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Sciences et compétences

En 4e, un groupe d’élèves travaille sur les mouvements des plaques tectoniques au niveau d’une fosse océanique, un autre groupe sur les chaines de montagne ou encore sur les dorsales océaniques. Le but sera de communiquer à tous les résultats de la recherche. Une autoévaluation permet aux élèves d’estimer s’ils pensent avoir acquis les compétences en jeu et si c’est le cas, ils demandent à être évalués. Voilà le genre de pratiques liées à la construction de compétences dont il est question dans ce livre, qui se veut avant tout utile pour les enseignants de sciences.

Mais, comme le dit dans la préface un des pères de la Main à la pâte et grand scientifique Pierre Léna, il y a encore des clarifications à opérer, sur le plan sémantique et conceptuel : « À côté des savoirs ou connaissances, dont chacun croit comprendre clairement ce qui est désigné, toutes sortes de termes ont fleuri récemment dans la langue pédagogique : savoir être, savoir-faire, capacités, attitudes, compétences. Lorsque la langue hésite, il faut conclure que l’idée qu’elle veut désigner est floue. » De là une double question, qui donne bien les deux axes de l’ouvrage : quel est le sens d’un enseignement par compétences en sciences et, pratiquement, comment faire ?

Un premier chapitre pointe les écarts entre l’approche par compétences d’un point de vue théorique et la réalité de bien des pratiques qui résistent mal au risque d’un émiettement en microcompétences. Un article aide à sortir de la question « avec ou sans notes », en montrant la tension entre évaluer une compétence ou mesurer une performance à un moment donné, afin de dépasser les logiques binaires : compétent versus non compétent.

Les deuxième et troisième chapitres donnent à voir de séances et séquences concrètes en technologie, en physique-chimie et en SVT, mais aussi en français autour des sciences. Pour faire acquérir et renforcer une ou des compétences (scientifiques) aux élèves, des enseignants mobilisent différentes ressources : pédagogie collaborative, pédagogie par projet, tâche complexe, travaux interdisciplinaires, recours à l’histoire des sciences, à l’enseignement intégré qui regroupe les trois matières du collège (enseignement intégré de science et technologie), etc.

Le dernier chapitre est consacré à l’évaluation. Il s’agit ici d’inventorier outils et modalités mis en place pour permettre aux élèves d’identifier leurs compétences et pour les aider à les renforcer, mais aussi pour les accompagner dans des phases de remédiation.

Des ressources de diverses natures (institutionnels, pédagogiques, didactiques, historiques, etc.) et des synthèses à la fin de chaque chapitre guident et facilitent la lecture.

Pour clore le livre, Evelyne Chevigny revient sur les obstacles et objections souvent faites à l’approche par compétences. En avril 2013, un rapport sur l’évaluation des enseignants indiquait le cahier des charges d’une séquence d’enseignement efficace. Un prochain rapport ne pourrait-il pas interroger sur les incontournables qui permettent un apprentissage par compétences efficace, et surtout accompagner dans la durée une mise en œuvre qui n’est, bien entendu, pas simple ?

Claire Faidit


Evelyne Chevigny, enseignante de sciences physiques et chimiques, formatrice à l’ESPÉ de l’académie de Grenoble.

Evelyne Chevigny, enseignante de sciences physiques et chimiques, formatrice à l’ESPÉ de l’académie de Grenoble.

Questions à
Evelyne Chevigny

 

La démarche par compétences : beaucoup de malentendus autour de cette notion brouillent parfois les cartes. Qu’est-ce qui peut permettre de distinguer « la fausse monnaie de la bonne » ?
L’approche par compétences n’introduit pas seulement un changement formel, mais un véritable changement de paradigme. La façon d’enseigner et d’évaluer doit changer. Pour autant, il ne s’agit pas pour les enseignants d’oublier ce qu’ils savent faire. Il faut s’appuyer sur des pratiques de terrain, ce qu’expérimentent des enseignants en s’emparant de la démarche par compétences. De son côté, l’institution fournit des documents de cadrage, mais aussi des documents d’aide à la mise en œuvre. Des deux côtés, on sent que ça tâtonne. C’est de cette expérimentation foisonnante que ce livre témoigne.

L’enjeu de la démarche par compétences est de permettre à la connaissance de déboucher sur un savoir agir : prendre des décisions raisonnées, parce qu’on aura su rechercher, sélectionner, organiser l’information, la mettre en relation avec des savoirs déjà là dont on maitrise le sens, construire à partir de l’ensemble de ces éléments un raisonnement, une argumentation.

Il est beaucoup question de tâche complexe dans l’ouvrage, notion indissociable de la notion de compétence. Là encore, comment ne pas faire semblant ?
La tâche complexe appartient à la même famille que la démarche d’investigation ou que le travail par situations problèmes : il s’agit de travailler le sens des savoirs, pour faire de ceux-ci des savoirs vivants que l’apprenant saurait utiliser en situation, y compris et surtout non scolaire, parce qu’il en maitrise la signification profonde.

Quand la tâche est complexe, les chemins de résolution ne sont pas construits par avance, c’est à l’élève de créer les liens entre les connaissances et capacités qu’il mobilise. C’est cette nécessité pour l’apprenant de créer des liens que désigne le concept d’intégration, très présent dans le livre.

Certes, il y a toujours eu des élèves qui ont créé des liens entre leurs apprentissages, qui ont su les intégrer dans une démarche de pensée complexe. Ce qu’introduit l’approche par compétences, c’est la prise en charge par l’école de l’intégration. On y travaille en classe au lieu de laisser cette mise en lien à la charge des élèves, qui la réalisent plus ou moins bien en fonction du rapport au savoir et de la faculté de traitement de la complexité dont les a dotés leur famille. Il y a là une dimension importante pour l’école de la démocratie.

En quoi ce livre est-il particulièrement actuel aujourd’hui, alors qu’on rediscute du socle commun au sein du conseil supérieur des programmes ?
Pour ce que nous savons du travail de révision du socle commun, cela va dans le sens de ce qui vient d’être développé. Ceux qui voient dans la compétence la visée d’un agir techniciste, permettant d’obtenir de bons travailleurs ayant bien intégré des procédures qui les rendront efficaces sur leur poste de travail, font une interprétation soit malhonnête, soit mal comprise de la notion de compétences. L’empilement de procédures est à l’opposé de la démarche par compétences. L’école traditionnelle est plus proche de la répétition de procédures que ne l’est une approche par compétences bien comprise.

Le mouvement amorcé depuis de longues années vers la démarche d’investigation, la volonté qu’a toujours eue l’école de doter les élèves de savoirs bien compris, les approches socioconstructivistes, le travail par situations problèmes ont développé sur le terrain des pratiques qui forment un bon substrat pour un travail par compétences. Les enseignants ne partent pas de rien : ces approches les ont déjà confrontés à des démarches s’appuyant sur la complexité, au lieu de chercher à la contourner. L’ouvrage montre que les enseignants savent s’en saisir de façon réflexive, afin de construire leurs pratiques. Avec l’approche par compétences, c’est le retour de la complexité sur le devant de la scène, et c’est une bonne chose !