf si elle est stérile : dans ce cas – la preuve de la stérilité étant donnée après de longues années de mariage ordinaire -, elle est considérée et compte comme un homme de son lignage d’origine. Le mariage légal chez les Nuer est sanctionné par le paiement d’une compensation matrimoniale en bétail (« prix de la fiancée ») versée par le mari ou la famille du mari aux parents paternels de l’épouse, qui se la répartissent entre eux. La femme stérile perçoit de la sorte, en tant qu’« oncle » paternel, une part des « dots » versées pour ses nièces, les filles de ses frères. Avec ce capital, elle peut à son tour acquitter le prix de la fiancée pour une jeune fille qu’elle épouse légalement et pour laquelle elle accomplit les rites officiels du mariage. Elle lui choisit ensuite un homme, un étranger pauvre, […], pour cohabiter avec elle et engendrer des enfants. Cet homme n’est rien d’autre que le serviteur de la femme-époux ; et il accomplit, par ailleurs, les tâches ordinaires d’un serviteur. Les enfants qui naissent de cette union de l’ombre sont ceux de la femme-époux, qu’ils appellent « père » et qui leur transmet son nom et ses biens. Son épouse l’appelle « mon mari » ; elle lui doit respect et obéissance et la sert comme elle servirait un véritable mari. Elle-même administre son foyer et son bétail, répartit les tâches et en surveille l’exécution, comme un homme le ferait. Elle fournit à ses fils le bétail nécessaire à leur mariage. Au mariage de ses filles, elle reçoit, à titre de « père », le bétail de leur « dot » et remet pour chacune au géniteur la vache qui est le prix (différé) de l’engendrement. Le géniteur ne joue aucun rôle autre que celui pour lequel il a été requis et il ne tire, de ce rôle de partenaire sexuel étalon, aucune des satisfactions matérielles, morales et affectives liées au même rôle accompli dans le cadre du mariage.

Françoise Héritier, Encyclopaedia Universalis, tome 7, 1998.

Q1. Chez les Nuer soudanais, comment est considérée une femme stérile depuis plusieurs années ?
Q2. Comment une femme stérile peut-elle alors acquérir les moyens de se marier ?
Q3. Chez les Nuer soudanais, qui est le « mari » dans le cas d’un mariage légal entre femmes ?
Q4. Comment le nouveau « couple » marié peut-il avoir des enfants ?
Q5. Qui est le père des enfants ?
Q6. Y a-t-il des liens biologiques entre les enfants et leur « père » ?

Document n° 2 : Une société sans pères

En Europe, il nous est difficile de concevoir qu’un homme puisse n’avoir aucun lien de parenté avec les enfants qu’il a engendrés, sauf dans des conditions d’ignorance très particulières.
Chez les Na, peuple d’agriculteurs de la région himalayenne de la Chine, c’est pourtant la règle. Dans cette société matrilinéaire, à sa naissance, un enfant fait automatiquement partie du groupe de sa mère. Dans les maisons des Na, les frères et les sœurs travaillent, consomment et résident ensemble toute leur vie.
Le groupe de résidence est donc composé de consanguins apparentés par les femmes qui sont appelés ong hing, ce qui signifie littéralement, « gens de l’os ».
Dans la culture des Na, l’« os » est l’équivalent de la notion de « sang » chez nous : c’est le vecteur de la filiation. […]
Chez les Na, il n’y a pas de vrai mariage. Les hommes rendent visite aux femmes des autres maisonnées, la nuit, de manière furtive. La relation entre amants est du domaine privé, elle cesse dès que l’un ou l’autre des partenaires le désire.
Les femmes donnent naissance à des enfants qui n’ont littéralement pas de père : le terme n’existe pas dans la langue na. Toutefois, lorsqu’une relation entre amants est longue et exclusive, ou lorsque la ressemblance physique est visible, on peut identifier le géniteur. Mais aucun lien social, juridique ou affectif, ne le rattache à son enfant.
Ainsi, il peut arriver qu’un homme devienne un jour l’amant d’une femme qu’il a engendrée sans que personne y trouve à redire, puisqu’ils ne sont pas considérés comme parents.
Voilà donc une culture qui reconnaît le rôle de l’homme dans l’engendrement, mais ignore la paternité au sens où nous l’entendons. […]

Agnès Fine, « Une société sans pères » Sciences Humaines, Hors Série N° 23,Décembre 1998-janvier 1999.

