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Soutenir les projets des équipes dans les établissements

Depuis dix ans, le programme « Réussite pour tous » soutient des structures spécifiques pour raccrocheurs telles que les microlycées et le pôle innovant lycéen à Paris, et subventionne des projets développés dans le cadre ordinaire des établissements scolaires. Une recherche universitaire[[Cet article s’appuie sur une recherche menée entre 2007 et 2010 par l’équipe « Crise, école, terrains sensibles », CREF, université de Nanterre et par l’équipe « Expérice », université de Paris-Nord Villetaneuse. Résultats en cours de publication.]] permet de dresser un bilan de ce programme et de prendre la mesure des effets de l’intervention de la Région dans un domaine qui traditionnellement relève uniquement de l’action de l’État.

Un lycée francilien sur quatre

Pendant les vingt premières années de leur fonctionnement, les régions étaient cantonnées à la construction et à la gestion du patrimoine immobilier des lycées. Depuis le début des années 2000, le champ de leurs compétences s’est élargi : elles gèrent le personnel non enseignant des établissements et elles définissent et mettent en œuvre des politiques de formation professionnelle des jeunes et des adultes. C’est dans ce cadre institutionnel transformé que la région Île-de-France s’est saisie de la question du décrochage scolaire, au croisement des problèmes scolaires et d’insertion. Le programme « Réussite pour tous » a été initié afin de « réduire le nombre de sorties du système scolaire sans qualification en soutenant l’Éducation nationale dans son action contre le décrochage scolaire »[[Conseil régional d’Île-de-France, Agir pour l’avenir des jeunes franciliens, Schéma des formations 2000-2006.]]. Actuellement, un lycée francilien sur quatre participe à « Réussite pour tous ». C’est dire l’importance et l’ampleur de ce programme dans l’ensemble des actions menées pour lutter contre le décrochage scolaire. Depuis 2007, de nouveaux objectifs ont été énoncés, notamment le soutien aux étudiants issus des milieux défavorisés.

Une démarche pour les projets

La démarche repose sur le principe suivant : chaque année, en partenariat avec les trois académies franciliennes, un appel est lancé à destination des équipes ayant engagé des projets de lutte contre le décrochage scolaire. Ceux-ci doivent être inscrits dans les projets d’établissements, validés par les autorités académiques, puis transmis aux autorités régionales qui vérifient qu’ils rentrent bien dans le périmètre des financements régionaux. Les moyens attribués par la région concerneront les locaux, l’acquisition de matériel pédagogique, le financement de déplacements, celui d’intervenants extérieurs à l’Éducation nationale et des chèques de formation individualisée. La démarche vise à encourager et valoriser les innovations locales et les initiatives venues des équipes dans les établissements. Selon le Schéma régional des formations, les projets ne doivent pas venir « d’en haut », mais être des initiatives « des acteurs du quotidien ». La Région se propose d’apporter son soutien aux « projets innovants et créatifs pour les jeunes en difficulté ». Le programme doit favoriser les dynamiques innovantes au plan local. Il ne s’agit pas pour les équipes de mettre en œuvre telle ou telle politique de lutte contre le décrochage scolaire, mais d’inventer dans les établissements des réponses ajustées aux problèmes identifiés.

C’est en ce sens qu’on peut dire que « Réussite pour tous » relève d’une action publique plutôt que d’une politique publique si la notion de politique publique réfère à une situation où l’État est le principal acteur d’une action centralisée et hiérarchisée dont il maitrise l’ensemble du processus au point d’en définir tous les aspects, des enjeux aux objectifs en passant par les formes d’intervention. Au contraire, dans le cas présent, il y a la volonté affichée de valoriser de façon ascendante l’innovation locale, de travailler dans une logique partenariale avec les différents acteurs institutionnels, et aussi d’inclure dans le développement même des actions et des projets une démarche d’évaluation en continu.

Que sait-on des projets dans les établissements, montés pour lutter contre le décrochage et financés par « Réussite pour tous » ? On ne s’attardera pas sur le travail accompli dans les structures spécifiques, évoquées par ailleurs dans ce numéro des Cahiers pédagogiques et on se focalise ici sur les actions menées dans des établissements ordinaires.

