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Socle, outillage ou formatage ?

Mon défi, c’est de montrer à bien des élèves qu’ils ont des outils dont ils ne savent pas se servir, pour repartir sur de meilleures bases. Plus que comme des élèves, je les vois comme de futurs citoyens, qui doivent apprendre à s’informer pour se former. Après des années de séances d’apprentissage de la recherche documentaire dans le cadre des modules, plus ou moins bien réinvestis après dans diverses disciplines, pour aboutir à des bilans mitigés, j’ai éprouvé le besoin avec mes collègues de remettre les choses à plat. Nous avons donc demandé un stage en équipe d’établissement autour du thème « Apprentissage à et par l’information » qui nous a permis (nous = 15 professeurs toutes disciplines confondues et moi-même) d’analyser nos pratiques pour trouver de nouvelles solutions aux problèmes que nous n’arrivions pas à résoudre, du type confusion avec Internet entre support et source, mauvaise compréhension des consignes, compilations de copié – collés mal digérés…
Nous avons donc défini un cadre pour acquérir des compétences documentaires plus cohérentes : un stage de « formation à l’information » pour toutes les classes de 2de BEP, co animées par le documentaliste, un professeur d’enseignement général et un d’enseignement professionnel, à l’issue duquel chaque élève doit savoir comment chercher des documents, où les trouver et comment les décrire.
Il me semble surtout que notre rôle au CDI, c’est de donner du lien entre les disciplines, de montrer que chacune fournit une grille de lecture d’un événement, donne des repères, explique des mécanismes mais qu’on ne peut comprendre un fait d’actualité complexe qu’en utilisant tous les outils fournis par chaque matière : comment comprendre le conflit en Irak, ou le débat sur la constitution européenne, si on ne voit que l’aspect historique, ou religieux, ou économique, ou juridique ? Redonner du sens à l’école, c’est redécouvrir l’utilité sociale de chaque discipline. Le problème, c’est de dégager pour cela malgré le cloisonnement horaire, des « espaces – temps » pour ce faire, d’en impulser la volonté.
Dans ce stage de formation à l’information en 2de, j’essaie en premier lieu de leur faire prendre conscience des enjeux de l’information : pourquoi a-t-on appelé la presse le 4e pouvoir ? Quels sont les trois premiers ? Quels rapports entre pouvoir exécutif, pouvoir législatif, pouvoir judiciaire et médias ? Comment fonctionne une entreprise de presse ? En quoi le pouvoir économique a-t-il une incidence sur le contenu de l’information ? Pourquoi parle-t-on de 5e pouvoir – le leur – celui de l’analyse critique des médias ?
Puis, je les mets en situation de fabriquer de l’information : à partir d’un fait brut type dépêche d’AFP minimale (exemple fictif d’une altercation dans un lycée qui entraîne une plainte de parent d’élève) comment vont-ils construire un article : qui interroger pour mesurer la portée de l’événement (utilisation des statistiques) pour en comprendre les causes (interviews des protagonistes, des témoins, appel à des experts tels psychologues, sociologues, pédagogues…) les conséquences (psychologiques, pédagogiques, juridiques…) envisager les modes de prévention… Quelle mise en page de l’information, quels titres, quelles photos, quels partis pris possibles en fonction de quel public, quelles utilisations partisanes peut-on imaginer ?
Ce n’est qu’ensuite que je leur demanderai un travail individuel de recherche et d’analyse d’information, à partir de 20 thèmes proposés, des faits de société qui peuvent faire l’objet d’une approche interdisciplinaire.
Le thème choisi sera le support d’un apprentissage ou d’un approfondissement plus classique des méthodes de recherche : comment questionner le sujet, faire émerger les représentations, lister des mots clés, dégager des champs sémantiques, poser une ou deux équations de recherche, confronter les résultats sur BDCI et sur Google…
À partir de là je leur demande de choisir 3 documents, sur 3 supports différents : une double page de livre, un article de périodique, une page Internet.
Ils auront ensuite à restituer l’information sous deux formes : une forme écrite, que j’évaluerai (la grille d’évaluation est fournie en même temps que la grille d’analyse à remplir). Une forme orale (avec là encore grille d’évaluation) évaluée par les professeurs qui co-animent le stage avec moi. À l’écrit, je leur demande de savoir identifier le support, analyser le type d’information, donner les références précises du document, en décrire la structure, la mise en page, en résumant chaque partie ou illustration par une phrase.
À l’oral, ils doivent citer leurs sources, raconter le contenu de chaque document, justifier leur choix de thème et de documents.
Il me semble qu’au XXIe siècle, un des objectifs prioritaires de la formation de citoyens c’est de leur permettre de s’informer donc se former tout au long de la vie, d’éveiller leur curiosité, leur esprit critique, favoriser la capacité d’expression, d’argumentation, la créativité, l’initiative, l’innovation.
C’est les aider à ne pas se noyer dans un océan d’informations plus ou moins fiables, les aider à faire du tri, vérifier la validité de leurs sources, à avoir une démarche active de recherche même et surtout s’ils trouvent plus confortable d’absorber de façon plus ou moins attentive ce qu’on leur apporte.
C’est sur l’outillage intellectuel qu’il faut mettre l’accent, la définition à travers toutes les disciplines d’exigences communes, de compétences transversales, de rigueur méthodologique.

A. Dallier, Documentaliste au L.P. Leloup-Bouhier à Nantes.