Q1. Qui cohabite dans les familles Na ?
Q2. Quel le critère fondateur du groupe familial de résidence chez les Na ?
Q3. Les enfants naissent-ils d’une union légale entre un homme et une femme chez les Na ?
Q4. Les hommes, dans la société Na, n’ont-ils pour autant aucun rôle dans l’éducation des enfants ?

Document n° 3 : De la carence du vocabulaire face aux nouvelles formes familiales

« Voici Sylvie, mon amie et ses… heu nos enfants… ». Michel bredouille lorsqu’il doit présenter sa concubine Sylvie accompagnée de ses deux enfants à ses collègues. L’embarras vient du fait qu’il n’a pas à sa disposition de mots très explicites pour désigner leur lien de concubinage, ni pour indiquer que ces enfants ne sont pas les siens bien qu’ils vivent sous son toit, en assume la charge et l’éducation. Les collègues, avisés, comprennent que « l’amie » en question vit avec Michel et qu’il n’est pas le père naturel.
Les mots en usage manquent pour désigner les membres des nouvelles familles. Comment mademoiselle va-t-elle désigner son concubin ?
« Mon compagnon » ? trop précieux, « mon mec, mon jules » ? trop familier ;
« l’homme avec qui je vis » ? trop sophistiqué, « mon ami » pas assez explicite ;
« Gilbert » tout simplement, et chacun comprendra…
Le même délicat problème se pose pour les enfants, qui dans la cour de l’école, vont parler du « mari de maman », ou de « la mère de mon frère… » […]
Comme le rappelle justement Irène Théry dans son ouvrage, il existe bien des mots pour désigner ces situations complexes : parâtre, marâtre, beau-père, beau-fils…, mais ils choquent l’oreille.
Recherchons des mots nouveaux pour familles nouvelles…
Henry Léridon, « Familles : les formes changent, les principes restent » Sciences Humaines, La vie de Famille, Dossier du numéro 9 d’août-septembre 1991

Q1. Pourquoi les mots parâtre, marâtre, beau-père, beau-fils ont-ils été abandonnés selon I. Théry ?
Q2. Pourquoi l’existence de nouvelles formes de familles pose-t-elle un problème de vocabulaire ?
Q3. Quel est le sens général de ce texte ?

 B. Parenté et famille 

Document n° 4 : La consanguinité n’est ni une condition nécessaire ni une condition suffisante pour définir la parenté.

Parenté et consanguinité sont choses très différentes. La consanguinité n’est pas la condition suffisante de la parenté, puisque, aujourd’hui encore, l’enfant naturel non reconnu n’est pas, au sens social du mot, le parent de ses ascendants ; il n’a, avec eux, aucun lien de famille. […] Elle n’est pas davantage la condition nécessaire de la parenté puisque l’adopté est le parent de l’adoptant et des parents de ce dernier ; et pourtant entre eux et lui, il n’y a pas de sang commun. […]
C’est que, en effet, la parenté est essentiellement constituée par des obligations juridiques et morales que la société impose à certains individus. […] En un mot, la parenté varie suivant la façon dont est organisée la famille, suivant qu’elle compte plus ou moins de membres, suivant la place qui est faite à chacun, etc. Or, cette organisation dépend avant tout de nécessités sociales et, par conséquent, ne soutient qu’un rapport très lâche avec le fait tout physique de la descendance. […]
Toute parenté est sociale ; car elle consiste essentiellement en relations juridiques et morales, sanctionnées par la société. Elle est un lien social ou elle n’est rien. […] Pour le sens commun, la véritable parenté se confond avec la consanguinité et ne fait que l’exprimer. Mais du moment où l’on a fait cesser cette confusion, il ne peut plus y avoir qu’une parenté, c’est celle qui est reconnue comme telle par la société.

Émile Durkheim, L’Année sociologique n° 1, 1896-1897, repris dans E. Durkheim, Journal sociologique, textes réunis par J. Duvignaud, Paris, PUF (1969), pp. 110-113

Q1. Qu’est-ce qui fonde la parenté dans une société ?
Q2. Qui édicte ces règles de parenté ?
Q3. Comment peut-on expliquer la phrase soulignée ?