Une palette d’actions variées

L’analyse des dossiers déposés auprès de la Région fait apparaitre des actions d’ampleur, d’ambition et d’échelle très variées : de la création de dispositifs spécifiques pour décrocheurs, de structures plus ou moins pérennes, à des actions ponctuelles dans une classe. Certaines d’entre elles concernent une classe ou un niveau, d’autres ne s’adressent qu’à deux ou trois élèves de la classe repérés comme en risque de décrochage. Ces projets font appel parfois à des intervenants extérieurs (comédien, animateur, formateur de français langue étrangère), la plupart prennent la forme d’ateliers périscolaires ou culturels.

Si l’on excepte les structures spécifiques fédérées par ailleurs dans la FESPI, dans un autre cadre que celui de « Réussite pour tous », force est de constater que les équipes échangent peu : à l’occasion des réunions organisées par les responsables du programme et par les chercheurs ou dans un cadre militant ou syndical. Mais, dans l’ensemble les équipes sont isolées dans leurs établissements et peu informées de projets intéressants qui se déroulent parfois dans un environnement proche.

Les problèmes identifiés à l’origine des projets sont en premier lieu l’absentéisme. Les équipes évoquent aussi le malêtre, l’absence d’estime de soi et le refus d’orientations non désirées. Les diagnostics ont été posés par les enseignants qui se sont sentis impuissants à traiter ces problèmes dans le cadre de leur classe. Monter des projets spécifiques en collectif permet de sortir de ce sentiment d’échec. Les projets sont menés par de petites équipes, constituées pour la plupart d’entre elles par affinités ; elles sont soutenues par le chef d’établissement qui a fait le lien avec le programme régional.

Avec quels résultats ?

Les bilans dans l’ensemble sont positifs. Chefs d’établissements, partenaires, enseignants et élèves, pratiquement tous souhaitent la reconduction des actions parfois avec des remaniements. Cependant, on notera que, pour certains enseignants, le programme pallie avant tout l’insuffisance des moyens octroyés par l’Éducation nationale. Pour les enseignants, ces projets ont des effets positifs en termes d’amélioration de l’estime de soi, d’une plus grande confiance dans l’équipe enseignante, d’une meilleure insertion dans la communauté éducative, mais les effets sur les performances scolaires viendraient en second. Les enseignants signalent que, même lorsqu’elles sont connues des collègues, leurs actions affectent peu la vie de l’établissement et n’engendrent pas d’interrogations sur son fonctionnement.

Les élèves ont aussi une vision positive de « Réussite pour tous ». Ils souhaitent sa reconduction ou être impliqués dans d’autres projets. Ils disent en tirer des bénéfices personnels, psychologiques et relationnels. Pour autant, ils sont une minorité à participer davantage en classe et à obtenir de meilleures notes, et surtout ils ne se sentent pas plus affiliés à l’école.
Malgré ses limites, « Réussite pour tous » a des effets très importants pour la scolarité des élèves. Se réconcilier avec l’école aide à une réconciliation avec soi-même. Des enseignants prennent la peine de mettre en place un dispositif spécifique, une plus grande confiance mutuelle se développe, les relations entre adultes et élèves s’améliorent : tout cela fait naitre le sentiment, selon l’expression d’un élève, « que l’on est pas complètement nul ».

Mais parallèlement à cette renarcissisation des élèves, il faut parler des effets sur les enseignants. Comme signalé plus haut, nombreux sont les projets qui partent du diagnostic explicitement affiché d’un malaise chez les enseignants, tant ils se sentent démunis devant les difficultés rencontrées par leurs élèves. Dans les projets « Réussite pour tous », des enseignants trouvent une nouvelle raison de faire et quelques moyens pour faire.

Marie Anne Hugon
Professeure en Sciences de l’éducation, équipe « Crise, école, terrains sensibles » – CREF ED 139, université Paris Ouest Nanterre La Défense.


Références

  • Marie Anne Hugon, « Dispositifs relais », in David Le Breton et Daniel Marcelli, Dictionnaire de l’adolescence et de la jeunesse, PUF, 2010.
  • Marie Anne Hugon, J. Schneider J., « Améliorer la qualité de l’enseignement en France et en Allemagne : regards croisés sur deux expériences de lutte contre le décrochage scolaire », in Groux D., Helchem J., Flitner E., L´école comparée : regards croisés franco-allemands, l’Harmattan, 2006.
  • Marie Anne Hugon, Jacques Pain, « La place des absents : psychopathologie et pédagogie de l’absence d’école », in Patrice Huerre (dir.), L’absentéisme scolaire, Hachette, 2006.