Document n° 5 : Définition anthropologique de la famille

Essayons d’abord de définir la famille, non pas en intégrant toutes les observations recueillies au sein de différentes sociétés, ni même en nous limitant à la situation qui prédomine dans la nôtre, mais en construisant le modèle idéal que nous avons présent à l’esprit quand nous utilisons le mot « famille ». Il semble que ce terme désigne un groupe social […].
Les membres de la famille sont unis :
a) par des liens légaux,
b) par des droits et obligations de nature économique, religieuse ou autre,
c) par un réseau précis de droits et interdits sexuels, et un ensemble variable et diversifié de sentiments psychologiques tels que l’amour l’affection, le respect, la crainte, etc.

Claude Lévi-Strauss, Textes de et sur Claude Lévi-Strauss,Paris, Gallimard, Coll. Idées, 1979, p. 102

Q1. Que signifie l’expression « modèle idéal » ?
Q2. Selon C. Lévi-Strauss, la famille est-elle un groupement naturel formé des parents et des enfants ?
Q3. Quels types de liens légaux pouvez-vous citer entre les membres d’une famille ?
Q4. Quels types de droits ou obligations pouvez-vous citer ?
Q5. Quels types d’interdits sexuels pouvez-vous citer ?
Q6. Selon vous, qu’est-ce qui explique cet interdit universel ?

 C. Une règle universelle qui fonde la famille : la prohibition de l’inceste 

Document n° 6 : Le passage de la nature à la culture

La structure de la famille, toujours et partout, rend certains types d’union sexuelle impossibles ou à tout le moins condamnables.
[…] L’interdit universel de l’inceste spécifie, en règle générale, que les personnes considérées comme parents et enfants ou frères et sœurs, ne serait-ce que de nom, ne peuvent avoir de rapports sexuels et encore moins se marier. […]
La coutume n’a pas d’explication naturelle. Les généticiens ont établi que si les mariages consanguins entraînent probablement des effets néfastes dans une société qui les a longtemps évités de manière constante, le risque serait bien moindre dans le cas où la prohibition n’aurait jamais existé, car la sélection naturelle éliminerait au fur et à mesure les caractères nuisibles qui se seraient manifestés ; les éleveurs usent de ce moyen pour améliorer la qualité de leurs animaux. […]
L’explication véritable est à chercher dans une direction diamétralement opposée. […]. La prohibition de l’inceste institue une dépendance mutuelle entre les familles, les forçant à engendrer de nouvelles familles en vue de se perpétuer. […] Car la prohibition de l’inceste établit simplement que les familles (quelle que soit la manière dont elles se définissent) peuvent s’allier uniquement les unes aux autres, et non, chacune pour son compte, avec soi.
Nous comprenons maintenant pourquoi on se trompe quand on cherche à interpréter la famille à partir des bases purement naturelles de la procréation, de l’instinct maternel, des sentiments psychologiques entre le mari et la femme, entre le père et les enfants. Aucun de ces facteurs ne suffirait à donner naissance à une famille, et cela pour une raison assez simple : dans toute l’humanité, la condition absolument nécessaire pour la création d’une famille est l’existence préalable de deux autres familles, l’une prête à fournir un homme, l’autre une femme, qui, par leur mariage, en feront naître une troisième, et ainsi de suite indéfiniment.
En d’autres termes, ce qui différencie réellement l’homme de l’animal, c’est que, dans l’humanité, une famille ne saurait exister sans société, c’est-à-dire sans une pluralité de familles prêtes à reconnaître qu’il existe d’autres liens que la consanguinité, et que le procès naturel de la filiation ne peut se poursuivre qu’à travers le procès social de l’alliance. […]
C’est là, et là seulement, que nous pouvons déceler un passage de la nature à la culture, de la vie animale à la vie humaine, et que nous sommes en mesure de comprendre l’essence même de leur articulation.

Claude Lévi-Strauss, Textes de et sur Claude Lévi-Strauss, Paris, Gallimard, Coll. Idées, 1979, pp. 116-120.

Q1. Comment peut-on définir l’inceste ?
Q2. Selon Claude Lévi-Strauss, quels sont les facteurs qui ne suffisent pas à fonder une famille ?
Q3. Selon Claude Lévi-Strauss, quelle est la condition absolument nécessaire pour la création d’une famille ?
Q4. Que veut dire Claude Lévi-Strauss lorsqu’il écrit que la prohibition de l’inceste permet le passage de la nature à la culture ?